Chapitre 4.

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Reclan reste interdit plusieurs secondes, dévisageant le libraire avec un regard incrédule. Cette affirmation a l’effet d’une bombe dans son inconscient et, même s’il lui faut un peu de temps pour en évaluer toutes les implications, il se sent partagé.
« Pourquoi une autre personne chercherait-elle des informations au sujet des malédictions si ce n’était pour s’en défaire une ? », pense-t-il, une excitation mêlée d’appréhension lui traversant l’esprit.

— Mais je vous le dis, comme je l’ai dit à cette jeune femme : tous les livres considérés comme hérétiques par l’Ordre ont été détruits depuis longtemps, malheureusement…

Le vieillard secoue la tête et soupire avec amertume avant de reprendre :

— Puis-je vous demander pourquoi vous cherchez un tel ouvrage ?

Reclan tressaille, pris de court et arraché à ses pensées.

— Eh bien… souffle-t-il en cherchant ses mots. Je suis herboriste, et j’ai entendu parler de personnes souffrant de malédiction. Je pensais les étudier pour préparer des remèdes.

Le subterfuge n’est pas parfait, mais Reclan le prononce avec une telle assurance que le vieil homme hoche la tête.

— Je ne suis pas sûr qu’un simple remède à base de plantes puisse « guérir » une malédiction. Mais certains pauvres d’esprit ne reculeraient pas à dépenser une somme coquette pour un placebo, répond-il en lançant un clin d’œil.

— Le prix équivaut la manière, n’est-ce pas ? ajoute Reclan en haussant les sourcils.

Instinctivement, il se racle la gorge et attrape la flasque à sa ceinture. Les yeux du vieillard s’écarquillent.

— Une flasque enchantée ! Est-ce de l’alcool de fraises sauvages ? demande-t-il, une étincelle dans le regard.

Reclan considère la flasque, alternant entre elle et le vieillard. Un sourire malin s’étire sur ses lèvres à mesure qu’une idée se fraye un chemin jusqu’à sa conscience.

— Dites-moi qui était cette jeune femme, et je vous en donne un plein verre, lance-t-il en plissant les yeux.

Le vieil homme sourit à son tour.

— Vous pourriez aussi me la donner, dit-il d’un ton sec.

— Je vous demande pardon ?

— Vous avez très bien compris. Je vous donne les informations que vous souhaitez, sans vous dénoncer aux Chevaliers de l’Éclat Divin, en échange de cette flasque enchantée.

Le sympathique vieillard se transforme soudain. Sa voix change, sa peau paraît plus fripée encore. Il frotte ses mains aux longs doigts tordus devant lui, un sourire avide au coin des lèvres. De longues secondes s’écoulent tandis que les deux hommes se jaugent en silence.

— D’accord, reprends Reclan en lui tendant le contenant.

Mais alors que les yeux du vieil homme s’illuminent, Reclan retire la flasque.

— Les informations d’abord. La flasque ensuite.

Le vieux libraire soupire et s’accoude au comptoir.

— Une jeune femme, la vingtaine, les yeux et les cheveux noirs comme la nuit. Elle portait une longue capuche sombre et s’est présentée comme une collectionneuse de livres rares. C’est tout ce que je peux vous dire.

Reclan l’attrape brusquement par le col, lui intimant silencieusement de ne pas jouer au plus malin.

— D’accord ! Elle a parlé d’une malédiction et du Seigneur Sombre, mais je ne l’ai pas crue et je l’ai envoyée paître ! Je vous le jure, c’est tout ce que je sais !

Reclan le repousse puis, après un soupir, lui tend la flasque argentée. Mais alors que les mains crochues du vieillard s’y referment, Reclan lui plante sa dague dans le bas de la mâchoire, remontant vers le cerveau. Les yeux exorbités, le vieil homme reste plusieurs secondes à crachoter du sang, presque immobile, tandis que des gargouillis d’agonie emplissent le silence. D’un geste vif, Reclan retire sa lame et le vieillard s’effondre, le corps secoué des derniers spasmes de la vie qui le quitte.

Reclan essuie son arme sur le cadavre, avant de le fouiller en claquant la langue et en secouant la tête.

« Erreur de jugement, papy », murmure-t-il en tirant une large clé dorée de la poche de son veston.

D’un claquement de doigts, il fait disparaître le corps sous un voile d’illusion. Il verrouille la porte d’entrée et se dirige vers l’arrière-boutique pour la fouiller. Dans un coin, dissimulé sous un monticule de vieux draps et de journaux, il découvre un imposant coffre en laiton. La clé s’y glisse naturellement et le déverrouille sans difficulté. Mais à part une somme d’argent conséquente et quelques papiers sans importance, Reclan ne trouve aucune trace de livres anciens.

Il se rassure en pensant à la description de la jeune femme et au fait qu’il a peut-être une chance de la retrouver dans cette immense cité. Mais à mesure que l’idée prend forme, un malaise insidieux lui serre la poitrine.

« Une autre personne… une autre maudite ? »

Cette simple pensée le trouble davantage qu’il ne l’admettrait.

Il fait glisser la clé dorée entre ses doigts, pensif. Si cette inconnue cherche réellement des ouvrages interdits sur les malédictions… alors elle possède soit un savoir dangereux, soit une raison de s’y intéresser. Peut-être les deux.

Reclan referme sèchement le coffre, songeur.

Une part de lui espère la trouver. L’autre redoute ce qu’il pourrait découvrir. Car si cette femme connaît l’existence du seigneur sombre, elle n’est sûrement pas une simple collectionneuse.

En sortant, il jette un dernier regard à la boutique silencieuse, puis se détourne.

Dans cette ville tentaculaire où chacun se cache derrière un masque, il se pourrait bien que la seule personne capable de l’aider soit aussi celle qui pourrait le condamner.

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