Chapitre XXI 1/3

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Dévouée, Alice a préféré assurer son service à l’hôpital, comme si de rien n’était, jusqu’à la date de son hospitalisation. D’une part le nombre de personnes contaminées par le coronavirus n’arrête pas d’empirer et d’autre part, plusieurs infirmières se retrouvent confinées pour avoir été en contact avec des personnes infectées, créant ainsi un déséquilibre criant dans le fonctionnement des services hospitaliers.

Ma petite amoureuse est sur le point de quitter l’appartement tôt ce matin, juste au moment où j’essaye de rassembler péniblement mes idées devant ma tasse de café.

- Passe une bonne journée ma chérie et fais bien attention à toi. Ce ne serait pas le moment de choper cette cochonnerie.

- Ne t’inquiète pas mon cœur. Pour les deux prochains jours, je suis en remplacement au service maternité. Ça devrait aller.

- Tu me rassures. Je rentrerai dans l’après-midi pour nous laisser le temps de profiter de la plage avec « Voie-Lactée » et « Pépère ».

- OK, mon chéri. Alors à toute à l’heure. J’ai hâte d’y être.

- °° -

Arrivé au bureau, Marion, Sarah et Manon sont en pleine discussion. Elles rient. Elles s’esclaffent comme des adolescentes insouciantes, contentes de se retrouver. Je prends le temps d’apprécier les trois femmes toutes aussi adorables les unes que les autres dans leur façon d’être. Habillées dans des styles très différents, Marion avec une élégance naturelle impressionnante dans un tailleur mode, ras du corps mais de très bon goût, Sarah nettement plus cool avec son jean lacéré par un crocodile, un chandail léger ample qui laisserait presque passer le regard tant il est peu épais et une paire de baskets, Manon surprenamment plus extravagante, dans une tenue décalée néanmoins très agréable où les couleurs vives côtoient sans complexe les couleurs froides allant même jusqu’à la différentiation des chaussures et des chaussettes. J’en connais un qui va être surpris en arrivant.

- Bonjour les filles, Déjà en plein boom ? Je ne vous embrasse pas mais le cœur y est.

- Bonjour Olivier s’écrièrent en écho les trois femmes. Manon a préparé du café et des croissants pour son arrivée. Tout est en salle de réunion. On attend plus que Jean.

- Je pose mes affaires et je vous rejoins.

- °° -

- Waouh, ça c’est un petit déjeuner. Merci Manon.

Jean arrive. Il grommelle un bonjour à peine audible. Il lève des yeux éberlués sur Manon en la dévisageant de la tête aux pieds.

- Heu ! Tu comptes venir travailler comme ça tous les jours ?

Je vole au secours de Manon qui embarrassée ne sait plus où se mettre.

- Chacun a le droit de s’habiller avec l’originalité de sa personnalité. Manon a une tenue décente qui a le mérite d’être extravagante et je trouve que ça lui va très bien. Pas toi ?

- Si, si répond-il d’un air résolument dubitatif.

Et Jean s’adresse à Manon.

- Je t’attends dans mon bureau pour commencer le tutorat dès que tu seras disponible.

Et il tourne les talons. Marion et Sarah haussent les épaules et sourient avec une mimique éloquente et plutôt moqueuse.

- Merci Olivier. Je … je suis navrée. Je ne m’attendais pas à provoquer un esclandre dès le premier jour.

- Ne t’en fais pas Manon, c’est juste une réaction épidermique. Ça va lui passer et puis, c’est l’histoire d’un ou deux jours. Bon alors ce café, on le prend ?

- °° -

Quinze heures trente. Julie est prévenue. « Pépère » sera prêt pour seize heures. Le soleil est encore haut dans le ciel. Alice est partie harnacher « Voie-Lactée ». Je la rejoins au centre équestre la boule au ventre, il faut bien se l’avouer.

- Hello ma puce. Tu vas bien ? Lançais-je d’un ton qui se veut détaché.

