Chapitre 8-1
Elaena prit une profonde inspiration. Elle tendit une main devant elle, l’autre vers sa droite. De l’une jaillit une intense lueur qui s’abattit presque instantanément sur une cible de pierre ; de l’autre, une semblable illumination qui s’échappa au hasard autour d’elle pour aussitôt se dissiper en une évaporation grotesque.
— Elle progresse. Elle progresse rapidement. Certes, elle reste quelque peu imprécise, mais ses gestes sont de plus en plus assurés. Manifestement, son pouvoir ne l’effraie plus. Elle en fait usage sans retenue.
Elaena bondit. S’élançant dans les airs, elle effectua une pirouette par-dessus le mannequin de bois et de foin, prenant appui d’une main sur ce qui devait être sa tête. Lorsqu’elle atterrit sur le sable de l’arène, manquant de perdre l’équilibre, l’homme de foin s’effondra en mille morceaux, absolument vaincu.
— Toutefois, elle éprouve encore quelques difficultés à le canaliser… Voyez-vous, elle n’en fait qu’un emploi particulièrement franc. Parfois trop, d’ailleurs. Cela fait partie de ce que nous devrons encore approfondir. Aucun de nous ne tenons à ce qu’elle détruise une autre de nos arènes d’entrainement.
Elaena brandit une épée de métal droit devant elle. D’abord, rien ne se passa ; mais enfin, la foudre glissa de ses doigts et rampa jusque sur la lame, l’illuminant de mille feux. Elaena sourit, et la lame s’illumina davantage, progressivement, jusqu’à ce que la foudre s’en échappe en une explosion tonitruante. Dans sa main, la lame avait disparu. Alors elle en saisit une nouvelle.
— Elle n’a pas froid aux yeux. Elle ne rechigne à aucun nouvel exercice et soumet son pouvoir élémentaire à un grand nombre d’épreuves. Au moins pouvons-nous affirmer qu’elle désire sincèrement progresser.
Elaena posa la paume de ses mains contre une fine planche de bois. Elle demeura un instant immobile, immensément concentrée. Ses mains scintillèrent timidement, puis s’apaisèrent. Elaena libéra le bois ; dessus, une double empreinte noirâtre, la forme de ses mains.
Elaena joignit ses mains, entrelaçant ses doigts, puis les détacha d’un coup, créant entre elles un intervalle de plus en plus important ; intervalle peu à peu comblé par une sphère lumineuse, emplie de foudre, d’abord légère puis de plus en plus impressionnante, mais toujours vacillante. La sphère implosa d’un coup, laissant entre ses mains un néant embarrassant. Elaena joignit ses mains, entrelaçant ses doigts, et recommença, une fois de plus.
Elaena tendit vivement son bras devant elle. La foudre jaillit et s’écrasa contre la paroi de métal, bien loin de la cible qui avait fendu les airs. Encore. La foudre fondit dans le piège de métal. Encore. La foudre glissa contre la cible. Encore. La cible de bois éclata en mille copeaux. Encore.
Elaena quitta le terrain d’entrainement une fois l’obscurité allongée sur la Forteresse d’Argent. Elle regagna sa chambre, emportant à bout de bras trois ou quatre nouveaux livres.
— Elle a soif de connaissances et de maitrise. Je ne doute pas qu’elle deviendra rapidement une redoutable guerrière, avec davantage de pratique ; mais également une étudiante assidue, fière de nombreuses connaissances.
Elaena fondit sur son adversaire, en un assaut si rapide qu’il ne put l’éviter. Nahel, toutefois, encaissa le coup sans difficulté et profita de l’élan par lequel Elaena fut emportée pour asséner contre son flanc un féroce coup de poing. Il la saisit par le cou et la précipita contre le sol, où il la maintint sans difficulté. Elaena eut à se rendre.
— Par ailleurs, elle manque de force physique. Elle est rapide et habile, elle peut esquiver les coups les plus imprévisibles, son esprit tactique est capable de la tirer des pires situations. Mais lorsqu’elle est contrainte à l’affrontement, si elle ne peut pas faire appel à la foudre, elle est perdue.
