Chapitre 5-9
Ils marchaient depuis quatre jours. Alors que la nuit était sur le point de tomber, alors que doucement la lueur du soleil prenait un teint légèrement orangé, de plus en plus, Nahel et Elaena avançaient côte à côte dans un silence pesant pour l’un, rassurant pour l’autre. Un silence seulement brisé par le son de leurs pas sur le sol chargé de la forêt, puis sur le sol ferme et vide d’une immense plaine dépourvue de toute forme de vie : ni faune, ni flore, ni la moindre trace de vie humaine, à perte de vue.
Un silence alors seulement brisé par la voix quelque peu inquiète de Nahel, qui balayait du regard la vaste plaine morte, couverte seulement de pierres et de roches, plaie béante au cœur d’une forêt si dense qu’elle aurait pu paraître invincible quelques minutes plus tôt.
— Où sommes-nous donc ? Nous n’avons pourtant pas dévié de notre route.
Elaena s’avança lentement. L’immense clairière semblait ne pas avoir de fin. Seuls quelques nuages solitaires offraient à cet étrange paysage un certain contraste. Dessous, une infinie plaine rocheuse, parfaitement plane. Et pas la moindre forteresse.
— La Forteresse d’Argent n’est pas dans cette direction, observa-t-elle. Nous devrions rebrousser chemin. Sans doute avons-nous manqué quelque chose.
Ainsi revinrent-ils sur leurs pas, fut-il pour une bien courte distance.
Le jeune homme parcourait les immenses couloirs en tentant de maintenir une allure plus que soutenue. Il courait de toute la force de ses petites jambes, passant de couloir en couloir, d’intersection en intersection, s’époumonant dès lors qu’il apercevait quelqu’un qui se trouvait sur son chemin.
— Laissez passer ! disait-il, je détiens une missive de la plus haute importance ! Faites place !
Il lui semblait que jamais il n’avait traversé si rapidement le dédale qu’abritait ce château. Et, pourtant, jamais il n’avait été aussi peu convaincu de l’urgence et de l’importance du message qu’il transportait.
Cours aussi vite que tu peux, qu’ils disent. Le roi doit en être informé dans les plus brefs délais, qu’ils disent. Mais à quoi bon ? Il hurla à nouveau de lui faire place et se faufila au cœur de la colonne de gardes qui se trouvaient en travers de sa route — sans toutefois en toucher aucun. Nous ne sommes pas sur le point d’être envahis, nom d’un chien ! En quoi ceci constitue-t-il une urgence pareille ? Pourtant, il ne ralentissait pas, sa course ne faiblissait en rien : après tout, les ordres étaient les ordres. Et les ordres avaient été de porter ce message aussi vite que cela lui était possible. Tant pis : mon rôle n’est pas de comprendre de quoi il s’agit, mais simplement de transmettre. Et si je porte ce message — apparemment capital — assez rapidement, aucun doute !, les autres cesseront enfin de me prendre pour un gamin. Je vais leur montrer ce que c’est, un véritable messager royal !
Le véritable messager royal en herbe, très légèrement distrait qu’il était par ses propres encouragements, ne put cette fois pas hurler sa si rapide progression — progression qui fut très nettement interrompue par l’homme qu’il renversa en un grand fracas.
— Veuillez m’excuser, tâtonna le messager en tentant de reprendre ses esprits. Je suis…
Il s’interrompit aussitôt que ses yeux se posèrent sur l’homme qui se trouvait allongé contre le sol.
— Oh, monsieur le conseiller, bégaya-t-il en aidant le pauvre homme à reprendre une position plus conventionnelle. Je suis sincèrement confus ! Navré ! Affligé ! Désolé, oui désolé comme rarement, que dis-je, comme jamais je ne l’ai été ! Je vous prie de me croire, lorsque je vous présente mes plus sincères excuses ! Lorsque, très humblement, je…
— C’est oublié, l’interrompit fermement le conseiller sans toutefois élever la voix. Mais tâchez de prêter davantage attention à votre route, à l’avenir, monsieur… ?
— Wynegarliam, monsieur le conseiller, messager du roi. Je détiens une information de la plus haute importance qui doit sans attendre rejoindre les oreilles de Sa Majesté Laciel.
— Très bien, Wynegarliam, apprenti messager du roi, rectifia le conseiller non sans une certaine insistance. Confiez-moi donc cette si précieuse information. Je me ferai un plaisir de la porter aussitôt à Sa Majesté.
Wynegarliam demeura un instant silencieux, quelque peu dubitatif. C’est contraire au protocole, se dit-il. Le message est bien destiné au roi, et à personne d’autre. Comment pourrais-je renoncer à gagner la salle du trône, simplement parce qu’un conseiller me l’ordonne ? Certes, il s’agit de Terryos, le fameux Terryos, le célèbre Terryos. Célèbre, cela va sans dire, pour être parmi les plus proches conseillers du roi, et assurément parmi ses plus proches amis. Mais tout de même, cela peut-il justifier pareille entorse au règlement ? Je ne pourrais…
— Je vous écoute, apprenti messager, clama Terryos afin de tirer Wynegarliam de ses encombrantes pensées. Qu’y a-t-il donc de si important dont le roi doit si prestement être informé ?
Sans conteste, je ne le peux, se disait-il encore, quand bien même le regard très insistant du plus proche conseiller et ami du roi. Non, cela m’est défendu ! Je commettrais une grave atteinte au règlement des messagers qui me sera inévitablement bien trop couteuse ! Non, pardonnez-moi à nouveau, monsieur le conseiller, mais…
— La foudre est arrivée. Voici le message, monsieur le conseiller. Tout de même, monsieur, ne trouvez-vous pas qu’il s’agit là d’un message bien futile pour un roi, quand nous connaissons la capacité de notre belle forteresse à résister aux caprices des éléments ? Je veux dire…
— Merci, apprenti messager, l’interrompit à nouveau Terryos. Vous pouvez disposer.
Tout de même, se dit-il alors que le conseiller se dirigeait promptement dans la direction de la salle du trône, tant d’agitation pour une petite tempête… Le monde de la politique me sera toujours étranger.
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