Louis et Maxime

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Avec Maxime, nous nous sommes rencontrés en 1998, à l'école primaire. Nous avions huit ans. Il était le p'tit campagnard qui débarquait dans la grande ville suite à la mutation de son père. Je le revois dans un coin de la cour avec son blouson Dragon Ball Z et sa cagoule bleue. Je l'ai abordé en parlant de jeux vidéo et nous avons tout de suite accroché. C'était comme une évidence, il était l'ami qui me manquait, celui que j'avais attendu tout au long de ma courte existence.

Dès notre rencontre, il nous fut impossible de passer plus de vingt-quatre heures l'un sans l'autre, à tel point que lorsque le père de Maxime eut une promotion, sa famille déménagea dans la maison voisine de la nôtre. Nous avions aussi la chance que nos parents s'appréciaient beaucoup et ils semblaient heureux de nous voir aussi soudés.

Nos parents nous avaient offert des talkies-walkies et nous passions des heures à discuter le soir après l'école. Nous en étions à un tel niveau de consommation de piles, que nos parents mirent en place un planning pour que l'un puisse dormir chez l'autre un soir sur deux. Par chance, nous nous sommes toujours retrouvés dans la même classe jusqu'en seconde. Nous étions de bons élèves, respectueux et bien éduqués, sans vouloir nous jeter des fleurs. Même s'il nous arrivait de discuter en classe, nous faisions toujours notre possible pour ne pas déranger, nous étions conscients que cela pourrait nous séparer, et cela nous était impensable.

Après le brevet, nous avons choisi de faire une seconde générale afin de nous laisser le temps de vraiment savoir ce que nous voulions faire dans la vie. C'est très compliqué de se projeter à seulement quinze ans, surtout que nous voulions trouver une filière qui nous permettrait d'être ensemble le plus longtemps possible. Mais même si nos parents s'étaient montrés compréhensifs jusqu'alors, les promesses de jeunesse ne convenaient pas forcément à leur vision de la vie active.

Les miens voulaient que je fasse une école d'ingénieur pour suivre les traces de mon père, tandis que ceux de Maxime l'imaginaient dans la finance, par rapport à ses facilités en mathématiques. Ces deux milieux ne nous convenaient pas, nos âmes juvéniles rêvaient à des projets plus artistiques. Maxime voulait devenir photographe pour parcourir le monde et vivre sans attaches, au jour le jour. Quant à moi, c'était la musique qui me faisait vibrer. Je passais des heures à créer des mélodies sur mon synthétiseur et à inventer des paroles. En plus, Maxime avait une voix magnifique et je nous imaginais voler de concert en concert à travers la planète entière.

Grâce à nos bons résultats, nos parents nous autorisèrent à nous inscrire en activités extrascolaires. C'est naturellement que Maxime choisit la photographie et moi la musique. Comme les ateliers étaient dispensés au même endroit, ça nous laissait du temps pour débriefer avant et après nos séances. Pour lui témoigner leur bonne volonté, les parents de Maxime lui offrirent un magnifique appareil photo reflex d'une grande marque. À partir de cet instant, je devins son mannequin commis d'office. Il me photographiait sous toutes les coutures dès que l'occasion se présentait. Jusqu'au jour où son atelier lui demanda de réaliser des photos de nus.

— Il est où le problème ? On s'est déjà vu à poil !

— Je sais, c'est juste que… il faut une sacrée technique pour sublimer un corps dénudé sans tomber dans le… vulgaire.

— Arrête un peu. T'es super doué, je suis sûr que tu vas y arriver et dans tous les cas, tu sais que tu peux compter sur moi !

Il me sourit et nous échangeâmes une longue accolade. En y repensant aujourd'hui, je me rends compte que c'est probablement là que tout a commencé.

Dans les jours qui ont suivi, Maxime tenta de me mettre en scène dans l'intimité de nos chambres, mais il y avait toujours quelque chose qui ne lui convenait pas. La lumière était son plus gros problème.

— La fenêtre de toit de ta chambre est trop petite et celle de la mienne n'est pas orientée du bon côté…

J'étais triste de le voir aussi désemparé, mais j'adorais la passion dans son attitude, la douceur de ses mains quand il me plaçait, cette petite lueur de gêne quand son regard s'attardait trop sur mon sexe. Il était simplement lui, et mon cœur en redemandait.

— Pourquoi on n’essayerait pas en extérieur ?

