Chapitre 7-2
Après qu’Elaena ait été emmenée par l’homme richement vêtu, Nahel était resté seul durant plus d’une heure. Peut-être même deux, ou trois : la fatigue accumulée au cours de leur voyage avait rapidement eu raison de sa relative inquiétude, et il avait sombré dans le sommeil. Il était ainsi étendu sur le sol de la pièce dépourvue de mobilier, et même de fauteuil, lorsque son repos malgré tout agréable fut interrompu par un autre homme, tout aussi richement vêtu que le premier.
— Monsieur Karon, veuillez me suivre.
Aussitôt émergé de sa torpeur, Nahel marqua son impatience.
— Où est Elaena ?
— Je vais vous conduire jusqu’à mademoiselle Syana, répondit l’homme sur un ton qui ne déviait en rien de son immense politesse. Suivez-moi.
Alors Nahel l’avait suivi. Il l’avait suivi au travers de l’interminable série de couloirs, d’embranchements, de portes et de salles. Il l’avait suivi, stupéfait par tant de luxe et de sobriété à la fois, par le sol, par les tapisseries, par les moulures et enfin par le mobilier qui chassa d’un coup la sobriété. S’il n’avait encore croisé personne, pas même un garde, pas même un noble, il ne doutait plus désormais qu’il se trouvait en un lieu d’une haute importance. Une banale forteresse ne peut s’offrir tant de luxe, tant d’espace, tant de salles inutiles. Aucun doute n’était plus possible, si tant est qu’il en restât : voici la Forteresse d’Argent.
L’homme richement vêtu le mena jusqu’à une porte dont la simplicité, dénotant par rapport à ce qu’il avait vu jusque là, semblait pourtant en parfaite adéquation avec le corridor bien plus modeste dans lequel ils avaient surgi.
Modeste, c’est le mot. Mais tout de même : ce confort ferait pâlir l’internat de l’Académie.
— Bienvenue dans le dortoir militaire est, annonça chaleureusement le guide. Ceci est votre chambre. Celle de mademoiselle Syana se trouve juste à côté de la vôtre.
— Mais…
L’homme lui sourit en l’invitant à entrer.
— Mademoiselle Syana ne tardera pas. N’hésitez pas à utiliser la salle de bains, en attendant. Vous la trouverez à quelques pas, dans cette direction.
— Mais…
L’homme était déjà loin.
Nahel se trouva à nouveau seul.
Si seul qu’il n’eut aucune envie d’utiliser la salle de bains, à quelques pas, dans cette direction. Si seul qu’il ne savait que penser de cette situation. Qu’il ne savait comment se comporter dans cette petite chambre, si rudimentaire par rapport au reste du palais, si luxueuse par rapport à celles de l’Académie d’Azur. Si seul qu’il dut se résoudre à tuer le temps en explorant la petite chambre, en s’asseyant sur la chaise de bois, en ouvrant les portes des armoires, en examinant le matelas, en lisant les dos des quelques ouvrages posés sur l’étagère — Bonnes Manières et Conduite Distinguée du Soldat de Cour, Philosophie Militaire, Brève Histoire des Terres de Saphir, entre autres —, en regardant par la fenêtre.
Pour la première fois depuis qu’ils avaient rejoint la Forteresse d’Argent, Nahel eut l’occasion de voir le ciel.
Et l’extérieur de l’endroit.
De l’autre côté de la petite fenêtre, il découvrit une cour. Une grande cour intérieure, cernée de quatre façades hautes de plusieurs étages. Une cour au sol mêlé de terre et de pierre, où la végétation se faisait plus rare que les mannequins et autres bosquets artificiels.
Un terrain d’entrainement, devina-t-il. Un très beau terrain d’entrainement. Mais qui reste très éloigné du luxe de tout à l’heure. Manifestement, cette forteresse est autant une cour de noblesse qu’une place forte militaire.
Alors qu’il guettait les fenêtres qui habillaient de manière régulière les trois façades qu’il pouvait observer depuis la sienne, Nahel fut tiré de ses réflexions par une voix, encore une fois si affable que cela aurait pu paraitre suspect, en provenance du couloir.
— …votre chambre. Celle de monsieur Karon est juste à côté…
Aussitôt, la porte s’ouvrit en un battement.
Nahel crut d’abord se méprendre.
Face à lui, dans l’embrasure de la porte, se tenait la jeune fille la plus élégante et la plus rayonnante qu’il ait jamais eu l’occasion de voir, il en était certain, sans aucun doute.
Nahel la dévisagea des pieds à la tête. Elle portait des chaussures de cuir à l’apparence si confortable qu’elle semblait flotter par-dessus le sol. Un fin pantalon qui épousait délicatement la course de ses mollets, de ses genoux, de ses cuisses. Une majestueuse veste bleue foncée, couverte de motifs dorés à l’éclat scintillant qui couraient du centre de sa poitrine jusque sur ses bras, telle une explosion de lumière irradiant de son cœur.
Et, par-dessus tout, il y avait ce visage, souriant, lumineux. Il y avait cette chevelure, sombre, éclatante. Il y avait ces reflets bleutés, cette brillance discrète que seul le regard le plus attentif pouvait distinguer.
Nahel la côtoyait depuis plus de deux ans. Pourtant, jamais il ne s’en était rendu compte. Jamais il ne l’avait même soupçonné. Jamais il n’avait pris le temps de s’arrêter pour la regarder, réellement.
Elaena était immensément belle.
Lorsqu’elle s’approcha, Nahel fut saisi par son parfum. Elle dégageait une senteur si délicate, si douce, si agréable, qu’il eut aussitôt honte de ne pas avoir utilisé la salle de bains, à quelques pas, dans cette direction.
Lorsqu’elle s’approcha, Nahel, honteux de plus en plus, ne sut comment réagir. Car, au mépris de la saleté, au mépris de la sueur, elle l’enlaça avec force et douceur, posant son menton dans le creux de son cou, murmurant à son oreille.
— Nahel, dit-elle doucement. Nous devons parler.
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