Chapitre 6-5
La salle du trône des Terres de Saphir était proprement gigantesque. À l’image de l’intégralité de ces couloirs sans fin, mais en un seul et unique endroit. Partout où Elaena posait les yeux — qu’elle ne parvenait pas à garder stables et droits, déterminés et rassurés, comme il en aurait sans doute été de coutume dans pareille situation —, elle ne trouvait que luxe, richesse, beauté, grandeur. Partout, les murs étaient couverts d’une tapisserie brodée de feuilles d’or et de bas-reliefs. Partout, de sublimes peintures représentaient une infinité de scènes historiques ou sans doute fictives. Partout, le mobilier s’apparentait davantage à des œuvres d’art qu’à de simples meubles tant il était raffiné et détaillé. Partout, le sol brillait tant qu’il semblait entièrement fait de miroirs au centre desquels glissait un tapis de velours bleu qui semblait indiquer la route à suivre.
Tout était stupéfiant, spectaculaire, grandiose. Incroyable, plus encore que ces couloirs — qui semblent bien sobres, en comparaison, se disait Elaena, que tout cela laissait pantoise.
Tout, dans cette immense salle, était si luxuriant, magnifique, chamarré, que les mots semblaient manquer pour la décrire.
Pourtant, cette fois encore, Elaena n’eut pas le loisir de s’extasier face à cette si folle manifestation du savoir-faire des hommes, du talent des artistes de Saphir. Elle aurait pourtant été capable de contempler des heures durant les tableaux, les moulures et les pierres précieuses étalés tout autour d’elle. Elle aurait été capable de se pencher sur chacun des innombrables secrets que renfermait cette décoration si étourdissante qu’elle aurait pu en devenir lassante. Toutefois, elle n’en eut aucun loisir, car face à elle se trouvait le roi.
Debout au fond de l’immense salle, au pied de l’imposant trône adossé contre le mur, se tenait un homme, seul, dont la prestance et la grandeur, pourtant significatives à sa petite échelle, semblaient bien modestes par rapport à ce qui l’entourait.
Le roi.
Elaena en était certaine : le long manteau qu’il portait, un vêtement bleu particulièrement raffiné couvert de motifs dorés et d’une infinité d’autres ornements et fioritures en tout genre, ainsi que l’impressionnant bijou couvert de pierres précieuses — majoritairement bleues elles aussi — qu’il portait sur un crâne peu garni, en étaient des preuves largement suffisantes.
Le roi.
Sous tant de prestance, l’homme n’était pas très grand. Il portait une longue barbe blanche. Un ventre rondelet pouvait être deviné sous son vêtement. Il se tenait certes debout, mais une discrète faiblesse semblait paraitre sous sa droiture apparente.
Le roi.
Cet homme était Sa Majesté Laciel, le roi des Terres de Saphir, celui dont tout le monde, à travers Tercania tout entier, connaissait le nom.
Et je suis face à cet homme. Je me trouve face au roi, face à ce nom que j’ai tant entendu sans jamais le rencontrer, face à ce personnage qui animait tant d’histoires et de légendes, tant de hauts faits et de miracles.
Elaena se sentit faillir.
Mais comment diable me suis-je retrouvée là ?
Ce fut seulement alors qu’Elaena se rendit compte de la situation dans laquelle elle se trouvait, qu’elle vit ce dans quoi elle s’était elle-même précipitée. Les heures et les jours qui venaient de s’écouler avaient été pour elle si éprouvants, si contraignants, qu’elle n’avait à aucun moment été en mesure de faire halte, d’interrompre son perpétuel mouvement, d’éteindre ses sens pour inspecter son esprit, d’étudier et de comprendre ce qu’elle faisait. Elle avait tant été aveuglée par la peur, par la peine, par l’amour, par la joie, l’admiration et l’angoisse, que jamais elle ne s’y était soustraite afin de les observer de loin.
Et, à présent, elle se rendait compte de son erreur, de sa négligence. Elle se rendait compte qu’elle ignorait tout de la cour, de ses us et de ses coutumes — dois-je m’incliner, faire une révérence, demeurer immobile ? Elle se rendait compte qu’elle n’avait aucune idée de ce que le roi voulait d’elle — n’était-ce pas à nous de lui adresser une requête, en premier lieu ? Elle se rendait compte qu’elle n’avait pas pris le temps de décider de la suite de son chemin — pourquoi n’en ai-je pas davantage parlé avec Nahel ? Elle se rendait compte que le roi se trouvait face à elle, qu’une Trismos se trouvait face au roi, que la foudre était toujours là. Elle se rendit compte qu’elle portait des gants, de magnifiques gants blancs sertis de mille pierres sans doute précieuses — assurément cela fait-il partie des habitudes de la cour, mais elle peinait à s’en convaincre totalement. Pourquoi sinon m’en auraient-ils donné, pourquoi ?
Elle se rendit compte que de lourdes gouttes de sueur ruisselaient le long de son front, alors que le roi avait posé sur elle des yeux graves.
— Mademoiselle Syana, articula lentement une voix qui semblait surgir du fond de son âme. Nous avons à parler.
Elaena déglutit bruyamment — trop, du moins.
— J’ai une proposition à te faire, Élue de Trismos.
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