Chapitre 3-5

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Dans le grand réfectoire de l’Académie d’Azur régnait une confusion amusante, bien que quelque peu irritante, à cette heure de la matinée : le soleil n’était pas encore sur le point de s’élever dans le ciel que la plupart des jeunes novices déjà se bousculaient et chahutaient, dans l’espoir d’obtenir rapidement le frugal petit déjeuner qui leur avait été préparé.

Nahel se tenait sur la pointe de ses bottes afin de se dresser aussi haut que possible, jusqu’au-dessus des innombrables têtes qui se déplaçaient dans un chaos à l’apparence étonnement organisée. Ses yeux sautaient frénétiquement d’un garçon à un autre, observant très brièvement chacun d’eux, puis aussitôt le suivant, et ainsi de suite. Il exulta en silence lorsqu’il entrevit enfin la chevelure qu’il recherchait, longue, lisse et sombre ; l’unique fille de l’Académie ne passait pas inaperçue parmi tant de crânes très peu garnis, sinon rasés.

Aucun doute : je reconnais cet éclat ! Seul le regard le plus attentif pouvait distinguer cette brillance discrète ; et celui de Nahel en était, du moins dès lors qu’il y prêtait davantage d’importance. Ce jour-là, il était particulièrement aiguisé.

Le garçon tenta de percer la foule qui s’agitait dans le réfectoire. Pourvu qu’elle ne disparaisse pas avant que je lui mette la main dessus, se disait-il, remarquant qu’à présent qu’il s’était embourbé de la sorte, il ne pouvait plus apercevoir sa cible, ni rien d’autre qui ne fût pas directement sous ses yeux. Il avait mémorisé avec autant de précision qu’il l’avait pu l’endroit où il l’avait si brièvement repérée. Dès lors que sa vision fut libérée, car émancipée du cadre le plus fréquenté, il fut en mesure d’y voir bien plus clair, et constata avec soulagement qu’elle n’avait pas pris la fuite.

L’unique fille de l’Académie se trouvait juste face à lui, attablée en silence, à l’écart de tous les autres novices.

Ses cheveux, noirs et lumineux à la fois, étaient jetés négligemment derrière ses épaules. Elle était globalement assez mince. Son visage à la peau lisse et radieuse, seulement entaché de quelques bleus, évoquait encore celui d’une enfant baignée dans l’innocence, perverti par un air rude et introverti.

Depuis qu’il l’avait rencontrée, voici moins d’une journée, Nahel n’avait pas eu de réelle possibilité de l’observer avant tant de minutie ; il eut à reconnaitre que sa beauté l’intimidait.

Il inspira avec force, expira et inspira de nouveau, gonflant sa poitrine afin de l’emplir de courage. Allons, cela va bien se passer.

— Ah, tu es là ! lança-t-il vivement. Quel hasard, dis donc.

Il avait fait appel à ses meilleurs talents de comédiens, qui n’avaient cependant jamais été bien développés, afin de simuler une certaine surprise. Toutefois, au vu de la réaction plus que mitigée de son audience, il douta sincèrement de l’avoir convaincue. Qu’importe.

— Elaena, c’est bien ça ?… C’est bien ça. Ça t’embête si je me joins à toi ? Je n’ai trouvé aucune autre place.

Elaena ne lui répondit pas. Elle ne sembla pas même lui accorder une once d’attention : sa tête penchée en avant resta tout aussi neutre que son regard tourné vers le repas posé sur la table de bois. Elle engloutit une bouchée de pain exagérément importante avec peu de raffinement et avala le tout sans réellement le mâcher. Puis elle en mordit férocement une autre.

Elle ne s’est pas enfuie, et mes dents sont encore en place. C’est un bon début.

— Tu sais, à propos d’hier… continua-t-il alors que le ton de sa voix faiblissait à chaque mot, je croyais bien faire en prenant ta défense… ne m’en veux pas.

Seul le silence lui répondit.

— La prochaine fois, je te laisserai faire, alors.

La jeune fille ne réagissait toujours pas.

Allez, Nahel. Ressaisis-toi, ce n’est pas pour cela que tu es ici.

— Et, dis-moi, hem… comment ça va ?... (Il déglutit.) Tu ne parles pas beaucoup. D’où viens-tu ? Pourquoi as-tu rejoint l’Académie ? En cours d’année, qui plus est… Tu sais, moi, j’ai grandi à Azur. Je n’en suis pas sorti très souvent. Mon père était dans l’armée, avant qu’il ne soit tué au combat. C’était le général Karon, tu en as sans doute déjà entendu parler… Il a supervisé la défense des frontières nord-est lorsque Rubis est tombé, et il a même participé aux campagnes d’Émeraude destinées à repousser l’invasion. C’est là qu’il a été abattu par une flèche… tu le savais ? Il m’entraine depuis que je suis capable de marcher. J’aimerais beaucoup voyager, après l’Académie, découvrir le royaume… Pas toi ? J’imagine que tout le monde en a envie. Non ?

Rien ne semblait pouvoir lui arracher le moindre mot. Murée dans un silence apparemment impénétrable, elle ne lui adressa aucun regard.

A-t-elle seulement remarqué que je lui parlais ?

— Tu n’es pas obligée de me répondre, si tu ne le souhaites pas. J’ai des tas de choses à raconter, de toute façon… Savais-tu que le professeur Grimsen n’avait jamais mis les pieds sur un champ de bataille ? Il est devenu enseignant bien avant le début de la guerre. Il était déjà vieux, à cette époque… Certains prétendent qu’il a des affinités avec le roi. Mais personne ne sait de quoi il s’agit exactement… Oh ! peut-être était-il l’un de ses amis d’enfance, ou l’un de ses conseillers, ou bien son garde du corps personnel ! Cela expliquerait son étonnante maitrise des armes. Tu ne crois pas ?… Hé, attends-moi ! Je ne sais pas où se déroule notre premier cours, aujourd’hui. Heureusement que tu es là, n’est-ce pas ?

Nahel la rattrapa d’un bond. Il était déterminé à ne pas renoncer, peu importe ce qu’elle en penserait. Il avait remarqué qu’aucun autre novice ne daignait lui accorder l’attention qui devait lui revenir, à l’instar même de certains professeurs. Pareille injustice ne pouvait le laisser de marbre, alors il avait décidé d’agir.

Personne n’a le droit de se trouver face à tant de solitude. Ça n’est pas humain. Elle mérite mieux que cela, j’en suis certain.

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