En réponse, elle me tend ses bras nus et elle m’embrasse passionnément. Tout chez elle respire le bien-être mais c’est son visage qui trahit le plus ses émotions. Elle est excitée comme une puce audacieuse, presque enfantine dans son comportement de petite fille intrépide devant ce qu’elle a osé rêver un jour sans jamais pouvoir le concrétiser.

Je suis heureux de ce bonheur magnifique que je reçois pudiquement comme un cadeau. Je sais à cet instant que pour elle, plus rien ne compte plus que cette chevauchée fantastique sur le bord de mer. J’angoisse quelque peu par crainte de ne pas être à la hauteur, d’être un frein à ce bonheur somptueux, voire même pire encore d’engendrer une certaine déception. Je feins l’assurance mais je n’en mène pas large. Avec Julie, en situation d’apprentissage j’étais épaulé. J’étais en sécurité. Maintenant je suis inquiet, livré à moi-même avec mes doutes et peu de certitudes. A mes côtés, j’aurai une cavalière d'exception que je m’interdis de décevoir.

- J’arrive ma puce. Je vais chercher « Pépère ».

Derrière les box, Julie m’attend discrètement :

- Salut Olivier. Alors, le grand jour ? J’ai vu Alice tout à l’heure. Elle est en forme comme jamais ta chérie. Il va falloir que tu assures.

- Hello Julie. J’espère que ça va bien se passer. J’ai une petite appréhension et toi tu me mets encore plus la pression.

- Tu as la trouille ?

- Euh ! moi la trouille ? Non, pas du tout. Tu rêves !

- Pff, ces hommes ! La main dans le sac, ils arrivent encore à rester de mauvaise foi. Bon, Olivier cool détend-toi. Ça va bien se passer, tu verras. Et si tu perds le contrôle, ce qui peut arriver, laisse faire « Pépère ». Il saura prendre les bonnes initiatives et rattraper les situations perdues.

- Merci Julie. Merci pour tout. On se retrouve au home club tout à l’heure ?

- Reste plutôt avec ton amoureuse. Elle aura sûrement envie de vouloir continuer à savourer avec toi ce moment qu’elle a tant attendu. Tu me raconteras plus tard. En rentrant, tu remettras « Pépère » à son box. D’accord ?

- OK Julie. A bientôt.

Je retrouve Alice avec « Pépère ».

- Tu en as mis du temps ? On y va ?

- On y va ma puce.

Alice enfourche sa jument d’un trait. C’est un peu plus compliqué pour moi, mais à force de contorsion, j’arrive à me hisser sur le canasson tant bien que mal.

- Tu manques de souplesse mon chéri. Il va falloir que tu t’entraînes plus souvent.

- Yes, ça fait partie du programme intensif dont je t’ai déjà parlé. Tu feras la pouliche mon amour.

- Gros cochon, je ne voyais pas ça comme ça !

- L’avantage c’est que maintenant pour le déroulé de l'entraînement, on partage la même vision. La communication, ça sert à ça.

- Ben voyons. Allez ! suis moi. Je suis super contente.

- °° -

Mon amazone est somptueuse. Droite comme un piquet, ses petites fesses enfoncées dans la selle, en tee-shirt, ses longs cheveux qui reposent désordonnés sur ses épaules. J’admire le déhanché de son corps en parfaite harmonie avec sa monture. Parfois elle se retourne pour s’assurer que tout va bien de mon côté et son sourire est sans équivoque.

A la sortie du centre équestre, en longeant la piste cyclable, il est possible d’être à deux de front. Je me hisse à sa hauteur.

- Tu te débrouilles bien mon chéri.

- J’essaye ma puce. Au pas pour l’instant, j’arrive à suivre mais je ne suis pas encore tout à fait habitué. Il m’en faudra un peu plus pour être à l’aise.

- Ce n’est pas si mal déjà. Tiens regarde. A cheval, on a une vue totalement différente. Tu vois près des marres de chasse, là où il y a des canards sur l’eau, ce sont des leurres qui sont disposés là pour attirer les oiseaux migrateurs, les mettre en confiance et lorsqu’ils se posent pour se reposer, ils se font canarder. Ce que tu vois sous les tôles ondulées, ce sont les huttes de chasse.

