Chapitre 9-5
Un bruit, assourdissant.
Nahel fut projeté en arrière par le souffle de la déflagration. Sonné tant par sa chute que par l’explosion qui avait brisé la quiétude de la mort, il eut à lutter pour ne pas perdre conscience. Lorsqu’il releva la tête, il ne vit pas davantage qu’un nuage grisâtre glisser vers le sol, puis des débris de pierre et de bois pleuvoir tout autour de lui.
Sa tête lui semblait vibrer. Tout autour de lui avait replongé dans le silence, comme si l’explosion n’avait été qu’une illusion. Pourtant, lorsqu’enfin il fut capable de se redresser, lorsqu’enfin il brandit son épée face à l’inconnu, il reçut la certitude qu’il n’avait rien rêvé.
Car face à lui, la maison dans laquelle était entrée Elaena quelques minutes plut tôt n’était plus. Là où la bâtisse aurait dû se tenir, fébrile comme en fin de vie, il ne restait que destruction. Et foudre.
Elaena.
Alors que la poussière se dissipait, la foudre n’en faisait rien. Elle s’élevait vers le ciel, elle craquait et crépitait dans les airs, formant un dôme intangible et pourtant impénétrable tout autour d’Elaena.
Elaena !
Elaena vivait, quel soulagement, elle vivait intensément, aussi rudement que la foudre qui s’échappait de ses membres en d’éphémères lacets ondoyants. Elle vivait et vibrait, vibrait de puissance, de colère et de haine. Elle vibrait, elle tremblait, peut-être de peur, alors que face à elle un soldat tenait ferme, ses deux épées droit devant lui, sa cape déchirée flottant dans le vent. Immobile, confiant, comme si l’explosion de la foudre l’avait contourné, comme si son armure rouge l’avait déviée, ou ignorée.
Rouge.
Nahel jura tout bas.
Rubis.
Le soldat rouge semblait sourire. Son regard ne quittait pas celui d’Elaena. Il la défiait, il la provoquait, il la harcelait.
Elaena lui répondit par l’épée.
D’un bond elle fondit sur son ennemi, d’un geste elle abattit sa lame droit vers son cou.
En une ferme intention de tuer.
Le soldat rouge dévia son assaut sans abandonner son sourire, et Elaena prit appui à ses côtés, tournant l’espace d’un instant son regard vers Nahel.
Un regard qui ne semblait plus lui appartenir, qui ne semblait plus voir, qui ne semblait plus que pulsion de mort. Ses yeux étaient pure colère, haine aveugle. Son regard n’avait rien d’humain, elle semblait possédée par la tempête, guidée par la foudre qui ne cherchait qu’à tuer. Un démon, un démon de foudre et de larmes, ce n’est plus Elaena. Je dois la retrouver.
La foudre détourna son regard de Nahel, reportant toute son attention vers le soldat rouge. L’inconnu n’avait pas cessé de sourire, comme amusé par cet accès de colère. Qui est-il ? Comment peut-il résister à la foudre ? Nahel, à présent qu’il le réalisait, n’en revenait pas. Il n’a pas bronché, alors qu’il se trouve juste à côté d’elle. Même sa cape et ses cheveux semblent intacts. Quelle est cette puissance ? Une autre question, pourtant, s’imposa : pourquoi Elaena a-t-elle libéré la foudre avec tant de violence ? Elle est capable de se battre avec bien plus de subtilité. Questions qui restèrent sans réponse, car déjà la foudre bondit à nouveau vers son adversaire, abattant la lame de son épée dans une direction, puis dans l’autre, ainsi de suite, sans laisser au soldat un seul instant de répit. Le soldat pourtant parait sans mal, esquivait sans difficulté, il semblait s’amuser des assauts répétés qui ne l’atteignaient à aucune occasion. La colère et la frustration rendaient les coups de la foudre de plus en plus imprécis, de plus en plus impulsifs, et de moins en moins efficaces. L’énergie glissait hors de ses membres, elle s’écoulait sans cohérence ni stratégie, abandonnée à son propre sort, hors de tout contrôle. Le dôme qui cernait l’affrontement grésillait, prêt à céder. Elle ne maitrise plus rien, observa Nahel, terrassé d’être impuissant face à tant de détresse.
Quand soudain le dôme céda, la foudre se dissipa dans l’air et disparut comme si elle n’avait jamais été là, alors qu’au même instant Elaena s’effondra contre le sol poussiéreux. Nahel se sentit hurler, pourtant il n’entendit que son cri. De là où il se trouvait, il perçut la lame du soldat lacérer la peau, s’extraire de la chair d’un geste brutal, entrainant une gerbe de sang qui souilla davantage l’armure rouge du soldat. Il vit son amie, son amour, sa compagne, celle qu’il refuse de quitter, il vit Elaena blessée, terrassée, vaincue. Au sol, impuissante, baignant dans son propre sang, dans sa propre défaite.
L’épée d’Elaena quitta sa main. Son teint se fit livide. Ses yeux se noyèrent dans la sidération. Ses vêtements se couvrirent du sang qui s’écoulait abondamment de son flanc et s’étendait sur le sol poussiéreux tel un sombre linceul.
Le soldat n’avait pas cessé de sourire. D’un geste assuré, il glissa ses lames autour du cou d’Elaena, l’enserrant de toute part, laissant s’écouler un fin filet de sang le long de sa peau.
Non.
Elaena, faible, blessée, vaincue. Elle ne pouvait réagir.
Non !
Alors Nahel revint à lui.
Il saisit son épée.
Et bondit, d’un unique geste, d’un unique élan.
— Non !
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