Chapitre 6-2

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Elaena fut conduite au travers d’une interminable série de couloirs, d’embranchements, de portes, de salles, de portes, d’embranchements et encore de couloirs. L’homme richement vêtu marchait devant elle sans piper mot, sans même s’assurer qu’elle le suivait toujours. Le claquement rapide et régulier de ses bottes heurtant un sol immaculé résonnait contre les murs vides des lieux qu’ils traversaient. Plongées alors dans un profond silence, exemptes de toute forme de vie ou de mobilier, les nombreuses pièces de la forteresse se trouvaient enfin gratifiées, à leur passage, d’un bref instant d’une vie rigide et pressée, aussi fugace qu’une brise, ou qu’une bourrasque, selon ce qui était considéré.

Tout en marchant, trottinant presque, Elaena observait avec plus ou moins d’attention le lieu dans lequel elle avait été si précipitamment menée. Tout ici l’intriguait, tant jamais elle n’avait rien vu de pareil. Les couloirs et les salles qu’elle traversait étaient si grands et si nombreux qu’elle avait l’impression de marcher depuis près d’une heure. Elle se surprit à considérer l’hypothèse selon laquelle ce lieu avait été ensorcelé, tant il lui semblait impossible de construire un bâtiment aussi grand, un enchainement aussi infini de salles et de couloirs, de couloirs et de salles, et encore, et encore. Jamais cela ne semblait vouloir s’arrêter, et pourtant Elaena n’avait encore croisé aucun soldat, aucun domestique, aucun noble, aucun être vivant quel qu’il soit et qui aurait pu confirmer qu’ils se trouvaient bien non seulement dans une forteresse, mais surtout dans une forteresse non ensorcelée. Elle n’avait pas croisé non plus la moindre trace de mobilier : outre la pièce dans laquelle elle avait été initialement conduite avec Nahel, aucune de celles qu’elle avait découvertes depuis ne semblait avoir une quelconque utilité. Elle ne parvint pas à déterminer si le concepteur de ce lieu avait simplement prévu tant d’espace que, finalement, une grande partie de celui-ci ne trouvait aucune raison d’être, ou s’il avait précisément pour utilité de laisser les invités le plus loin possible de ceux qui vivaient ici. Ou si le lieu était bien ensorcelé.

Peut-être les trois.

Ces couloirs et ces pièces vides et inutiles, pourtant, n’avaient rien à envier au plus riche et luxueux des palaces. Le sol sur lequel Elaena posait un pied qui se sentait illégitime était si lisse et si propre qu’il semblait transparent, quand bien même cette transparence ne faisait que lui renvoyer le reflet de ses chevilles. Les murs étaient recouverts d’une tapisserie bleue aux motifs infinis, et le plafond était paré de dorures et de moulures telles qu’Elaena n’en avait vu que dans les livres illustrés qu’elle avait feuilletés à l’Académie, et dont elle avait toujours eu bien des difficultés à croire l’authenticité. Le tout habilement éclairé par une folle quantité de lustres grandioses dont chacune des bougies, sans la moindre exception, était dans un état irréprochable.

Assurément, ce lieu est ensorcelé, se dit-elle, quand bien même elle n’avait jamais pu s’assurer de l’existence du moindre sortilège à proprement parler. Pourquoi diable entretenir tant de bougies dans un lieu si vide et inoccupé, sinon ?

Ils progressèrent durant un temps encore si long qu’Elaena commençait à sentir ses jambes s’indigner. Interrompant tant bien que mal le flot de pensées qui envahissaient sans cesse son esprit, elle laissa son regard se perdre dans l’immensité du faste dénudé qui l’assaillait sans interruption.

Puis, aussi soudainement qu’avaient surgi ces étonnantes pérégrinations à travers ces couloirs olympiens, elles prirent fin face à une porte dont la simplicité et l’exiguïté dénotaient de manière flagrante avec le reste du lieu dans son entièreté, ou presque. L’homme richement vêtu s’arrêta, se retourna, indiqua la petite porte d’un geste large et d’une parfaite fluidité, arborant un sourire aussi immense que silencieux.

Elaena, guère bien plus loquace, posa la main sur la poignée argentée — après tout, je n’ai pas réellement le choix.

Elle poussa la porte.

— Entre ! Entre donc, ma chérie ! s’écria une voix énergique et joyeuse.

— Ferme derrière toi, continua une autre, bien plus austère que la première.

— Allez, viens, ne sois pas timide, fit une troisième, sur une touche de nouveau joyeuse.

— Nous allons te refaire une beauté, petite fleur. Tu vas être resplendissante, termina la plus douce des quatre.

Quatre dames, dont l’apparent grand âge n’enlevait pas davantage à la beauté qu’à l’énergie, se tenaient fièrement au milieu d’une panoplie d’instruments de toutes tailles et de toutes formes, ainsi que d’étoffes de toutes couleurs et de tous aspects. Leurs habits, tant colorés qu’élégants, les auraient fait remarquer dans n’importe lequel des milieux qu’Elaena pouvait imaginer ; nulle part elles n’auraient pu passer inaperçues. Derrière elles, posé sur le mur qui faisait directement face à la porte, se trouvait un immense miroir — sans doute le plus grand qu’Elaena n’avait jamais vu, y compris dans les livres illustrés de l’Académie. Les sincères et immenses sourires des dames — à l’exception peut-être de l’un d’eux, qui ressemblait davantage à une grimace un peu lasse —, gravissant si haut sur leurs joues que leurs yeux en paraissaient plissés, fit monter dans la gorge d’Elaena un léger sentiment de malaise, un embarras teinté d’appréhension telle qu’elle n’en avait, lui semblait-il, jamais ressenti.

Luttant contre tous ses instincts, Elaena s’avança dans la pièce, refermant bien peu délicatement la petite porte, et s’immobilisa face aux dames, qu’elle dépassait toutes d’au moins une tête. Face à elle, son maladroit reflet apparaissait dans l’immense miroir. Se découvrant ainsi emmitouflée dans le vieux manteau noir qu’elle portait depuis plusieurs années et qui témoignait de chacune des aventures dans lesquelles il l’avait déjà accompagnée, elle comprit le sens des laides grimaces et des étonnants froncements de nez de ses hôtes.

— Quelle est cette odieuse odeur ?

— Ton voyage doit avoir été long, petite fleur.

— Indiscutablement ! Qu’on lui prépare un bain.

— Allons, ma chérie. Déshabille-toi, que l’on te décrotte comme il se doit.

Ceci acheva de mettre Elaena effectivement mal à l’aise.

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