Chapitre 3-11
Cette amitié est si belle à observer.
Enfin Elaena semble-t-elle sourire, par moments.
Enfin semble-t-elle heureuse.
Nahel est un véritable miracle.
Sans sa présence, peut-être n’aurait-elle pu survivre bien longtemps encore.
— Surveille tes appuis, Elaena ! Ne baisse pas les poings ! Garde les yeux rivés sur l’adversaire !
— Ne me dis pas quoi faire, reste concentré.
— En garde, tu ne peux rien face à ma technique légen… !
— Ah ! Nahel et son orgueil sont vaincus !… Tu vas bien ?
— Ne vise pas la tête, la prochaine fois. Et puis, d’abord, comment fais-tu pour lever ta jambe si haut ?
— Ne baisse pas les poings, garde les yeux rivés sur l’adversaire.
Elaena lui avait jeté un sourire en coin alors qu’elle l’aidait à se relever.
— Hé, Elaena. Savais-tu qu’en l’an mille trois cent cinquante-six, une révolte avait éclaté contre le roi Morod ? Ici même, à Azur. Le roi avait ordonné qu’elle soit réprimée par la force mais, subitement, les armes des deux parties avaient fondu. Complètement ! Ni les soldats ni les insurgés ne pouvaient continuer à combattre. Alors la rébellion en resta là.
— Ce ne sont que des légendes.
— Personne ne sait comment cela a pu se produire, si bien que certains affirment que c’était l’œuvre des dieux.
— Si personne ne le sait, c’est parce que ça n’a jamais eu lieu.
— Beaucoup disent pourtant y avoir assisté.
— Beaucoup seraient prêts à dire n’importe quoi pour se rendre intéressants. Maintenant, tais-toi, Nahel. Nous allons encore nous faire jeter de la bibliothèque.
— Mademoiselle Elaena, quel est donc ce raffut ? Faites silence, ou sortez d’ici !
Le regard qu’elle lui avait jeté était si noir qu’il en avait ri sous cape.
— Tiens, Nahel.
— Quoi ? Ne me dis pas que… tu ne manges pas ta tomate ?
— C’est pas bon.
— Je ne vais pas te forcer, dans ce cas. Mais tu manques quelque chose. Ces tomates sont délicieuses. Et puis, tu dois manger pour prendre des forces.
— Tu n’es pas ma mère, que je sache. Mais puisque je dois prendre des forces, comme tu le dis, donne-moi donc ce biscuit.
Nahel n’avait pas eu la moindre occasion de protester.
— Très bien. À présent, qui, parmi vous, peut me rappeler le nom de la religion que pratiquent les habitants de l’île de Kernel ? Elaena, tiens. Je suis certaine que tu connais la réponse. N’est-ce pas ?
— Et bien…
— Allons, Elaena. Nous en avons parlé la semaine dernière. Tu sais, lors du cours que tu écoutais si attentivement, comme à ton habitude. Alors ? Nous attendons.
— …
— L’hédonisme !
— Vous avez perdu votre langue, jeune fille ?
— Je…
— C’est l’hédonisme !
— Nahel, c’est à Elaena que j’ai posé une question. Pas à vous. Mais puisque vous semblez si bien connaitre ce cours, vous passerez la soirée à le lui réexpliquer, dans la salle de retenue. Elle en a bien besoin.
Cette fois non plus, Elaena ne s’excusa pas.
— À ton tour.
— Vraiment ? Es-tu sûr que ce coup est judicieux ?
— Absolument. Allez, joue donc.
— Comme tu veux. Mais tu as eu tort, cette fois : si je déplace ma tour juste ici, ton cavalier périt. Je gagne !
— Tu gagnes, vraiment ? Attends donc que je prenne cette tour. N’as-tu pas vu mon pion, qui attendait que tu te jettes dans son piège ?
— Bien sûr, que je l’ai vu. Évidemment que je l’ai vu. Et à présent qu’il s’est déplacé, il laisse la voie libre à mon fou. Échec et mat. Ha !
Elaena lui rappela longtemps cette victoire.
— Par ici. Viens voir, Elaena.
— Qu’y a-t-il, encore ?
— Viens donc, ça en vaut la peine.
— J’espère bien. On court depuis deux heures, je n’en peux plus.
— Cesse de te plaindre, regarde ça.
— Oh.
— Le château n’est-il pas magnifique, de ce point de vue ?
— Comment as-tu découvert cet endroit ?
— Mon père m’emmenait parfois visiter les environs. Il me disait que cela me serait utile, un jour.
— C’est magnifique.
Nahel savait ce que cela signifiait, lorsque cela venait d’elle.
— Tiens, Elaena. Le livre que je t’ai promis.
— Tu l’as déjà terminé ? Tu l’as commencé il y a juste quelques jours !
— Je peux lire vite, tu sais ? Et puis, il faut dire que cette Histoire complète et détaillée de la sécession des familles d’Onyx à la suite d’un désaccord avec les Terres de Saphir est particulièrement intéressant. Quand bien même il n’est pas si complet et détaillé qu’il peut le prétendre.
— Merci, Nahel.
— Ne traine pas trop, si possible. Je dois le rapporter à la bibliothèque avant la fin du mois.
Elaena acheva sa lecture en deux nuits.
— J’aimais beaucoup me rendre là-bas, tu sais. Algo était vraiment très gentil, avec moi. Plus qu’avec les autres enfants. J’étais la seule à qui il apprenait à monter à cheval, à qui il laissait voir la ferme quand je le souhaitais, même en dehors des sorties scolaires. Je m’y rendais régulièrement. J’aimais beaucoup y passer du temps, tant tout y était paisible. Tant Algo me traitait comme l’un de ses propres enfants. Il est l’un des seuls à ne pas m’avoir méprisée, après que… enfin, tu sais. Après qu’ils aient tous appris que j’étais une sorcière.
— Elaena…
— Je sais, je ne devrais pas utiliser ce mot. Désolée, je m’y suis habituée, depuis le temps. Il est difficile de m’en défaire.
— Ne t’inquiète pas, tu y parviendras avec le temps.
Le temps, il passa. Elaena et Nahel demeurèrent amis. Désormais, ils étaient persuadés qu’ils ne se sépareraient pas.
Voici enfin ce qu’elle attendait : une raison de se battre.
Une authentique motivation qui la détermine à avancer.
Sa vengeance constitue le prétexte qu’elle se brandit à elle-même.
Mais c’est en réalité Nahel qui la tire vers l’avant.
Pourquoi ce garçon s’obstine-t-il à ce point, lui seul le sait.
À présent, il reste à espérer qu’il pourra se montrer suffisamment patient.
Et, surtout, qu’il parviendra à la retenir lorsqu’elle tentera d’à nouveau s’échapper.
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