Chapitre 9-2
Rubis.
Depuis le coup d’État qui eut lieu vingt ans auparavant, les Terres de Rubis étaient dominées par l’autoproclamé Seigneur Galdus, un ancien haut placé du gouvernement qui fut mécontent des choix de son souverain. Depuis son accession au pouvoir, Galdus avait mené l’armée de Rubis aux quatre coins de Tercania, s’emparant par la force de ses nations pour, prétendait-il, en éradiquer toute la corruption et la malhonnêteté. Après la chute précipitée de la modeste Réalgar, il prit les Terres de Diamant et s’attaqua aussitôt aux Terres d’Émeraude qui, malgré l’aide de l’armée de Saphir, durent rendre les armes après de féroces affrontements. Désormais, seules échappaient encore à la domination du Seigneur Galdus les îles indépendantes de Topaze, de Kernel, d’Azurila, de Malachie et d’Irys, ainsi que la nation d’Onyx et les immenses Terres de Saphir.
À présent, alors que chacun le pensait encore trop affaibli par ses batailles, Galdus conduisait l’armée de Rubis sur ces terres tant convoitées. Les deux nations étaient entrées en guerre lors des Campagnes d’Émeraude, mais chacun savait que l’événement avait considérablement éreinté les deux camps, au point qu’il leur faudrait des années pour se reconstruire. Personne n’aurait pu anticiper une action si soudaine de la part de Galdus.
Rubis est entré. Nahel retournait le message dans son esprit. Il le tordait dans tous les sens, l’observait sous tous les angles, en évaluait toutes les implications. La guerre était-elle de retour ? L’armée de Saphir allait-elle devoir se battre sur son propre sol ? Était-elle seulement assez forte pour lutter ? Elaena et lui-même allaient-ils désormais se battre sur le terrain, au cœur du danger et de la mort ? Étaient-ils réellement prêts à y faire face ?
Nahel se sentit si petit face à de telles questions. Notre vie est sur le point d’être radicalement transformée, il s’était toujours cru prêt à l’affronter. Pourtant, à présent que cette évidence se tenait face à lui, à eux, elle le terrifiait.
— Sont déjà tombés, récitait machinalement le messager, les villages de Lorca, Eldoria, Briseval, Belleforge et Lanelle. La progression de l’ennemi semble pour le moment interrompue dans la plaine de Lanelle.
Déjà le roi vociférait des ordres, rassemblait ses soldats, délivrait aux messagers d’autres messages, faisait appeler ses généraux. Mais Nahel avait cessé d’écouter, car il n’était plus préoccupé que par la course folle dans laquelle s’était lancée Elaena.
Lanelle, entendit-il à nouveau, merde.
Cela faisait longtemps qu’Elaena n’en avait plus entendu parler. Depuis sa fuite du village, après que son père ait été assassiné pour la protéger de la foudre, elle s’était persuadée que plus jamais elle n’y retournerait, que plus jamais elle n’aurait à s’en préoccuper. Elle s’était persuadée que ceux qu’elle avait connus lorsqu’elle était enfant, y compris son propre frère, vivraient une vie calme et paisible tant qu’elle restait loin d’eux, tant qu’elle tenait la foudre à l’écart. Elle s’était trompée.
Lanelle, entendait-elle encore dans son esprit, tombé aux mains de l’armée de Rubis. Et elle n’avait pas été là pour le défendre.
Lanelle est tombé, pourtant Elaena s’apprêtait à le rejoindre. Après avoir traversé les couloirs qu’elle connaissait désormais comme sa propre maison, après avoir attrapé un manteau et une épée dans les quartiers des soldats, elle se rua vers les écuries tout en réfléchissant à la direction à prendre pour rejoindre le village le plus rapidement possible.
Lanelle est tombé, pourtant Elaena volait à son secours, elle voulait retrouver Layne, elle voulait chasser l’armée de Rubis hors de cette plaine qu’elle avait foulé tant de fois.
Lanelle est tombé, l’espoir est vain, il est trop tard, pourtant Elaena refusait de se laisser abattre. Elle refusait, cette fois, de se laisser faire, de se laisser malmener par le destin. Ce destin, je vais lui faire voir qui je suis.
Bientôt elle parvint aux écuries. Elle se saisit d’un équipement, sous le regard d’un palefrenier occupé à brosser une jument. Votre meilleur cheval, hurla-t-elle sans plus d’égards, et l’homme lui désigna un grand étalon noir sans trop comprendre, peu désireux de s’opposer à sa furie. Aussitôt Elaena enfourcha la monture, ajusta son arme et son manteau, prête à s’élancer.
— Elaena, l’interpella la voix de Nahel.
Il ne m’empêchera pas de partir. Elaena savait cette mission insensée, sans doute vouée à l’échec. Elle ne courait certainement qu’au-devant d’un champ de ruines, d’une étendue fumante dépourvue de toute forme de vie. Lanelle est tombé, le message était clair. Pourtant, s’il devait rester le plus mince des espoirs, elle ne pouvait refuser de le poursuivre autant qu’elle en était capable. J’irai, quoi qu’il en dise.
Elle se retourna. Nahel venait de harnacher un cheval à l’allure vigoureuse et se hissa sans peine sur la selle.
— Allons-y, dit-il.
Et, ensemble, ils quittèrent la Forteresse d’Argent.
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