Chapitre 7-9
Il avait d’abord cru à la plainte d’un revenant, tant le cri avait semblé surgir des tréfonds d’une âme torturée.
Il avait d’abord cru à un rugissement venu du ciel, tant le vacarme avait été brutal.
Il avait rapidement compris qu’il se méprenait.
Violemment soustrait à son sommeil, Nahel surgit dans l’obscurité, plus alerte qu’il n’aurait jamais pu l’être.
Elaena.
Il était persuadé qu’il s’était agi de sa voix. Pourtant, jamais il ne lui avait perçu une telle intonation. Jamais il ne l’avait entendue si terrifiante.
Nahel cessa de réfléchir. D’un geste inconscient, il bondit de son lit, saisit la petite arme qu’il avait dissimulée sous son chevet, déboula dans le couloir et se précipita jusqu’à la porte tout juste attenante à la sienne. Elle n’était pas verrouillée, alors il fit irruption dans la chambre d’Elaena, son arme au-devant, tout prêt à se battre, bien qu’il ne s’en rendait pas bien compte.
Mais il ne trouva personne à battre.
Dans la pénombre de la petite pièce, il ne devina qu’Elaena, assise dans son lit ; ses yeux écarquillés en une expression indescriptible, ses tempes couvertes de perles de sueur ; ses cheveux trempés et ébouriffés, sa bouche béante inhalant frénétiquement comme si elle manquait d’air ; ses draps brûlés, son vêtement éventré, sa peau luisante.
Nahel demeura un instant immobile, pétrifié par la scène qu’il venait de découvrir.
Que s’est-il passé ?
Rapidement toutefois, il se ressaisit. Il s’avança d’un pas dans la pièce, distinguant dans l’obscurité le visage inhumain de son amie, prenant lentement conscience de sa fragilité déchirante, la trouvant privée de toute la beauté qu’il lui connaissait.
Sur sa poitrine, un filet de sang suintait d’une plaie bien trop vive, glissant mollement le long de sa peau. Autour d’elle, du plancher jusqu’au plafond, d’irréguliers sillons serpentaient à même le bois et la pierre, tels les gravures d’un orage féroce et imprévisible. Sur sa peau, des pulsations lumineuses suivaient de semblables motifs, irradiant autour de son cœur et le long de ses membres.
Nahel laissa tomber sa petite arme. Il posa son regard dans celui d’Elaena, mais ne l’y trouva pas. Il n’y vit que la terreur. Un masque glaçant.
S’approchant davantage, il s’assit sur le matelas meurtri pour se porter à sa hauteur. Les perles de sueur avaient atteint son menton et s’écoulaient jusque sur ses bras. Sa bouche béante inspirait bruyamment jusqu’à certains de ses cheveux, souillés par les larmes et les mucosités. Le sang ne cessait de s’écouler de con cœur. La foudre pulsait encore le long de ses artères.
Nahel ne désirait que la prendre dans ses bras, sécher ses pleurs, la serrer contre lui. Mais il n’y parvint pas, car il en avait peur. Elle lui faisait peur, au-delà de sa figure méconnaissable et de son regard possédé. Il ignorait si la foudre était encore là. Il ignorait laquelle dominait l’autre. Il ignorait laquelle il aurait enlacée.
Puis un filet de voix brisa doucement le silence.
— Qu’est-ce que j’ai fait ?
Les mots s’étaient envolés d’entre ses lèvres comme d’eux-mêmes, tristes, tremblants, méconnaissables. Elaena avait posé son regard dans celui de Nahel ; un regard apeuré, celui d’un animal blessé, abandonné à son sort, incapable de recouvrer son calme. Un regard empli de plus en plus de larmes.
Un regard qui est bien le sien.
— Qu’est-ce que j’ai fait ?
Cette fois, les mots avaient été sincères.
— Qu’est-ce que…
Un sanglot la saisit, puis un déluge de larmes.
Alors Nahel combla tout ce qui les séparait encore. Il étendit ses bras autour d’elle, posa ses mains contre son dos fébrile, la serra toute entière contre lui. Il oublia la foudre, il oublia le sang, il oublia les larmes. Il glissa une main dans ses cheveux entremêlés, l’autre contre sa peau brûlante, enveloppant Elaena de toute la bienveillance dont il était capable.
Mais les pleurs et les hoquets ne faiblissaient pas.
Cela faisait longtemps qu’elle n’avait pas pleuré.
Bien trop longtemps.
Elaena pleura jusqu’à tomber d’épuisement.
Elle sombra dans le sommeil.
Nahel la débarrassa des draps brûlés par la foudre.
Il épongea le sang qui avait cessé de couler.
Il la couvrit de sa couverture, car elle tremblait de froid.
Il demeura auprès d’elle le reste de la nuit, ne la quittant pas des yeux.
Toujours présent à ses côtés.
Veillant sur son sommeil.
Paisible, enfin.
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