Chapitre 5-6

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L’homme qui se trouvait là, debout dans l’obscurité de la cabane abandonnée, lui adressa un sourire énigmatique, transparent. Elaena glissa dans sa direction un regard, d’abord surpris, ensuite paisible.

— Qui êtes-vous donc ?

Il ne cessait de sourire. Il émanait de lui une immense bienveillance, infiniment moins réprobatrice que lors de leur première rencontre.

— Toi seule peux me nommer, Elaena.

Elle ne répondit pas.

— Dis-moi, que fais-tu ici ? reprit-il.

— Tu le sais sans doute, toi qui me connais si bien, répondit-elle d’une voix qui ne reflétait pas la moindre agressivité.

— Tu n’as pas tort. Alors, laisse-moi te le prouver. Tu espères retrouver Layne, ton frère, l’unique lien qui existe encore entre cette petite fille qui a tenté de mettre fin à ses jours et la femme que tu es devenue.

— Cette petite fille est parvenue à sa fin, rétorqua Elaena. Elle n’existe plus, à présent. Il ne reste que moi.

— Alors pourquoi tant t’y accrocher ? Pourquoi revenir ainsi sur ses traces ? Pourquoi tant chercher à la retrouver ?

La voix d’Elaena ne dériva à aucun instant vers la colère ou le mépris. Elle semblait au contraire particulièrement paisible, détendue.

— Ce n’est pas ce que je cherche, dit-elle. Layne est tout ce que j’ai laissé. Je lui dois bien une visite.

L’homme grimaça, effaçant de son visage le sourire qu’il avait arboré jusque là. Et ne dit rien. Il se contentait d’adresser à Elaena un regard cette fois critique.

— Cesse de mentir, dit-il finalement après un long silence. Tu ne pourras pas te duper éternellement. Alors dis-moi, pourquoi es-tu venue ?

Elaena hésita.

— J’ai besoin de savoir s’il va bien, dit-elle enfin, avant de partir.

— Layne se porte à merveille, sois rassurée. Il s’en est allé à Lanelle après avoir compris où tu te trouvais. Grâce à lui, ces villageois superstitieux ne te poseront plus le moindre problème ; ni à toi, ni à lui. Si du moins tu demeures bien loin de leurs terres.

Elle soupira imperceptiblement.

— À présent, reprit-il, dis-moi. Où donc pars-tu ?

— Je l’ignore.

— La question fut mal posée, dans ce cas. Il s’agirait plutôt de se demander : avec qui donc pars-tu ?

Elaena sentit son cœur s’emballer. Aussitôt, elle comprit. Elle comprit que la prochaine étape de son voyage se trouvait à quelques pas de la cabane ; elle l’attendait au détour d’un chemin, s’interrogeant une nouvelle fois quant au comportement étrange de sa tout aussi étrange compagne de route ; ou profitant de son absence pour cueillir quelques baies rouges très certainement comestibles.

— Je pars avec lui, dit-elle alors, cette fois d’une voix bien plus forte et assurée, mais toujours dépourvue de colère.

L’homme sourit à nouveau. Mais ne l’interrompit pas.

— Je le suivrai. Oui, je le suivrai jusqu’à la Forteresse d’Argent. Qu’importe le danger que cela représente : il s’agit de la meilleure chose à faire, à présent. Nous ne pouvons fuir éternellement, nous ne pouvons sans cesse regarder derrière, entretenir une haine teintée de crainte. Nous nous devons d’avancer, de composer avec ce qu’il advient, sans quoi nous ne pourrons jamais le changer. Alors, je le suivrai. Je le suivrai, parce que…

Mais l’homme n’était plus là. Seule demeurait Elaena, au cœur d’une cabane délabrée, demeure des derniers souvenirs bienveillants qu’elle gardait de cette vie qui n’était plus la sienne. Demeure de la dernière tendresse, demeure de la dernière caresse. Dernière demeure, avant la fin.

Elaena la quitta, sans se retourner. Elle avança entre les branches, guidant son pas assuré dans la direction qu’elle avait décidé de leur donner.

Oui, je le suivrai.

Elle leva les yeux vers le ciel.

Je ne me retournerai plus.

Puis les reposa devant elle.

Je ne fuirai plus.

Les reposa sur le visage de Nahel ; visage duquel une trace d’inquiétude bienveillante disparut aussitôt qu’il la vit.

Je ne regretterai plus.

Visage qui éveilla en elle une vague de sentiments étranges ; sentiments agréables ; sentiments emplis de chaleur.

Je le suivrai.

Visage qui l’appelait, qui la suppliait de le rejoindre.

Parce que…

Alors elle le rejoignit, brutalement et pourtant si délicatement ; elle le rejoignit, l’enlaçant de ses mains, de ses bras, de tout son corps ; elle le rejoignit, posant ses lèvres contre les siennes, en un baiser qui déversa en elle une passion infinie.

Parce que je l’aime.

Un baiser qui leur sembla éternel.



Chaleur, douceur, bonheur.

Amour, tendresse, plaisir.

Que sont ces sentiments ?

Si forts, si puissants, pourtant indéchiffrables.

Comment ai-je pu les retenir ?

Les ignorer, si longtemps ?

Ils me semblent pourtant si évidents.

Si évidents, si parfaits, et néanmoins si dangereux.

Ai-je réellement le droit d’y succomber ?

Ai-je réellement le droit d’accueillir ce bonheur ?

J’ai pourtant fait tant de mal.

Je me suis fait tant de mal.

J’ai tant de chemin à parcourir.

Ai-je réellement ce droit ?

Ai-je réellement le droit d’aimer ?

Une immense chaleur l’enveloppa.

Alors Elaena cessa de penser.

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