Chapitre 8-8

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Face à elle, la plaine semblait s’étendre à perte de vue.

Shona s’était levée du bon pied, ce matin-là, ou le précédent. Elle s’était éveillée heureuse, motivée, enthousiaste. Car elle savait que ce jour serait différent. Cela faisait longtemps qu’elle n’était pas sortie au grand air, hors des murs oppressants de ce palais de malheur. Des mois peut-être qu’elle n’avait pas posé le pied sur l’herbe, qu’elle n’avait pas laissé l’air frais de la campagne l’envelopper, qu’elle n’avait pas laissé ses cheveux rouges glisser dans le vent alors qu’elle chevauchait sans retenue. Des mois qu’elle patientait dans les murs oppressants, qu’elle attendait qu’une véritable mission l’en délivre.

Et enfin elle y avait droit.

Enfin elle pouvait laisser libre cours à ses talents, à ses plaisirs.

Face à elle, la plaine verdoyante, à perte de vue. Derrière elle, le chaos, les flammes. À perte de vue. Signe du succès de son ambition.

Quel pied, se disait-elle, mais quel pied. Shona n’était pas cruelle, du moins pas particulièrement, au contraire de certains des hommes qui l’accompagnaient, de vrais charognards. Cruelle, non, Shona ne se qualifiait pas ainsi : simplement, elle aimait mener à bien les tâches qui lui étaient confiées. Elle y accordait toute son attention. Alors, lorsque le Seigneur Galdus lui avait ordonné de marcher sur Saphir, elle le fit, naturellement, avec une grande application. Elle avait rassemblé ses meilleurs guerriers, mais pas trop, il fallait rester discrets, ses meilleurs chevaux, suffisamment pour combler chacun de ses hommes, ses meilleurs équipements, bien plus que nécessaire, on ne sait jamais. Et elle avait pris la route de bonne heure, chevauchant d’un pas vif en direction de l’ouest, sans s’arrêter plus de temps qu’il n’en faut pour piller l’une ou l’autre ferme, histoire de rassasier les gars de temps à autre. Ne trainez pas, qu’elle leur disait, on n’a pas que ça à faire, et c’était vrai, ils n’avaient pas que ça à faire. Fouiller les petites fermes, violer les belles gamines et tuer les vieux grincheux, c’était très amusant, mais ce n’était pas leur objectif. Ce n’était pas le but de sa mission. Ce n’était pas ce que Galdus voulait. Mais après tout, ce qu’il voulait, peu importait en réalité. Il ne faisait que de se plaindre, de toute façon, quoi qu’elle fasse, il se plaignait toujours, sans arrêt, irrationnel. Ce qui importait, c’était ce qu’elle, elle voulait. Ce que Shona voulait. Et ce que Shona voulait, c’était s’amuser. Elle n’avait jamais rien voulu d’autre. S’amuser. La vie est si longue, se disait-elle souvent, la vie est si ennuyeuse. Dénuée de sens. Alors autant s’amuser, quitte à rester en vie si longtemps, merde. Autant profiter tant qu’elle le pouvait encore, car qui sait quand elle se fera à son tour violer comme les belles gamines et tuer comme les vieux grincheux. Si ce n’est pas par l’ennemi, ce sera par son propre camp, car toute médaille a son revers, et la médaille se retourne dès que le vent souffle un tant soit peu. Ça lui était déjà arrivé, alors ce n’était qu’une question de temps avant que cela ne se reproduise. Au fond Shona ne craignait pas ce moment. Elle était bien trop peu attachée à sa triste vie pour craindre de la perdre du jour au lendemain. Elle ne redoutait pas non plus d’en souffrir, son entrainement avait fait de la douleur une compagne, en quelques sortes, donc non, elle ne la redoutait pas et se sentait prête à l’accueillir si jamais elle venait à l’assaillir. Ce qu’elle redoutait, et là était sans doute la seule chose qu’elle redoutait, c’était de perdre ce sentiment, cette puissance, ce plaisir. De perdre son armée et son épée, de perdre l’air frais de la campagne et les cheveux glissant dans le vent et l’odeur des flammes. Tout ça lui plaisait trop pour qu’elle y renonce. Heureusement, tant que Galdus demeurait de son côté, jamais ce plaisir ne lui serait enlevé, jamais elle ne devrait renoncer à s’amuser dans sa si triste vie. Tant qu’il était de son côté, elle pourrait vivre. Alors elle ferait tout ce qu’elle peut pour qu’il y reste.

Voilà pourquoi Shona marchait avec tant d’application sur Saphir.

Pour une nation si puissante, pour un royaume dont le nom inspirait tant de crainte et de respect, il lui avait présenté bien peu de résistance, jusque là. La frontière en était fort bien gardée, il fallait le reconnaître, mais les soldats qui y étaient postés n’étaient sans doute pas des plus aiguisés, pourrait-on dire. Ils se battaient bien, là n’était pas le problème, mais ils étaient sacrément lents, comme s’ils ne comprenaient pas ce qui se passait sous leurs yeux, comme s’ils n’avaient pas été informés qu’une guerre était menée à leur porte, et qu’une guerre, ça ne reste jamais bien longtemps à la porte. Ces soldats fort peu perspicaces furent vite tués avant d’avoir pu tuer qui que ce soit, et Shona traversa la frontière comme si rien n’avait été là.

À présent, plus rien ne semblait pouvoir lui barrer la route, plus aucun obstacle ne semblait la séparer de son objectif, de la réussite de sa mission.

Car déjà elle apercevait le village se dessiner au loin, ce village planté au cœur d’une plaine nue, dressé là comme si rien ne pouvait lui nuire, offert comme sur un plateau d’argent à quiconque désirait s’en emparer, à quiconque désirait le voir brûler.

Alors Shona, satisfaite, appela ses hommes à se remettre en route. Elle était enfin sur le point de vaincre, sur le point de triompher.

Elle était enfin sur le point de mettre le feu à Lanelle.

Et alors la petite foudre ne pourrait plus se tenir tranquille.

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