Chapitre 4-3
— Directeur Kellor, pardonnez mon impertinence, mais c’est urgent. Vraiment très urgent.
— Ça a intérêt à l’être, pour me réveiller ainsi au beau milieu de la nuit ! gronda le directeur de l’Académie. Dans le cas contraire, je vous fais rétrograder !
Que se passe-t-il encore, nom d’un chien ? Kellor émergea tant bien que mal de son sommeil et se dressa sur son matelas, visiblement le plus moelleux et confortable de tout l’établissement. Alors qu’il s’apprêtait à frotter ses yeux à l’aide de ses deux poings, il aperçut le teint livide du soldat qui se tenait sur le pas de sa porte. Aussitôt il eut l’impression de lui-même pâlir.
— De quoi s’agit-il, soldat ? se reprit-il. Faites-moi un exposé complet de la situation.
— Directeur Kellor, les six hommes chargés de la garde du pont sont morts. Gorge tranchée. Nous soupçonnons qu’au moins un intrus est parvenu à s’introduire dans notre enceinte.
Kellor sentit une désagréable sensation s’emparer de son abdomen.
— Que dites-vous ?
Le soldat ne fit que confirmer qu’il l’avait bien compris.
Pourquoi quiconque souhaiterait-il s’introduire ici ? L’Académie ne conserve aucun objet de valeur, ni le moindre trésor ! Alors pourquoi, pourquoi tuer ? Rien ici ne justifie la mort de soldats. Rien…
— Que l’on appelle tous les soldats disponibles, ordonna-t-il en se levant soudainement, et que l’on réveille tous ceux qui dorment. Organisez des patrouilles dans tout le domaine. Consignez tous les novices dans leurs quartiers et placez en permanence suffisamment d’hommes sur le pont. Personne ne le traverse jusqu’à nouvel ordre, que ce soit pour entrer dans l’Académie ou pour la quitter. Suspendez les cours tant que nous ne serons pas certains que tout est parfaitement sécurisé. Avons-nous la moindre idée de ce que ces bâtards convoitent ? Venez, nous parlerons en marchant. Je dois aller sur le pont, immédiatement. Y a-t-il des témoins de ce qui s’est passé ?
— Non, monsieur, aucun témoin. Les intentions de cet intrus ne sont pas claires.
Si aucun objet conservé ici ne peut justifier de tuer, qu’est-ce… ? Bien sûr, les novices ! Nombre d’entre eux sont issus de riches familles, de pères au passé glorieux dans notre armée. Cela ne peut être que ça !
— Que l’on verrouille tous les accès aux dortoirs ! Personne n’entre ni ne sort. Réveillez les novices, qu’ils soient prêts à se défendre, arme à la main. Qu’ils tuent, s’il le faut. Mais qu’ils restent dans leurs chambres et condamnent portes et fenêtres. Multipliez les patrouilles dans les dortoirs. Fouillez chaque recoin de ces couloirs !
— Bien, monsieur.
Ils ne pourront pas se terrer éternellement. Avec l’aide des novices, nous les trouverons en moins de deux.
Kellor pressa le pas, marchant de plus en plus rapidement en direction du pont. Il désirait savoir lesquels de ses hommes avaient péri si injustement, comprendre comment cet intrus avait pu échapper à leur vigilance.
— Directeur Kellor ! lança un autre soldat, accourant dans sa direction. Directeur Kellor, deux novices viennent de se présenter au pont, en provenance de la ville. (L’homme tentait en vain de reprendre son souffle.) Nous… nous les retenons, pour le moment.
— Vous faites bien. Savez-vous qui ils sont ?
— Il s’agit de Nahel Karon, fils de feu notre général Karon. L’autre… c’est Elaena, monsieur.
— Merci, soldat. Vous pouvez disposer.
Que diable faisaient-ils dehors à cette heure ? Cette môme ne me causera donc que des problèmes ! Si jamais elle a quoi que ce soit à voir avec toute cette histoire, je jure de la faire pendre par les pieds !… Non, elle ne peut pas être liée à ceci, elle en serait bien incapable. Et puis, qu’en tirerait-elle ? Quant à Karon, son vénérable père l’a bien éduqué, j’en suis certain. Bien qu’il coopère avec cette paysanne. J’admets que leurs notes à tous les deux s’en sont vues bien améliorées, mais tout de même.
Kellor se ressaisit en apercevant enfin le pont de l’Académie ; un édifice magnifique, quand bien même il doit être le théâtre d’un si triste spectacle.
— Où sont les novices qui sont rentrés ? tonna-t-il alors qu’il s’avançait entre les très nombreux soldats aux visages généralement déconcertés, inquiets ou émus.
Ils ne sont pas habitués à tant de remue-ménage.
— Nous les gardons dans les geôles, sous bonne garde, monsieur. Ils ne risquent pas de s’enfuir.
— Je m’inquiète pour leur sécurité, répliqua-t-il. Nous avons affaire à une équipe douée : on ne vient pas à bout de six soldats si facilement.
Kellor réfléchit à voix haute.
— Ils devaient savoir que nous barricaderions aussitôt les novices et qu’ils seraient prêts à se défendre. Créer pareille agitation ne peut avoir pour but que de détourner notre attention afin qu’ils puissent s’en prendre aux seuls novices qui étaient en permission, et par conséquent absents des dortoirs.
Bien sûr.
— Le fils Karon est la cible. Fouillez ses appartements ainsi que ceux qui l’encadrent directement, assurez-vous que rien de dangereux n’y est dissimulé. Fournissez-lui des armes, qu’il soit prêt à se défendre. Escortez-le jusqu’à sa chambre, et établissez une surveillance permanente. Que personne ne passe la porte de cette pièce.
— Que faisons-nous de l’autre, monsieur ?
— Elaena n’est ni une cible ni une menace. Qu’elle regagne sa chambre sans faire d’histoire.
— Bien, monsieur.
— À présent, reprit Kellor, conduisez-moi à ceux qui sont tombés. Je dois les voir.
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