Chapitre 9-3

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Nahel et Elaena venaient de traverser d’un seul mouvement une immense étendue de plaines, de forêts, de routes et de chemins, sans se laisser un seul instant de répit, sans soulager leurs chevaux, sans prendre le temps de penser. Alors que plusieurs jours de marche devaient séparer Lanelle de la Forteresse d’Argent, leur folle chevauchée n’avait pas duré plus de quelques heures. Au moins n’avaient-ils rencontré aucune résistance, ni armée ennemie ni émissaire de la forteresse chargé de les y reconduire. Seulement quelques familles fuyant les affrontements et les flammes, alors qu’eux avançaient à leur rencontre, toujours vers le danger, à croire que nous ne méritons pas la paix.

Ils venaient de traverser une immense étendue de plaines, de forêts, de routes et de chemins, et à présent ils se tenaient au cœur d’une plaine déserte, à deux pas du village qui avait vu naitre et grandir Elaena.

Ou, du moins, du seul vestige qui en avait été laissé.

Lanelle était détruit. Lanelle n’était plus un village, Lanelle n’était plus qu’un souvenir, un amas de ruines, une étendue désolée de laquelle s’élevaient encore une brume noirâtre, une odeur écœurante, un silence écrasant.

Nahel et Elaena s’étaient immobilisés à quelques pas de Lanelle, incapables d’en décrocher un regard meurtri. Ils ne disaient rien, car il n’y avait rien à dire. Seulement à regretter, à pleurer. Par pudeur ou par bienveillance, Nahel n’adressa à Elaena aucun un mot, aucun regard. Que doit-elle penser, en ce moment, se disait-il, quelles sombres idées doivent être en train de l’assaillir. Il aurait aimé la serrer dans ses bras, la réconforter tant qu’il le pouvait. Il aurait aimé l’emmener loin de là, loin de cette horreur, de ce désastre. Il aurait aimé que rien de tout cela ne se soit produit, car il savait que désormais leur vie n’aurait jamais plus rien de semblable.

Sans mot dire, Elaena mit pied à terre et s’avança lentement vers la porte du village éteint.

Sans mot dire, Nahel marcha à sa suite, au travers des cendres.

Car il ne restait pas davantage que des cendres. Les rares bâtisses qu’il pouvait encore distinguer ne tarderaient pas à disparaitre, les routes et les chemins qui sillonnaient le village n’étaient plus que des ombres sur le sol, même les cadavres s’étaient faits proies de la désolation. Aucun rire, aucun cri, aucun pleur, rien ne se laissait plus entendre. Lanelle, village fantôme dans lequel chacun n’était plus qu’amas de chair brûlée, dans lequel plus rien ne vivait. Alors qu’ils marchaient, la désolation ne faiblissait pas. Partout autour d’eux, il n’y avait que des ruines et des corps, des cadavres déformés et des membres dispersés.

Ils n’ont épargné personne.

Absolument personne.

Nahel ne trouvait pas de mot assez fort pour décrire son dégoût.

Progressant dans un silence absolu, ils parvinrent jusqu’à ce qui avait sans doute été la place du village, épargnée par les flammes. Pas par la mort. Partout gisaient des dizaines de corps, des bras, des jambes, des épées, des têtes. Partout gisaient soldats et enfants, assassinés ensemble, comme si les uns avaient été les autres, leurs visages figés dans un éclat de douleur et leurs yeux dans la terreur. Ici un homme vêtu d’une simple chemise, un père de famille, fourche à la main, transpercé à trois reprises. Là, un vieillard étendu face contre terre, les deux bras arrachés, déchiquetés ou piétinés. Plus loin, une fillette couverte de sang, les jambes tordues dans un angle effrayant, une expression inhumaine pétrifiée sur son visage juvénile. Plus loin encore, partout, comme à perte de vue, d’autres corps, d’autres cadavres. La scène, insoutenable, semblait sans fin.

Quelle horreur.

Nahel eut à détourner le regard pour retenir ses larmes. Elaena vomit en un hoquet et s’effondra à genoux dans la boue et le sang.

Doucement, il s’approcha d’elle, posa une main sur son épaule. Une main qu’il voulut aussi bienveillante que possible, douce et rassurante, mais une main qu’elle repoussa en un geste violent, désespéré. Elaena poussa un cri de rage et se tourna vers Nahel, le pénétrant de toute la fureur de son regard, de toutes les larmes qui s’écoulaient contre ses joues, de toute la vomissure qui maculait son menton. Dans ses yeux, la colère laissa finalement place à la tristesse, au chagrin infini, à l’amertume qui se lisait dans ses sanglots. Elle se détourna, se pencha lentement dans la boue, enserra cérémonieusement le corps d’un jeune homme meurtri et posa sa tête contre son cou. Alors que son chagrin redoublait de virulence, alors qu’elle pleurait sans retenue en maudissant le destin, Nahel se sentit plus impuissant qu’il ne l’avait jamais été.

Dans ses bras, Elaena maintenait fermement le cadavre.

Nahel sentit son propre visage blanchir davantage encore.

Non…

Il n’y avait pourtant aucun doute possible, le visage du cadavre ne pouvait mentir.

Non !

Dans ses bras, Elaena maintenait fermement le corps sans vie de son frère.

Layne.

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