Chapitre XI 2/4
Passée le pont rose d’Étaples, Alice se gare sur le parking du port près de la capitainerie. Elle coupe le moteur de son quatre-quatre et elle me gratifie d’un sourire comme j’adore. Elle est radieuse.
- Viens, me dit-elle. On va se promener le long du port. J’aime bien. Ça fait ambiance vacances.
Bras dessus, bras dessous, nous arpentons le port de plaisance. Alice regarde admirative les différentes embarcations, les quelques voiliers, catamarans, bateaux à moteur amarrés sur les pontons. On s’assoit sur un banc isolé, côte à côte.
- J’aime beaucoup la mer. J’aimerais un jour partir en mer, rien que tous les deux, se retrouver ballotté par les vagues un peu comme sur une coquille de noix. Tiens, regarde. Celui-là, il est magnifique. Tu aimerais toi ?
- J’adore la mer moi aussi. Peut-être qu’on pourra envisager pour en louer un, un jour. J’ai le permis qui va bien.
- Cool ! On pourrait plonger nus dans l’eau loin de tout, seuls au monde. Ça doit être super sympa. Tu me feras l’amour sur le bateau mon chéri ?
- On pourrait même commencer par faire un gros câlin, se rafraîchir un peu et recommencer juste après. Ça t’irait ma jolie princesse ?
- Tu es trop coquin. C’est beau de pouvoir rêver et avec toi j’adore. J’ai l’impression parfois de redevenir une petite fille avec dans les bras un énorme bouquet de désirs des plus simples aux plus extravagants. Et toi tu pioches dans le panier. Tu en sors l’un d’eux et je n’ai plus qu’à cocher : réalisé ou projet en cours. Je ne sais pas comment tu fais pour les deviner tous mais tu fais mouche à chaque coup. Essaye encore un peu pour voir ?
- Comme tu veux ma puce. Voyons voir ; la main dans le chapeau, le petit papier que je déplie… Oulà, je crois que je viens de tirer le gros lot ; tu rêves d’avoir des enfants.
J’ai à peine terminé ma phrase que je prends conscience de l’énormité de ma réponse. Alice tourne son visage sur le mien. Ses yeux sont embués, très embués. Une larme s’échappe, puis une autre.
- Tu es fou Olivier. C’est un rêve d’avenir et moi … je … Je n’ai pas… Je n’ose pas regarder l’avenir. Chez moi, il est incertain. Est-ce que tu te rends compte ?
Alice se lève. Elle est bouleversée, perdue. Elle s’éloigne de quelques pas. Elle ne sait plus. Elle se retourne vers moi. Elle me regarde presque sans me voir. Elle pleure maintenant à grosses larmes. Elle s’assoit sur un banc à quelques mètres de celui sur lequel nous étions. Elle prend sa tête dans ses mains. Je comprends que je viens de faire une énorme bourde, que le cataclysme que j’ai déclenché la perturbe au plus haut point. Je reçois aussi en pleine figure, comme un « boomerang », le fait qu’elle puisse disparaître un jour, qu’elle puisse ne plus être de ce monde dans un horizon que je ne maîtrise pas. Cette idée me révolte et m’insupporte plus que tout. Et même si cette pensée m’avait effleurée à l’annonce de son cancer, je l’avais totalement occultée, peut-être par lâcheté, masquée par le rideau de connivence, de sensualité et de bonheur dans lequel nous nous sommes drapés tous les deux. Je suis anéanti, effondré moi aussi. Les larmes inondent mes yeux. Je n’arrive pas à les refouler alors je les laisse couler.
Une main se pose sur mon épaule. Un doigt sous le menton me fait relever la tête. Devant moi deux yeux rougis, tout mouillés qui me scrutent profondément. La tristesse est immense mais plus que tout Alice est bouleversée de me voir moi aussi dans le même état qu’elle.
- C’est dur. C’est très dur à entendre et je n'y étais pas du tout préparée mais … Merci mon amour pour ce rêve. Je t’aime. Tu ne peux même pas savoir comment je t'aime. Allez ! Sèche tes larmes. Je vais avoir besoin de toute la force de ton amour. Et puis, je ne suis pas encore dans le trou. Je n’ai pas dit mon dernier mot, tu sais.
Alice s’est assise à califourchon sur mes jambes, sa tête en appuie contre la mienne. Ses bras entourent mes épaules et les miens enserrent sa taille. Je la serre très fort contre moi et elle fait de même. Nos larmes ne tarissent pas. Elles sont juste silencieuses. Alice lève la tête et dépose un merveilleux baiser sur mes lèvres encore toutes mouillées.
- Il faudrait peut-être arrêter de pleurer mon chéri sinon on va faire déborder la rivière, tu ne crois pas ? Tu as un mouchoir ?