- Je n’aime pas la chasse. Le plaisir de tuer, de faire mouche, c’est quelque chose qui me dépasse. Après je comprends qu’il faille réguler certaines espères pour éviter qu’elles ne prolifèrent de trop. Mais moi j’en suis incapable. Déjà, en voiture, quand j’écrase un lapin, je suis capable de pleurer rien qu’en pensant à la vie que je viens de retirer et c’est pareil pour un oiseau lorsqu’il vient se jeter sur le pare-brise. Prendre une vie, c’est suspendre un rêve matinal. Se réveiller à l’aube, sortir d’un terrier ou d’un nid prudemment, humer la nature, espérer et s’aventurer, confiant en l’avenir, tout guilleret à l’idée de trouver un peu de nourriture pour terminer brutalement sous la balle d’un fusil en laissant peut-être derrière un ou une amourette et quelques orphelins qui n’auront quasiment aucune chance de survie. Je trouve ça déplorable et ça me rappelle bien des souvenirs.

- Ça ne m’étonne pas de toi mon chéri. C’est aussi un aspect que j’aime beaucoup chez toi, une sensibilité à fleur de peau sous la force brute de l’homme que tu voudrais être.

- Tu te mets à la psychanalyse toi maintenant ?

- Je n’ai pas l’impression que tu te gènes trop avec moi mon chéri. Tu es capable de me déshabiller physiquement et virtuellement. Et dans les deux cas, j’ai remarqué que tu y prends beaucoup de plaisir. Je me trompe ?

- C’est vrai que là où je prends le plus de plaisir c’est quand je te dénude, j’adore. Surtout le moment où le vêtement ne tient plus qu’à un fil. Le désir de voir sublime ce qui doit être vu et comme tu es magnifique, c’est encore plus délicieux, plus affriolant aussi.

- Mouais, ça sert à rien de me caresser dans le sens du poil, tu n’auras rien de plus aujourd’hui.

- Ça c’est toi qui le dit.

Dans la zone des camping-cars, on repasse prudemment en file indienne.

- On va bientôt arriver sur la plage mon chéri. Passe devant que je vois si ce qui doit être vu est bien intéressant à voir.

- Et tu mates quoi ?

- Devine ?

- Tsss ! Quel impertinence.

- Oui, c’est cela. Tu ne manques pas d’air quand même. Tiens, prends le sentier de la Canche à droite. Au bout, il y un accès à la plage. Tu verras, c’est magnifique.

Passé le parking des camping-cars, Alice remonte à ma hauteur. Je discerne dans son regard l’excitation, l’enthousiasme. Elle est radieuse et un peu moqueuse aussi, certaine de sa suprématie.

- D’habitude, je viens ici seule. Avant, on pouvait passer par l’ancien terrain de camping mais la zone a été condamnée, il y a quelque temps. La mairie envisageait d’en faire un port de plaisance et avec l’amplitude des marées, l’ensablement, c’était trop compliqué et surtout très onéreux. Le projet a été abandonné. Maintenant on est obligé de longer les arbustes qui font office de haie végétale, de traverser les dunes et lorsqu’on arrive sur la plage, avec « Voie-Lactée » on se défoule comme des folles toutes les deux. Je la laisse partir au galop. Elle adore. Plus de barrière, plus de contrainte, plus aucun frein à nos délires ; la plage à perte de vue, le sable, la mer qui se jette sur l’horizon. Ma jument se précipiterait presque dans les vagues si je ne l’arrêtais pas. Ici, j’éprouve un sentiment de liberté énorme et ça je raffole. Je retrouve en plus grandiose les mêmes sensations que chez mes parents dans le Cantal, lorsque je pouvais galoper à bride abattue dans les prés fraîchement fauchés.

- Je sais galoper mais « Pépère » est plein de rhumatismes. Il faut le ménager.

Sur ce coup là, je m’en sors bien. Mais ma petite chérie n’est pas dupe et parfois elle a le don de m’agacer.

- Tu es sûr que le frein, c’est « Pépère » ? dit-elle moqueuse.

- Tu sais que par moment, tu peux être énervante ma chérie ?