Elaena frappa de toutes les forces dont elle était capable. Nahel protégea sa tête à l’aide de son avant-bras ; pour riposter avec un crochet aussi rapide qu’impitoyable qui l’atteignit en plein visage. Elaena s’effondra, sonnée ; on aurait pu voir un nuage de petites lucioles tourbillonner tout autour d’elle. Il lui fallut assurément quelques instants pour se rendre compte que Nahel était penché sur elle, sincèrement désolé.
— Nahel, le fils Karon, ne la ménage pas, même s’il semble beaucoup tenir à elle. Il n’hésite pas à éprouver ses limites, et les franchit sans trop de mal. Je pense qu’il lui est d’une grande aide : elle doit s’endurcir, apprendre à encaisser. Elle n’est pas suffisamment robuste.
Nahel brandit son épée, en maitrisant fermement la monture. La lame, parfaitement immobile, s’agita soudain en un mouvement si rapide et complexe qu’il aurait pu paraitre aléatoire, fendant l’air et frôlant son visage en de vives impulsions. Pourtant, la main de Nahel n’en quitta jamais la garde ; elle tourbillonnait entre ses doigts, qui remuaient aussi frénétiquement qu’ils étaient précis et résolus. Puis la lame s’immobilisa d’un coup, comme si le temps s’était arrêté. La main de Nahel n’avait jamais quitté son emplacement.
— Nahel fait preuve d’une assiduité tout aussi remarquable. Sa maitrise de l’épée est exemplaire, même si la technique peut toujours progresser. Je suis néanmoins persuadé qu’il fera un excellent épéiste, peut-être même davantage.
La foudre disparut. Elaena tomba à genoux. Elle semblait exténuée. Tu devrais te ménager, lui disait Nahel, ne négliges pas ta santé, lui répétait-il. Elle ne l’écoutait pas, il devait le savoir mais espérer toujours y croire. Le visage tourné vers le sol, Elaena cessa de respirer. Elle posa ses mains dans le sable et bondit sans crier gare, empoignant Nahel par le cou pour le précipiter dans sa chute. Le garçon suivit son mouvement, roula sur le dos, posa son pied sur l’abdomen d’Elaena pour la faire basculer au-dessus de lui. Il se retourna pour la maintenir au sol, mais déjà elle s’était redressée, se tenait accroupie, une main au sol et l’autre levée derrière elle, prête à bondir dans quelque direction que ce soit. Elle sourit, Nahel comprit. L’instant suivant, Elaena lança tout son poids dans sa direction. Nahel se raidit, prêt à encaisser son assaut, mais il ne perçut qu’un souffle effleurer ses bras alors qu’elle glissait derrière lui, puis devant, puis encore derrière, en un ballet si rapide qu’il aurait pu l’étourdir, derrière, devant, à gauche, derrière, à droite, encore, et encore, jusqu’à ce que ses mouvements déferlent subitement sur lui, écrasant tout son poids contre sa poitrine. Sans relâcher son emprise, elle se laissa emporter par son propre élan et glissa jusque derrière le garçon, l’entrainant vers le sol. Nahel toutefois ne tomba pas, du moins pas aussitôt, mais lorsqu’Elaena dirigea vers le sol la paume de sa main, qui aussitôt sembla scintiller, Nahel laissa échapper un cri de surprise ou de douleur. Il s’effondra et Elaena fondit sur lui, s’agenouilla par-dessus son ventre, maintint fermement ses bras contre le sol, posa contre son cou un avant-bras impitoyable. Elle sourit, d’un sourire de triomphe. D’une voix enjôleuse, maintenant son visage si près du sien qu’il pouvait sans doute ressentir son souffle, elle murmura.
J’ai gagné.
— Ils tiennent beaucoup l’un à l’autre, c’est certain. Et ils se tirent mutuellement vers le haut. Il est tout à fait intéressant de les entrainer ensemble. En à peine quelques mois, ils ont tous deux fait d’incommensurables progrès.
— Je te remercie, articula sommairement le roi Laciel.
Le professeur Grimsen le salua avec le respect qu’il lui avait toujours témoigné. Il se dirigea vers la porte de la salle du trône.
— Ils sont promis à de grandes choses, dit-il sans se retourner. Mais tâchons de ne pas trop les hâter. La précipitation n’a jamais été mère de succès.
Grimsen franchit la porte et disparut dans les infinis couloirs de la Forteresse d’Argent.
Laciel soupira, le regard perdu dans l’étendue de ses doutes.
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