Chapitre 7-10

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Elle marche calmement au travers d’une étendue de vide infini.

Au loin apparait une silhouette, un petit corps lumineux, dont l’éclat semble celui d’une bougie au cœur des ténèbres.

Bientôt, elle fond sur elle, elle est face à elle, contre elle, comme en elle.

Elle sourit, dégage de son visage sa chevelure rouge. Elle exhibe un sourire malsain, approche son visage du sien. Dépose sa langue contre sa lèvre, contre son ventre une main glacée, contre son cœur une lame de métal. Arrache d’un geste immédiat la perle de son cou, enfonce la lame à travers sa peau. Sent naitre sur ses cheveux deux cornes de pierre, perçant la peau de son crâne. Enfonce la lame, la traversant de part en part.

Elle hurla.

Elle sourit.



Shona ouvrit les yeux sur la voûte majestueuse qui surplombait sa sultane de velours. Aussitôt éveillée, elle sourit. Bien peu fascinée par ce plafond qu’elle voyait pour la centième fois au moins, c’était ce rêve. Ce rêve lui plaisait. Il lui plaisait drôlement, même si elle ne pouvait pas l’expliquer, même si elle n’avait pas de cornes. Cette fille lui ressemblait, à cela près qu’elle était morte de peur, qu’elle était pétrifiée, incapable de faire quoi que ce soit tant elle était paralysée par l’angoisse. Cette fille, elle aurait pu l’être, si elle n’avait pas choisi le contraire. Ça, ça l’amusait.

Alors, le sourire aux lèvres, Shona se débarrassa de ses couvertures et se leva d’un bond. Elle s’étira, son dos craqua. Face à elle, un meuble somptueux, il fallait bien le reconnaitre, fait d’or et de bois, si bien poli qu’il en brillait. Elle savait que tout ce luxe ne lui était pas nécessaire. Pourtant, outre la nécessité, elle était bien heureuse de pouvoir en profiter. Devrait-elle avoir à s’en passer, un jour ou l’autre, ça l’inquiétait peu. Tout ce qui relevait de l’avenir l’inquiétait peu, en général.

Elle détourna son regard de la luxueuse commode et le posa sur les tentures écarlates. Elle fit quelques pas dans leur direction, les écarta d’un geste ample, laissa la lumière du soleil la recouvrir. L’astre était déjà haut, nul doute qu’elle avait une fois de plus sauté le petit déjeuner, et peut-être davantage de ses obligations. Elle détestait les obligations. Hélas, une fois le soleil si haut dans le ciel, elle devait bien s’y plier. Et elle avait faim.

Le soleil devait être bien haut déjà, car elle entendit frapper à la porte de ses quartiers. Ça tombait bien, elle en avait assez de regarder le paysage — c’était toujours le même.

— C’est ouvert.

La porte s’entrebâilla aussitôt, timidement toutefois, et un homme entra. Encore ce valet, ce qu’il pouvait lui taper sur les nerfs.

— Je suis de bonne humeur, aujourd’hui. Je ne veux pas que ça change.

L’homme baissa les yeux.

— Veuillez m’excuser, mademoiselle Shona, mais…

— Allez, je t’excuse. Mais c’est bien parce que je me suis pas levée de travers. Alors, tu veux quoi ?

— Et bien, mademoiselle, votre père vous demande.

— Qu’il attende, je suis pas réveillée.

— Pardonnez-moi, mais il a affirmé que l’affaire était des plus urgentes.

— Alors, dis-lui que je suis morte, là il comprendra que j’ai pas envie de me presser pour ses beaux yeux. Allez, casse-toi !

L’homme hésita ; fort peu longtemps, cela va sans dire, et il prit congé sans demander son reste, d’autant plus rapidement que Shona était prête à l’y aider avec toute la finesse dont elle était capable. Lorsqu’enfin il eut refermé la porte derrière lui, elle souffla. Elle aurait bien apprécié de rester là une ou deux heures encore, de laisser le soleil la réchauffer ou de se recoucher dans sa sultane de velours. Mais elle avait faim. Alors elle marcha vers la luxueuse commode, fit glisser le tiroir, considéra fort peu son contenu et attrapa le premier vêtement que sa main rencontra. Elle s’habilla négligemment et quitta ses quartiers. Elle se ferait belle plus tard, peut-être.

Elle gagna de somptueux couloirs, ne prenant pas même la peine de lever les yeux vers les mille œuvres d’art qui encombraient les murs du château, ni vers les moulures et sculptures serties de millions de couleurs qui la toisaient de leur piédestal, elle se contentait de marcher la tête haute, le regard droit devant elle. Car, comme toujours, son esprit était suffisamment occupé. Que lui voulait-il, cette fois-ci ? Ce qu’il pouvait se montrer exaspérant, à toujours exiger à lui parler pour tout et rien. Si elle était bien heureuse d’avoir été adoptée par un homme aussi riche, elle regrettait qu’il soit si ambitieux à la fois, car il attendait qu’elle le soit aussi. Pourtant, tout ce qu’elle désirait, c’était profiter. Profiter de ce château, de cet or, de cette armée. Rien de plus.

