Chapitre 2-3

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Elle est perdue. Elle est bien trop faible. Seule, au cœur d’une forêt qu’elle ne connait pas, elle n’a aucune chance de réussir cette épreuve. Hélas, échouer la mènerait sans doute à sa fin : suivre les cours de l’Académie afin d’apprendre à se battre est l’unique voie qu’il lui reste. Sans cet apprentissage, jamais elle ne sera assez forte pour accomplir l’objectif qui la maintient en vie : venger cette mort brutale à laquelle elle a assisté. Et si cet objectif se révèle inaccessible, elle y renoncera. C’est évident.

Une telle chose ne peut se produire. Telle est la mission de son Gardien, le Gardien de sa vie. Si sa vie n’est plus, la sienne n’aura pas davantage de sens.

Elaena doit obtenir le droit de suivre les cours de l’Académie, c’est là son unique issue. Et il faut l’aider à y parvenir. À réussir cette épreuve.



L’esprit d’Elaena était tout embué lorsqu’elle ouvrit les yeux. Si elle se souvenait du défi que le directeur Kellor lui avait lancé, elle n’avait aucune idée du temps qui s’était écoulé depuis ni même de l’endroit où elle se trouvait. Elle savait seulement qu’elle n’avait toujours pas progressé.

Une chaleur agréable lui léchait les bras. Tournant la tête sur le côté, elle remarqua qu’un petit feu crépitait paisiblement, illuminant les alentours d’une douce lueur vacillante. Une odeur de viande grillée flottait tout autour d’elle. Comment suis-je donc arrivée là ? Elle ne parvenait pas à le comprendre. Le dernier souvenir qui demeurait dans son esprit était celui de cet animal terrible qui la pourchassait, et de la faim qui la tenaillait.

Ses forces lui étaient revenues, bien qu’elle n’en comprenne pas la raison. Alors elle se redressa. Un homme se tenait assis non loin de là — du moins Elaena supposa-t-elle que c’en était un, car il lui tournait le dos et portait un manteau si grand qu’il le recouvrait intégralement. Un manteau des plus étranges, d’une couleur brunâtre parsemée de blanc. Qui est-ce ?

Elaena toussota discrètement dans l’idée d’attirer son attention. Elle ne reçut en guise de réponse qu’un petit geste qui désignait quelques morceaux de viande cuits.

— Sers-toi donc, tant que c’est chaud, lui dit finalement l’inconnu.

L’étrange douceur de sa voix sembla familière à Elaena, alors même qu’elle ne l’avait jamais entendue. Sans vraiment comprendre ce qui se déroulait face à elle, elle obéit et mangea jusqu’à avoir satisfait son éternel appétit. L’inconnu ne parlait ni ne la regardait, et pourtant elle se sentait à l’aise à ses côtés. Il émanait de lui une bienveillance palpable.

Lorsqu’elle fut rassasiée, Elaena tenta de recouvrer les souvenirs des heures, ou bien des jours, qui venaient de s’écouler. Certaines choses étaient toujours intactes dans son esprit, mais les zones d’ombre qui y régnaient la laissaient mal à l’aise ; aussi tenta-t-elle d’en apprendre davantage auprès de celui qui devait, supposait-elle, l’avoir sauvée des griffes du néant.

— Où sommes-nous ?

Mais il ne dit rien.

— Combien de temps ai-je dormi ?

Là encore, seul le silence lui répondit. Le regard de l’homme demeurait plongé dans les flammes faiblissantes du petit feu. Il ne doit pas être des plus doués en conversations.

— Merci.

Peut-être aurais-je dû commencer par là. Ce ne fut qu’un discret filet de voix : Elaena n’avait jamais aimé manifester sa reconnaissance, surtout auprès de parfaits inconnus. Que va-t-il me demander, à présent ? Il va sans doute exiger un paiement pour ses services. Mais je n’ai rien à lui donner. Je n’ai même pas de quoi subsister sans son aide.

— Dis-moi, jeune fille : pourquoi fais-tu tout cela ?

La question surprit Elaena. L’homme ne lui laissa pas le temps de formuler une réponse.

— Je ne veux pas parler de cette épreuve ridicule, bien entendu. Nous savons tous les deux qu’il ne s’agit que d’un stratagème douteux du directeur Kellor pour te mettre à la porte. Je veux dire… pourquoi te bats-tu, en fin de compte ?

Elaena était déconcertée.

— Laisse-moi deviner : pour la vengeance ? reprit-il. C’est ce que tout le monde dit. Mais personne ne sait réellement de quoi il s’agit.

Comment sait-il tout cela ? Qui est-il, au juste ? Plus l’homme parlait, plus Elaena était perplexe. Mais il ne se laissa pas interrompre.

— Chacun parle d’un idéal qui le dépasse, de rendre hommage à ce qui n’est plus… Tu parles d’une cause noble ! Les morts sont morts, ils ne te seront jamais reconnaissants. Et puis quoi ? Parce que l’humain est de nature belliqueuse et que certains en arrivent à nous enlever ceux que nous aimons, nous devrions passer chacun de nos jours à les traquer ? à tenter de leur rendre la monnaie de leur pièce ? C’est ridicule ! Cela revient simplement à poursuivre leur propre œuvre, à détruire une vie de plus ! Ton père n’est plus, et c’est bien dommage. Mais consacrer l’intégralité de ton énergie à poursuivre les responsables, c’est leur offrir une seconde victoire, c’est leur léguer ta vie, alors même qu’ils l’ont épargnée. C’est un suicide, et quoi de plus absurde !

Il y eut un silence, comme si l’homme laissait le temps à ses paroles de parcourir leur route.

— Tu n’as qu’une seule vie, reprit-il. C’est un cadeau des dieux. Il est de ton devoir d’en faire bon usage. Utiliser le peu de temps qui t’est offert pour poursuivre la mort comme tu le fais, je ne vois rien de plus ridicule et irresponsable. Les dieux apprécieront davantage que tu la consacres à laisser une empreinte durable et positive sur Tercania.

À nouveau, il se tut, mais reprit sans laisser le temps à Elaena de réagir.

— Ce n’est pas une malédiction, Elaena. (Elle sursauta en l’entendant prononcer son nom). Les dieux t’ont fait don de ce pouvoir immense afin qu’il serve le bien au travers de Tercania. Ne le fuis pas comme tu le fais : au contraire, si tu désires donner un sens à ton existence, c’est là que tu dois le chercher. Tu vaux mieux que la vengeance, tu vaux mieux que la fuite. Ce n’est pas le destin — ça n’existe pas. Non, la nature de ce pouvoir ne dépendra que de ce dont tu décides d’en faire. Ne l’oublie jamais, Elaena.

L’instant qui suivit, l’homme n’était plus là.

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