— Tu veux dire… tu te foutrais à poil en pleine cambrousse… pour moi ?

— Je ferais n'importe quoi pour toi !

Je revois ses yeux se remplir de larmes tandis que je le prenais dans mes bras, avant de me rendre compte que j'étais nu comme un ver. Nous avons éclaté de rire et je me suis vite rhabillé en remarquant mon érection.

Le week-end suivant, nous avons pris nos vélos et roulé une vingtaine de kilomètres hors de la ville pour trouver l'endroit parfait. Au détour d'un vieux chemin forestier, nous sommes tombés sur une clairière d'herbes hautes.

— Je crois que c'est l'endroit parfait, s'était-il exclamé en sautant de son vélo.

Malgré le magnifique soleil de la fin du mois de mai, le fond de l'air était frais et je frissonnais à mesure que je me déshabillais.

— Tu es sûr que ça va ? Je voudrais pas que tu tombes malade…

— T'inquiète pas, j'suis fort comme un roc ! Du coup, je me place où ?

— On va commencer par des clichés en mouvements. Tu avances nonchalamment d'un bout à l'autre de la clairière, en levant la tête vers le soleil, les yeux fermés, en caressant les brins d'herbe et en laissant traîner tes bras en arrière.

Il fit une démonstration de ses attentes avant de se placer à la perpendiculaire de mon parcours. Je fis de mon mieux pour rester concentré et ne pas éclater de rire à cause des brins qui me chatouillaient les parties intimes et les aisselles. Après deux allers-retours, il m'appela pour me montrer le résultat. Je suis resté scotché.

— La vache ! C'est tellement beau que j'ai même pas l'impression que c'est moi !

— C'est vrai que tu es particulièrement gracieux. Ça change de d'habitude !

Il m'a regardé en se pinçant les lèvres et nous avons éclaté de rire.

— Si tu n'as pas trop froid, j'aimerais juste en faire encore quelques-unes au sol.

— Pas de soucis.

Nous nous sommes placés à un endroit où les herbes n'étaient pas piétinées et je me suis allongé sur le dos.

— Place ton bras droit derrière ta tête et l'autre le long du corps.

Son regard d'artiste me scruta sous tous les angles, cherchant la meilleure position possible.

— Relève ta jambe gauche ? Non, laisse-la au sol et replie-la légèrement sur le côté. Voilà, c'est parfait.

Il se tenait juste au-dessus de moi, me toisant de toute sa hauteur, me dévorant de sa passion.

— Ferme les yeux, comme si tu dormais paisiblement. Parfait.

Le cliquetis de l'obturateur résonna à plusieurs reprises avant que j'entrouvre un œil.

— Oui, ouvre les yeux et regarde droit dans l'objectif. Bon sang, tu es magnifique.

Je sentis le rouge me monter aux joues tandis qu'un sourire m'étirait le visage.

— Oui, souris, tu es encore plus beau.

Plus je le regardais s'extasier de ma nudité, plus une autre forme d'excitation se développait au niveau de mon bas ventre, à tel point qu'en quelques minutes, je dressais fièrement mon sexe vers lui. Étrangement, cela ne me procura aucune gêne.

— Désolé… ça ne va pas faire trop vulgaire, que je bande ?

— Peu importe, elle est aussi magnifique que toi. Celle-là, je les garderai pour moi.

Il se mordit les lèvres avant de me faire un clin d'œil et je compris aussitôt que quelque chose avait changé dans notre relation.

Quelques jours plus tard, Maxime m'annonça que l'animatrice de son atelier de photographie avait tellement aimé ses clichés, qu'elle l'avait poussé à les présenter à un concours.

— Je voulais te demander ton accord avant, mais c'était le dernier jour…

— Tu rigoles ? Je veux bien montrer mon cul à la terre entière si ça te donne la moindre chance de gagner !

J'étais incroyablement enthousiaste et même si je ne fus qu'à moitié surpris que Maxime remporte la première place, ce sont nos parents qui eurent un choc. Grâce à sa victoire, Maxime avait gagné du matériel photo, une rencontre avec un photographe de renom, ainsi qu'une exposition de ses œuvres dans une galerie d'art réputée. Ne voyant aucun mal, nous avions insisté auprès de nos parents pour qu'ils soient présents lors du vernissage. Leur réaction fut mitigée et malgré leur envie de rester positif, ils ne purent s'empêcher de tiquer sur les clichés.