- J’y compte bien sinon ce ne serait même pas drôle. Allez viens on va traverser le rideau de dunes avant d’accéder à la plage. Tu feras attention à bien accompagner ton cheval dans les montées et les descentes sinon tu vas vite te retrouver par terre.

Je gère tant bien que mal la situation pendant qu’Alice avec un naturel déconcertant, survole les buttes sableuses sur lesquelles s’enhardissent timidement quelques oyats. Et enfin, là devant nous à l’infini, la plage déserte, quelques nuages épars qui donnent un relief ombragé sur la ligne d’horizon à peine coloriée par le bleu de la mer.

- Regarde mon chéri. C’est magnifique. Il n’y a personne. Sur la droite, tu as l’embouchure de la Canche. Souvent il y des phoques qui se prélassent sur les bancs de sable. Tiens, là-bas au loin les petits points noirs que tu vois, c’en est. On va essayer de s’approcher. On part au galop. A mi-parcours, on repassera au trot puis au pas pour éviter de les effrayer. D’accord ?

- OK ma puce.

« Pépère » se lance dans un petit galop pas très violent, ce qui n’est pas pour me déplaire. Alice me suit à côté. Je lance un coup d’œil dans sa direction. Elle me regarde. Je sais qu’elle est heureuse. J’apprécie moi aussi la chance que j’ai de pouvoir chevaucher en toute liberté avec mon amoureuse. J’ai conscience de vivre un moment capital pour nous, pour notre couple, pour notre amour. C’est exaltant. Je la regarde admiratif ; ses cheveux au vent, son sourire qui ne la quitte plus, ses seins libres qui bougent à peine sous son tee-shirt, ses fesses admirables qui se jouent du cuir de la selle. J’adore ses jambes fines et effilées. Alice réduit l’allure pour passer au trot. Je ralentis moi aussi ma monture.

- Pas mal mon chéri. Je suis fière de toi.

On approche des bancs de sable où les phoques dérangés nous épient inquiets avant de décider prudemment de regagner les flots protecteurs.

- On est à l’embouchure. Là, on est à marée à basse. A pieds, c’est dangereux parce que la mer remonte vite. A cheval, on ne risque rien. Il faut juste veiller à ne pas se faire encercler avec les bâches qui se forment insidieusement. A droite tu as la plage Saint-Gabriel. Sur cette plage, en 1898, le plus grand hôtel de la région avait été inauguré en front de mer et il a été détruit presque quinze ans plus tard par une grosse tempête. Il ne reste plus que des vestiges, des briques, des tuiles, un peu de ferraille aussi. Tout ça pour dire que le recul des terres, ce n’est pas obligatoirement un mal d’aujourd’hui, comme on s’emploie à nous le faire croire, à grand coup d’écologie.

- Tu m’y emmèneras ?

- Oui mon chéri, promis. D’autant que par là-bas, il y a une superbe balade « nature » à faire à pieds en suivant le lit de la Canche. Là, on va longer la mer pour se rapprocher du centre-ville. Tu me suis ?

Alice prend les devants et j’avoue en voyant son petit derrière se trémousser, qu’être le second de cordée n’a pas que des inconvénients. Sa jument se rapproche à la lisière de l’eau et son cheval galope maintenant dans les vagues essoufflées qui viennent lécher le sable. J’en prends plein la figure. La chemise et le pantalon sont trempés. Je laisse un peu plus de distance pour m‘épargner l’éclaboussure des sabots. Alice se retourne en riant

- Ben alors ?

- Je suis trempé.

- Ce n’est rien, ça va sécher. Allez viens on continue. C’est trop cool.

Je remonte à sa hauteur pour éviter les embruns. Ma chérie est aux anges. Elle nage dans le bonheur. Je fatigue mais je ne veux rien savoir. Je veux continuer l’aventure à ses côtés. C’est trop magique pour que ça s’arrête aussi rapidement. Alice repasse au pas.

J'ai pris avec moi la petite boîte recouverte de feutrine mais je n'arrive pas encore à trouver le bon moment. Il faut dire aussi que jusqu'à présent, la situation ne s'y prêtait pas. J'ai besoin de réviser mes plans.

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