Enfin elle parvint au bureau de son père. Elle y entra sans s’annoncer.

— Tu as sauté le petit déjeuner, rugit-il aussitôt.

L’homme qui se tenait là était grand, imposant, autant peut-être que son lieu de travail. Son air draconien, sa peau si pâle qu’elle paraissait grise, ses cheveux absolument noirs, son long manteau rouge — qu’il portait partout, même à l’intérieur de son château, sans doute pour que toujours on puisse bien distinguer ses nombreux insignes —, tout cela le rendait sans aucun doute réellement intimidant, du moins pour qui se laissait intimider.

Ce n’était bien entendu pas le cas de Shona.

— À ce propos, dit-elle, j’ai la dalle, donc fais vite. De quoi tu voulais me parler ?

L’homme manifesta un évident mécontentement. Il toisa sa fille d’un regard très, très mauvais. La fille en question s’était assise sur la chaise la plus grandiose de la pièce, celle qui se trouvait derrière le bureau le plus pareillement grandiose, ce même bureau sur lequel elle avait étendu ses jambes après avoir attrapé une corbeille de fruits qui se trouvait là.

— J’aimerais que tu prennes cette affaire au sérieux, Shona. Tu sais qu’elle est de la plus haute importance.

— Mais oui, tenta-t-elle d’articuler alors que sa bouche était pleine de mûres, tu me le répètes tout le temps. Je commence à comprendre.

— Alors, comment se fait-il que ta dernière tentative se soit encore soldée par un échec ? Nous ne pouvons pas nous permettre de perdre tant de temps ! Et tant d’hommes, par la même occasion, qui se retrouvent entre les mains de l’ennemi !

Un raisin s’envola à travers les airs pour atterrir directement entre les dents de Shona.

— M’écoutes-tu, au moins ? hurla son père. C’est de la plus haute importance !

— Tout est toujours de la plus haute importance, avec toi ! s’écria-t-elle en se levant brusquement, sans rien perdre de son sourire. Mais dis-moi, mon petit papa, qui a parlé d’échec ?

Elle ne lui laissa pas le temps de prononcer le moindre mot. En un saut, elle fut face à lui. En un geste, elle plaça son index sur sa bouche, comme on ferait taire un enfant trop bavard.

— Nos hommes savent quoi faire, s’ils se font attraper.

La gifle qu’elle reçut fut si vive qu’elle trébucha et eut à prendre appui sur le bureau pour éviter de s’étendre contre le sol.

— Et elle, y as-tu pensé ? tonna l’homme.

Shona gloussa en se frottant la joue, bien peu inquiétée par la douleur qui y irradiait comme une vague.

— Qu’est-ce que tu crois, évidemment que j’y ai pensé. Cesse de t’en faire, pour une fois. La petite foudre est entre de très bonnes mains ! Dès qu’ils l’auront bien arrosée, nous, on n’aura plus qu’à la cueillir. Et tous ses petits fruits seront pour nous. On pourra en faire tout ce qu’on veut. Tout !

Son père ne réagit pas. Il ne sourit pas. Il se contenta de la fixer plus intensément encore.

— Tu n’as pas le droit d’échouer.

Shona ne put s’empêcher de rire.

— Ah oui ? Sinon quoi, tu vas me buter ?

Il la saisit par le col, si férocement qu’il la souleva de terre. Il porta son visage à la hauteur du sien.

— Sinon, insolente, tu n’auras plus même d’yeux pour me regarder prendre le contrôle de ce triste monde. Tu n’auras plus que la solitude pour voir le Royaume de Rubis rétablir enfin l’ordre sur Tercania. Tu n’auras plus rien pour t’extraire à la morsure de ma colère.

Le seigneur Galdus projeta sa fille adoptive contre le sol. Shona tomba sur le dos et glissa un bref instant, avant qu’une rude semelle se s’abatte contre sa poitrine pour l’empêcher de se relever.

— À présent, remets-toi au travail. Récupère-la sans attendre davantage. Bone a achevé ses recherches, nous avons besoin d’elle. Elle est tout ce qu’il nous manque pour enfin mettre la main sur les Terres de Saphir. Alors, si tu échoues, je serai le premier à te faire jeter au fond d’une fosse.

Shona soutint son regard.

Elle sourit.

— Tout est prêt. On attend plus que ta permission.

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