Il y a une immense tendresse dans sa voix. Elle me caresse le visage, sèche mes larmes et les siennes en même temps. Son sourire est revenu même si un voile mélancolique subsiste encore. Alice a repris le dessus. Cette petite femme si fragile a une force incommensurable. Je suis admiratif. J’espère de tout mon cœur que cette force sera suffisante pour vaincre cette maladie sournoise qui la tourmente, cachée au plus profond dans sa chair. J’ai peur. Je me rends compte que j’ai terriblement peur de la perdre mais j’ai aussi une très grande confiance en elle. Je voudrais me fier à sa soif de vivre démesurée, au bonheur suprême qu’elle mérite, à celui qu’elle sait si bien me donner.
- J’adorerai avoir des enfants. Mais pour ça, il me faut trouver un papa qui sache les faire. Tu sauras toi ?
- Jusqu’à présent ma puce, je n’ai pas été un excellent reproducteur mais c’est vrai aussi que je n’ai jamais essayé. Peut-être qu’à deux on trouvera un mode d’emploi efficace ?
- Oui, Olivier. Si c’est possible, il n’y a aucune raison qu’on n’y arrive pas. J’avais envie de te poser la question mais j’ai estimé que c’était trop tôt. Que tu n’étais peut-être pas prêt à y répondre. Et puis je ne voulais pas t’embêter avec cela. Je me suis trompée encore une fois parce que tu es un homme surprenant et formidable. De toute façon, ce n’est pas pour maintenant. Dans le cas le plus favorable, il faudra attendre la fin de mon traitement, une petite année. Mais rien ne nous empêche de nous entraîner en attendant.
Alice fait une pause et reprend.
- Il faut pourtant garder à l’esprit qu’il y a des cas où le traitement ne marche pas. C’est comme ça. On n’y peut rien. Dans cette configuration, il faudra accepter de me voir partir plus tôt que prévu. Tu te rappelleras : pas de pitié, pas de condescendance. Ce serait pour moi le pire des supplices. Il faudra que tu apprennes à me donner du bonheur jusqu’au bout et à prendre tout le bonheur que j’essayerai de t’apporter si j’en suis encore capable. Et si tu n'y arrives pas, si c'est plus fort que toi, il sera temps pour toi de me fausser compagnie. Parfois, je me dis que tu ne mérites pas de vivre cela et qu’il est égoïste de ma part de t’entraîner dans de tels tourments. Mais je me dis aussi que si ça marche, nous deux ça va être quelque chose. Un raz-de-marée si intense, si puissant que j’ai vraiment envie de connaître ça dans tes bras.
- Je t'aime ma chérie. Je ne sais plus quoi dire. Des conneries, je suis capable d'en faire et toi, tu rattrapes tout à la sauce petit bonheur.
- Olivier, c’est important que tu saches que j’aime quand tu me fais l’amour. Il y a énormément de délicatesse, de respect, de partage, de don de toi et je reçois toutes ces bonnes choses comme une offrande divine. Je me laisse enivrer et emporter par tout ce que tu me donnes et tout ce que j’ai envie de prendre aussi et sexuellement mes envies sont immenses, démesurées même. Parfois je me demande si tu ne me perçevrais pas comme une nymphomane, une femme qui ne pense qu’à faire l’amour, un peu comme une obsession dérangeante. Il est vrai qu’avec toi, depuis que je te connais, je suis d’une telle exigence en la matière que j’ai du mal à contrôler toutes mes pulsions, à les refouler pour les rendre acceptables et j’angoisse à l’idée que tu pourrais mal interpréter cette sexualité compulsive.
- Qu’est ce que tu me racontes là ? Pour moi il n’y a aucun problème. Il est vrai que la fréquence est assez rapprochée mais on est au début de notre relation, on se découvre mutuellement et ce n’est pas pour me déplaire.
- Oui mais tu ne peux pas savoir. Maintenant que j’y ai goûté, j’ai envie tout le temps, très envie. Tu comprends ? Ma libido n’a plus de limite. C’est de la folie, de la pure folie. Je ne me reconnais plus. Trois années d’abstinence et d’un seul coup la fenêtre qui vole en éclats, l’éclair, la foudre corporelle qui a pris possession de tout mon être et je ne maîtrise plus rien, tout m’échappe. C’est super angoissant. Le plus drôle, c’est que durant tout ce temps, ça ne m’a pas dérangée et si je ne t’avais pas rencontré, j’aurai pu encore continuer longtemps dans la privation. Et puis, si je dois partir plus vite que prévu… autant en profiter un maximum. C’est peut-être inconsciemment ça aussi mon problème. Parce que nous deux, c’est extraordinaire, bien au-delà de mes espérances. Je voudrais aussi pouvoir répondre à tous tes désirs mais j’ai peur de te donner une image négative alors je préfère t’en parler. Certes, le lieu n’est pas des plus propices mais ce moment me semble tout à fait opportun.
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