Chapitre 3-1

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L’Académie. Ici, j’apprendrai à me battre. Je deviendrai plus forte, et plus courageuse, et plus féroce. Puis un jour, je retrouverai ceux qui ont tué papa. Je les traquerai, je les pourchasserai et je leur mettrai la main dessus. Alors ils regretteront de ne pas s’être mieux cachés.

Pourtant, Elaena éprouvait une certaine difficulté à se laisser persuader par ses propres pensées. Sans doute les paroles de cet homme, ou de ce rêve, l’avaient-elle davantage ébranlée qu’elle ne l’avait envisagé de prime abord. Elle décida cependant qu’il n’était pas le moment d’y songer : dès le matin suivant, les cours dispensés aux aspirants soldats, dont elle faisait désormais partie sans trop se permettre d’y croire, allaient occuper une vaste part de son temps et consommer une quantité plus importante encore de son énergie.

L’Académie militaire d’Azur, connue et reconnue dans l’intégralité des terres de Tercania, n’avait pas usurpé sa terrible réputation : la formation y était particulièrement corsée et exigeante, sur le plan physique autant que psychique. Les novices se levaient avant l’aube pour enfiler l’uniforme réglementaire, chacun identique aux autres. Ils se rendaient ensuite au réfectoire, où ils recevaient une ridicule portion de pain gris et de fromage. Les cours, dispensés à des groupes de différents niveaux, débutaient aussitôt après et s’étendaient sur l’entièreté de la journée, jusqu’au coucher du soleil. Quelque temps à peine d’un tel mode de vie avait suffi à épuiser Elaena, qui passa ses premières heures de repos allongée sur son lit dans le vain espoir de soulager ses muscles endoloris. De plus avait-elle rejoint la formation en cours de route, outrepassant les voies d’inscriptions traditionnelles, condamnant quelques-unes de ses heures de sommeil à se changer en un rattrapage rébarbatif.

Heureusement, la force de son caractère, plus tenace que l’écarlite, l’un des minéraux les plus résistants de Tercania utilisé notamment par les armées de Rubis dans la fabrication d’équipements, ainsi que dans la fortification de points militaires et civils stratégiques, poussa son corps à admettre un tel rythme après seulement quelques semaines lors desquelles résonnait sans cesse dans son esprit une série de phrases toutes faites, issues des livres qu’elle consommait sans compter. Elle parvint alors à allier les cours obligatoires avec plusieurs séances d’entrainements personnels bienvenus, rattrapant rapidement le retard qu’elle avait accumulé sur les autres novices.

Si elle aimait parfaire sa technique seule ou à l’aide d’un mannequin, elle évitait autant que possible de travailler avec de véritables élèves, malgré les recommandations de ses professeurs : elle ne supportait pas l’idée de fréquenter les garçons de son niveau. Lorsqu’elle en était pourtant forcée, certains — si rares fussent-ils — fournissaient tous les efforts possibles, jamais suffisants toutefois, pour dissimuler leur étonnement ou leur indignation ; la plupart, par contre, ne tentaient même pas de paraitre dignes : comment pouvaient-ils bien le rester, alors que la meilleure académie militaire de Tercania leur imposait de s’entrainer aux côtés d’une fille de paysan, qui avait obtenu illégitimement une place parmi eux, élite guerrière du continent ?

Aussi Elaena avait-elle soigneusement esquivé les différents groupes qui s’étaient naturellement formés tout autour d’elle. En ce sens, son arrivée tardive se révélait une alliée inattendue : rien ne devait la détourner de son ultime objectif. Lier une amitié, quelle que soit sa forme ou l’influence que cela aurait sur elle, risquait de lui coûter une énergie précieuse.

Très précieuse… Elaena ne savait pas combien de temps la malédiction se tiendrait tranquille. De ce que je décide d’en faire… C’est bien beau, mais jusqu’à présent, c’est plutôt elle qui décide de ce qu’elle fait de moi. Elle ignorait ce qu’elle devait mettre en œuvre pour la plier à sa propre volonté, sans que le contraire n’advienne dès qu’elle relâche son emprise afin de reprendre des forces. Cela est-il seulement possible ? Peut-être cette vision était-elle totalement insensée. Un rêve étrange teinté de folie. Sans doute suis-je déjà perdue.

Plusieurs mois d’apprentissage au sein de l’Académie ne lui avaient rien révélé qui lui aurait permis de concrétiser ce rêve troublé auquel elle aurait pourtant voulu se fier. Elle savait pertinemment que le temps lui était compté : retenir l’énergie qui s’amassait en elle devenait plus éreintant chaque jour qui passait. Accumulant ainsi la fatigue, elle finirait tôt ou tard par y céder. Mieux vaut ne pas penser à ce qui adviendrait alors…

Chaque jour, elle cherchait une solution à ce problème ; chaque jour, elle ne trouvait rien. Pas la moindre piste, pas le moindre indice. Lorsqu’elle écoula l’un de ses rares jours de repos dans les rayonnages de la bibliothèque de l’Académie, dans l’espoir de mettre la main sur un document ou un autre qui mentionnerait quoi que ce soit, n’importe quoi !, au sujet de ce qu’elle avait à affronter, elle découvrit une impressionnante quantité d’informations à propos de terribles conflits passés, de très valeureux soldats, d’ingénieuses techniques de combat, d’histoires plus ou moins méconnues ayant eu lieu sur les Terres de Saphir et les autres, mais rien qui ne puisse l’éclairer sur la question qui était la sienne. Comment est-il possible que personne n’ait jamais rien écrit à ce sujet ? Suis-je la seule sur laquelle une telle malédiction s’est jamais abattue ? Peut-être tous les autres y ont-ils succombé, comme je le fais.

Ce soir-là, alors qu’elle regagnait les chambres réservées aux novices, elle se sentait triste, et à la fois en colère. Mais rapidement, ce fut un profond désespoir qui s’empara d’elle. Un désespoir douloureux. Cela faisait des mois entiers qu’elle fréquentait l’Académie, tant qu’elle avait renoncé à les compter, pourtant elle avait l’impression de n’être que l’ombre de celle qu’elle était lorsqu’elle avait tenté de disparaitre pour de bon. Elle n’avait rien appris qui lui aurait permis d’avancer sur une meilleure voie. La solitude qu’elle s’était imposée à elle-même pesait toujours plus lourdement sur sa conscience et, si ses professeurs disaient d’elle qu’elle avait largement progressé dans les matières qu’ils lui enseignaient, elle se sentait sans cesse dépourvue face à l’énergie qui la rongeait lentement. À force de ronger, elle trouvera une sortie. Si je ne parviens pas à l’en empêcher, tous mes efforts auront été vains.

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