Chapitre 5-1
Voici deux jours et deux nuits, Elaena est entrée dans la chambre de novice que j’occupais à l’Académie Militaire d’Azur. Elle avait alors une mine mauvaise, plus mauvaise encore que lorsqu’elle avait été victime d’un coup de fatigue, quelques heures auparavant.
Son visage était aussi pâle que si elle avait été mourante et aussi luisant de sueur que si elle venait de s’entrainer durant un jour entier. Elle n’avait prononcé aucun mot, mais ses yeux grands ouverts disaient tout de la détresse qui l’avait envahie. Elle s’était tenue immobile, haletante, plongeant dans les yeux perplexes de son ami un regard glaçant.
Aussitôt, Nahel avait troqué la surprise pour une inquiétude oppressante.
— Que se passe-t-il ?
Les paupières d’Elaena s’étaient agitées, comme pour la rappeler à son esprit.
— Je dois partir, tout de suite.
Elle avait manifestement hésité avant de prononcer ces mots ; sa voix avait été faible et tremblante, bien qu’apparemment assurée. Pourtant se tenait-elle toujours immobile, perdue, incapable de décider de ce qu’elle devait faire.
Nahel s’était approché d’elle, avait posé ses mains sur ses épaules ; mais rien n’aurait pu la tirer de son désarroi. Il lui avait parlé sur un ton doux et rassurant.
— Elaena, tous les hommes qui sont venus jusqu’ici sont morts ou détenus par la garde. Tous les soldats de l’Académie et de la ville surveillent cet endroit, plus aucun intrus ne pourra s’y infiltrer. Et puis, rien ne permet d’affirmer que c’était toi qu’ils…
Elaena l’avait interrompu aussi fermement qu’elle en avait toujours été capable, retrouvant subitement l’air assuré que Nahel lui connaissait.
— Ils ont laissé un message, dans ma chambre. Un poignard, marqué de ce même emblème que portaient ceux de Lanelle. Ce sont eux, il n’y a aucun doute. Ils savent où je suis et ils n’hésiteront pas à revenir.
Nahel n’avait su que répondre. Les paroles de son amie s’étaient progressivement changées en vociférations de plus en plus féroces.
— Nous ne pourrons pas toujours les repousser. Pas sans risquer de blesser davantage de personnes. Je me dois de fuir, de disparaitre jusqu’à ce que je devienne capable de les battre et de remonter jusqu’à celui qui les guide.
Nahel s’était trouvé aussi désemparé que l’avait été Elaena quelques minutes plus tôt.
— Elaena…
— Je ne te demande pas de m’accompagner. Mais je voulais que tu saches que je m’en vais, dès maintenant.
Aussitôt, Nahel avait pris une décision inébranlable. Il n’avait pas eu à réfléchir le moindre instant.
Il avait su que rien ni personne, ni lui-même, ne serait capable de la pousser à reconsidérer sa décision.
Il avait su que rien ni personne, ni elle-même, ne serait capable de le pousser à rester à l’Académie.
Il avait décidé que leurs routes ne pouvaient se séparer.
— Laisse-moi cinq minutes.
J’ignore, encore aujourd’hui, ce qui m’a poussé à prendre une telle décision.
Pourtant, encore aujourd’hui, je ne la regrette en rien.
Cette fois, enfin, Elaena ne tentait pas de fuir seule. Enfin, elle m’a accordé une pleine place à ses côtés, renonçant à son éternel vœu de solitude.
Il est à présent de mon devoir de la convaincre de ne plus le rattraper.
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