Chapitre 3.

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Tandis que Reclan s’éloigne à grands pas, porté par la colère, le vent lui apporte la voix éthérée de Charlotte.

— Dans trois jours… pourpre sera la lune… fort doit être le sacrifice…

Ses paroles résonnent autour de Reclan, qui s’immobilise en soupirant.

— La lune pourpre ? Mais ce n’est même pas une pleine lune ! s’égosille-t-il en tournant sur lui-même.

Mais seul le bruissement de l’air dans les branches lui répond. Il grommelle et, d’un claquement de doigts, fait apparaître un long manteau de cuir et un chapeau à larges bords, derrière lesquels il n’a aucun mal à se dissimuler. Un autre claquement, et la chaumière se métamorphose en ruine sans intérêt. Même s’il n’a jamais rencontré de véritable hostilité de la part des vivants, il ne veut pas courir le risque que son état – ou celui de Charlotte – soit découvert. Il sait que les Chevaliers de l’Éclat Divin ne toléreraient pas un tel blasphème.

Il les a en horreur, autant pour leur dévotion envers un dieu qu’il considère inexistant que pour leurs actions purgatives plus que discutables. Plutôt que de pourfendre les véritables démons qui rôdent à travers le monde, les Chevaliers s’en prennent aux pauvres et aux faibles d’esprit, les faisant passer pour des hérétiques, des possédés ou des sorciers. Ils brûlent les gens à tout-va, sous couvert de croyances inventées pour asservir les plus ignorants, tout en répandant leur venin sacré à grands renforts de messes et de baptêmes.

Reclan a été élevé par sa seule mère, son père étant mort peu après sa naissance dans un accident de chasse. Ils vivaient dans cette petite chaumière isolée du reste du village, subsistant grâce à la cueillette et aux cultures. Sa mère lui répétait que les habitants du hameau étaient persuadés qu’elle avait utilisé la magie noire pour se débarrasser de son époux, et qu’elle craignait l’arrivée des Chevaliers. Reclan l’a toujours crue : la réputation de l’Ordre n’était déjà plus à faire à cette époque. Elle lui avait expliqué que sa seule rédemption tenait en sa naissance, sinon elle aurait fini au bûcher sans procès. Reclan sait que cette histoire joue un rôle majeur dans sa haine de l’Ordre et de ses suppôts. La malédiction qui pèse sur lui et Charlotte n’est qu’une raison de plus pour éviter tout contact.

Le soleil du matin se lève à peine lorsque Reclan franchit les portes de la cité de Volarta, ancienne ville fortifiée dont les murailles n’ont plus guère qu’une utilité décorative. De part et d’autre de la grande arche en pierre rouge se tiennent des soldats royaux dans leurs armures d’argent ternies — eux aussi réduits à un rôle de figuration. La capitale n’est plus la splendeur qu’elle fut. Les magasins ouverts se font rares, les chalands encore plus. À l’heure où les boutiques devraient s’éveiller, les rues sont presque désertes.

Reclan soupire, submergé par un profond malaise à mesure qu’il s’engouffre dans le labyrinthe d’avenues et de ruelles pavées de briques ocre. « Une grande maison en pierres rouge… il n’y a que ça, ici ! » pense-t-il avec agacement. Par chance, le trajet depuis Satara a été plus rapide qu’il ne l’imaginait : il dispose de deux jours pour trouver les enfants avant la lune pourpre, qui marquera la fin de la saison chaude.

Au détour d’une rue étroite, Reclan débouche sur une place où coule une fontaine. La sculpture représente un aigle aux ailes déployées enserrant un gigantesque poisson qui recrache de l’eau par la gueule. Les arêtes de pierre sont érodées, noircies par la crasse, et la couleur du liquide évoque davantage les latrines qu’un ruisseau limpide.

Reclan exhale un souffle de soulagement : l’angoisse qu’il ressentait dans les passages étroits se dissipe quelque peu. De plus, l’endroit est peu animé, ce qui lui permet de passer inaperçu.

Mais en scrutant les alentours, il s’arrête net en repérant l’échoppe d’un vendeur de livres d’occasion. « Cela fait si longtemps… » songe-t-il, soudain animé d’un élan sincère en s’approchant de la devanture.

Lorsqu’il franchit la porte, le vieillard assis derrière le comptoir sursaute.

— Oh ! Bien le bonjour, ami voyageur, lance-t-il avec un large sourire.

Reclan incline la tête, retirant son chapeau, les yeux brillants devant les étagères qui l’entourent. Elles croulent toutes sous des milliers d’ouvrages aux couvertures multicolores et aux thèmes multiples.

— Si je puis vous être d’une quelconque aide, n’hésitez surtout pas ! ajoute le vieil homme.

La quiétude du lieu et la gentillesse du propriétaire poussent Reclan à poser une question risquée.

— Auriez-vous des ouvrages concernant les malédictions ?

Le vieillard plisse les yeux en hochant la tête.

— Eh bien… voilà une sacrée coïncidence ! Vous êtes la deuxième personne à me demander un tel ouvrage aujourd’hui.

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