Chapitre 3-8

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Quelle est donc cette perle ?

Allongée sur l’inconfortable matelas qui occupait une part majeure de sa chambre de novice, Elaena contemplait l’étrange gemme blanchâtre qu’elle portait autour du cou depuis qu’elle avait vu le jour, près de quinze ans plus tôt. Ses contours lisses et réguliers semblaient envelopper un étincellement coloré à peine perceptible, même lorsqu’elle y prêtait une certaine attention.

Jamais je n’avais pris le temps de vraiment l’étudier, d’en déceler la beauté.

Pourtant, s’il lui parut que l’un ou l’autre marchand zélé aurait pu lui en offrir un prix intéressant, il lui sembla également que rien ne lui suggérait les étonnantes capacités qu’elle lui observait de fait.

Un bijou à l’apparence banale, qui par ailleurs me permet de vivre. Plus rien ne me surprendra jamais.



Comment donc ai-je pu la laisser seule ?

Nahel traversait le dortoir des novices au pas de course. Cela faisait plusieurs heures qu’Elaena avait été victime de ce qu’elle avait réduit avec tant d’insistance à un simple coup de fatigue, rien de plus. Je l’ai pourtant bien vue pâlir et cesser de respirer, jusqu’à ressembler à un cadavre. À présent qu’il avait cédé à l’éternel désir d’isolement de la jeune fille, il regrettait de ne pas se trouver auprès d’elle, de ne pas s’assurer de sa bonne santé. C’est mon rôle, après tout. Je suis son ami.

Il s’interrompit l’espace d’un instant.

Oui, sans aucun doute. Je suis après tout le seul à réellement me soucier d’elle, ici. Qu’elle l’admette, ou non. Pourtant, elle m’a bien fait comprendre qu’elle ne voulait pas de compagnie. De la mienne, ou pas de compagnie du tout ? Sans doute préfère-t-elle rester seule, éviter tout contact. Ou peut-être est-ce parce qu’elle se sent marginale, parmi tous les garçons de l’Académie. Sans aucun doute, mais elle ne le devrait pas. Je suis certain que nombre d’entre eux seraient prêts à lui reconnaitre la valeur qu’elle possède. Mais, si… ?

Le fil de ses pensées l’avait mené presque malgré lui jusqu’à sa destination, dans l’ombre d’une porte en tout point semblable à celle de sa propre chambre ; une porte sobre, discrète, usée. Sur le bois délavé, trois chiffres à peine visibles : quatre, deux, huit.

C’est ici.

Nahel leva la main, l’approcha lentement de la surface terne, hésita.

Il frappa trois coups subtils juste sous les petites inscriptions.

Mais n’obtint aucune réponse. Peut-être a-t-elle finalement gagné l’infirmerie. Ou bien est-elle déjà endormie. Je ne voudrais pas la réveiller, ou l’empêcher de se reposer. Mais si elle…

— Je n’ai besoin de rien, glissa une voix légère depuis l’autre côté de la porte.

— Elaena ? s’enquit-il aussitôt. C’est moi, Nahel. Je suis venu voir comment tu vas.

La même voix étouffée lui répondit.

— Ça va. Retourne te coucher, il est tard.

Nahel refusa pourtant d’en rester là. Ce n’est pas en demeurant ainsi seule qu’elle obtiendra l’aide dont elle a besoin. Qu’elle trouvera quelqu’un à qui parler.

— J’entre, dit-il sur un ton quelque peu embarrassé en se glissant jusque dans la petite chambre, essuyant aussitôt le franc lancer de chaussure qui l’accueillit. Moi aussi, je suis content de te voir, Elaena.

S’il avait pu, quelques jours auparavant, se sentir bien désarçonné par le comportement parfois brutal de la jeune fille, il s’était surpris, au fil de leurs rencontres, à lui trouver là un trait attachant.

— Qu’est-ce que tu veux ? Je t’ai dis n’avoir besoin de rien.

Elaena était assise en tailleur sur le rebord de son matelas. Elle avait troqué sa tunique d’entrainement pour le même vêtement de nuit terne que celui qui était fourni à chacun des novices. Un épais ouvrage à la couverture visiblement décrépie était posé sur ses cuisses. Il émanait d’elle une aura que Nahel n’aurait pas été capable décrire à l’aide des mots dont il avait connaissance : malgré l’air rude qui froissait son fin visage, son regard semblait bienveillant, doux, presque paisible. Tant que Nahel ne put s’en défaire. Les yeux à l’apparence purement angélique dans lesquels il avait plongé un regard frileux le détournèrent de toutes les politesses qu’il avait tant visualisées quelques minutes plus tôt.

Ce fut le sincère agacement qui exhala soudainement d’Elaena qui le tira de sa rêverie.

— Qu’est-ce que tu veux ? insista-t-elle.

Bref silence, embarrassant toutefois.

— Par rapport à tout à l’heure, bégaya le garçon, tu m’as réellement fait peur. Tu es certaine que tu vas bien ?

Son regard perdit tout caractère angélique. Peut-être l’ai-je vraiment contrariée, cette fois.

— C’était rien. Laisse-moi.

Les émotions qui se bousculaient dans l’esprit de Nahel étaient si hétéroclites qu’il ne sut comment réagir : l’image d’un visage doux et paisible se heurtait avec l’irritation presque palpable qui flottait tout autour de lui en un vacarme déconcertant. Un vacarme qui l’encombrait tant qu’il ne put réfléchir à ce qu’il dit ensuite.

— J’ai traversé tout le dortoir pour venir te rendre visite. Je ne vais tout de même pas m’en aller si rapidement.

Il regretta immédiatement ses paroles. C’est certain : elle va me jeter dehors.

Pourtant, elle n’en fit rien. Elle ne répondit rien non plus, se contentant de river sur lui un air accusateur. Nahel en profita pour tenter de mener cette étrange conversation sur une voie plus conventionnelle.

— Que lis-tu ? s’enquit-il en tendant le bras vers l’ouvrage posé face à la jeune fille.

Une main aussi rapide qu’une lame réprima aussitôt son assaut.

Puis un violent éclat de voix.

— Ne touche pas… !

Le livre bascula et chuta brutalement contre le sol, libérant d’entre ses pages une petite feuille de papier chiffonnée, offrant à la vue de qui y prêtait attention les quelques traits maladroits qu’elle arborait.

Elaena se figea. Le silence qui suivit fut si lourd, si insupportable, que Nahel tenta de le briser par de timides excuses, aussitôt couvertes de cris et d’insultes courroucées déferlant d’un visage bien plus rude qu’angélique.

Un visage qui lui ordonnait de disparaitre, et de ne plus revenir.

Jamais Nahel n’avait perçu pareil désespoir.



Il n’a pas le droit ! Il ne peut pas ! S’il s’infiltre dans ma vie, il finira par le découvrir. Je finirai par le lui dire. Je lui dirai. Parce qu’il est le seul ici qui pourrait comprendre.

De lourdes larmes ruisselaient le long de ses joues, s’écoulant jusque sur l’oreiller.

Je ne peux pas ! Non, je ne peux pas le fréquenter ! S’il l’apprend, il me vendra. Et tout sera terminé. Non, je ne peux pas. Je dois le garder loin de moi.

Ses pleurs résonnaient entre les murs tristes de la pièce. Elle était secouée de violents sanglots.

Pourtant, j’ai tant besoin…

De parler.

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