Chapitre 5-5

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Elle marchait seule. Progressait passivement, se laissant porter par le rythme lent de ses pas qui la guidaient au hasard dans le cœur d’une végétation invisible. Tout autour d’elle, seule une foule de pensées incohérentes, vide de sens et de passion. S’écarta, laissant la place à celle qui s’imposait naturellement, sans violence. Pensée calme, paisible. Souvenir, série d’images de et sons, de sensations et de sentiments, vides de tout impact, n’exacerbant la moindre émotion.

Souvenir dont la toile de fond semblait être une copie imparfaite de celle dans laquelle elle se trouvait.

Là, une fillette suit ses propres pas. Une enfant dont le regard est plus sombre encore que le sien. Plus vide encore que son cœur. Une enfant aux cheveux sombres qui marche seule, avance passivement, se laisse porter par le rythme las de ses pas dépourvus d’énergie, la guidant au hasard dans le cœur d’une végétation invisible et sans couleurs. Une enfant perdue, livrée au monde et à la douleur, couverte de boue, de bleus et de rouge ; le cœur dégoulinant d’un filet de sang rayant son corps telle une lame purificatrice ; cœur brisé d’une entaille qui demeurera à jamais béante.

Une entaille impossible à guérir, signe immuable de sa faiblesse, rappel indéfectible de son échec.

Une entaille qu’Elaena n’a jamais cessé d’éprouver.

La fillette, quelque temps auparavant, des heures ou peut-être des jours, était sans doute celle qui s’était trouvée agenouillée dans une flaque de boue, une étendue froide qui refusa de la prendre. Sous son corps faible et meurtri, enveloppe physique trahie par un esprit enseveli sous une montagne de peine, s’étendait une robe blanche, pure, paisible ; éclat de lumière recouvert de saletés, déchiré par la colère et le désespoir. Ainsi arrachée à tout ce qui la protégeait encore, à tout ce qui la préservait de la fureur de la nuit, l’enfant fut enveloppée d’un manteau de froideur, couverte des ténèbres glaçantes qui trempaient ses cheveux, ruisselaient le long de sa peau, l’écrasaient sous le poids de toute sa triste réalité. Ténèbres humides bientôt rejointes par un déferlement de larmes et de sanglots.

Désormais transie de froid, couverte d’impureté, agenouillée au cœur d’une étendue infinie de solitude, l’enfant décida que plus rien ne lui valait de vivre, que plus rien ne lui valait de demeurer en cette enveloppe de souffrances, enveloppe honteuse déjà perdue.

Enveloppe tant futile que fugace, dont l’unique destinée était de revenir à sa fin.

Une lame souillée, autant qu’elle, celle d’un couteau dissimulé dans les replis de la robe de nuit déchirée, désormais dans le creux de ses mains ; mains tremblantes, hésitantes mais pourtant si décidées ; mains s’approchant lentement de sa poitrine, lame en avant, pointe contre peau. Sensation désagréable, celle d’une pointe aiguisée posée contre un corps devenu insignifiant ; sensation libératrice, celle d’une pointe aiguisée s’enfonçant lentement au travers de sa peau. En un mouvement lent, calme, décidé, et pourtant si effrayé qu’il en tremblait, lacérant davantage une entaille déjà bien trop cruelle. À chaque tremblement, une nouvelle larme, un nouveau sanglot. À chaque tremblement, plus d’indécision et de douleur.

Un sourire, brumeux ; un visage, aimant, bienveillant. Le seul qu’elle avait encore.

Au dernier tremblement, un cri, un geste, un recul.

Le couteau ensanglanté s’écrasa quelques mètres devant elle. Les yeux écarquillés, recouverts de larmes éternelles, la bouche ouverte en un cri sans fin, elle s’abandonna à la force qui lui hurlait de renoncer, à cela, à tout. À tout ce qui lui restait, à rien.

Elle s’écroula sur le côté, se laissant aller à la boue froide et humide qui la recouvrait lentement, se laissant aller à la vague de tristesse qui l’ensevelissait de tout son long.

Elle demeura ainsi durant un temps qu’elle n’aurait pu compter, épuisant toutes les larmes qui demeuraient encore en elle.

Des larmes, désormais semblables à celles-là, pourtant si différentes.

Elaena glissa son avant-bras contre ses joues afin d’en chasser la rosée. Face à elle, une étendue sombre et froide, une clairière terreuse sur laquelle gisait une lame sale, couverte de boue et de sang séchés. Une lame, telle qu’elle aurait pu la reconnaitre parmi mille autres, car une lame qui lui avait tant coûté, et tant apporté.

Elle ne s’arrêta pas. Elle posa son pied sur le couteau ensanglanté, l’enfonçant davantage encore dans la terre meuble, jusqu’à l’y faire disparaitre complètement, le soustrayant à jamais à son regard. Glissant des doigts tendres et sévères le long de la rude cicatrice qui meurtrissait son cœur, Elaena avança, la tête haute, les poings fermés. Un pas, après un autre.

Laissant derrière elle le souvenir de la fin de sa vie.



Elle marchait, progressait, se laissait porter par le rythme de ses pas qui la guidaient au hasard jusqu’au seuil d’une petite cabane de bois. Une ruine, abandonnée sans aucun doute depuis plusieurs années.

Une ruine qui, pourtant, éveillait dans l’esprit d’Elaena une foule de nouveaux souvenirs.

Lorsqu’elle y pénétra, elle n’y trouva qu’une solitude plus grande encore.

Il aurait eu tort de m’attendre.

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