— Louis, tu te rends compte que tu es… nu sur ces photos ? m'avait demandé mon père dans la voiture sur le chemin du retour.

— Évidemment ! J'étais là quand Maxime les a prises, ça tombe sous le sens !

— Ce que ton père essaie de te dire, c'est que tout le monde va voir… ton… ta… repris ma mère avec gêne.

— Ma bite ?

— Ne soit pas grossier, s'il te plait ! Mais, oui…

— Moi, je les trouve très réussies, m'avait défendu ma grande sœur. Louis n'a pas à rougir de ses formes, c'est un beau garçon et il est bien foutu. Et puis, il y a une alchimie incroyable entre lui et Maxime.

Elle me donna un coup de coude et me fit un clin d'œil que je ne compris pas sur le moment.

— La seule chose importante, c'est que grâce à ça, Maxime va pouvoir intégrer l'école de photo qu'il voulait. À condition que ses parents le laissent faire.

Mon père et ma mère échangèrent alors un regard qui pour ma vision d'aujourd'hui prend tout son sens.

Maxime resta plusieurs jours à Paris avec ses parents. Il fut invité à diverses rencontres d'artistes et même plusieurs interviews pour des magazines spécialisés. Il me manquait atrocement, même si nous nous appelions chaque jour, et je fus soulagé quand il rentra enfin.

Malheureusement pour moi, une discussion houleuse avec ses parents changea le cours de notre amitié. Maxime n'était plus le même, son regard autrefois si brillant s'était vidé, terni. Il n'avait plus de temps à me consacrer et il trouvait toujours un prétexte pour ne pas répondre à mes appels, se cachant des journées entières dans sa chambre sans en sortir. J'étais anéanti, son mutisme et son indifférence soudaine me brisèrent le cœur. Je passais des heures le soir à ma fenêtre, attendant un signe de sa part qui ne vint jamais.

Un matin, alors que je marchais en direction du lycée, je l'aperçus un peu plus loin devant moi. Mon sang se mit à bouillir dans mes veines, une rage d'incertitude et d'injustice que je ne sus réprimer. J'ai foncé vers lui et l'ai plaqué contre le mur.

— C'est quoi ton putain de problème ?

Ma voix tremblante trahissait mon incompréhension et ma détresse. Il baissa les yeux, incapable de me regarder.

— J'ai plus le droit de te voir…

— Quoi ? Comment ça ?

Il leva les yeux vers moi avec une expression désemparée sur le visage.

— J'ai tout dit à mes parents et… ils pensent que c'est de ta faute…

— Qu'est-ce que tu leur as dit ? Je pige rien !

— Louis… j'suis gay…

Je suis resté con, planté comme un piquet alors que ma vérité à moi aussi voulait éclater. Puis soudain, ça me revint : toutes ces filles qui nous tournaient autour et qu'on envoyait bouler sans ménagement, nous n’avions d’yeux que l’un pour l’autre. Les remarques parfois déplacées de nos camarades sur notre relation si fusionnelle qu’on balayait en levant les yeux au ciel. Ces regards en coin que nous lançaient les gens quand on se promenait ensemble dans la rue, qu’on se tenait par la main. Ce mal-être inexplicable qui me vrillait l'estomac quand nous étions séparés…

— Je t'aime, Maxime !

Je n'avais plus à réfléchir, mes yeux étaient enfin grands ouverts.

— Quoi ?

— Je t'aime et je t'ai toujours aimé, depuis le premier jour ! T'es ma putain d'âme sœur !

Tout était devenu si évident, si clair. Je n'avais pas peur et je me fichai de ce que les autres pouvaient penser. Il n'y avait plus que son visage, ses affreuses larmes que je voulais sécher, son corps que je voulais enlacer. Je mis mes mains sur ses joues pour l'attirer vers moi, mais il se recula.

— Tu n'as pas à avoir peur. Plus personne ne te fera de mal. Je serais toujours là pour te protéger, j'te le promets !

Il me sourit et nous échangeâmes notre premier baiser, une étreinte merveilleuse et pourtant si singulière, la chose la plus indéniable de nos existences, comme si cela avait toujours fait partie de nous, de notre histoire.

Ses parents eurent beaucoup de mal à accepter la situation. Heureusement, les miens furent d'un grand soutien et parvinrent à les rassurer. Quatre ans après, à dix-neuf ans, nous nous sommes dit "oui" et ne nous sommes plus jamais quittés. Aujourd'hui, à trente-cinq ans, nous parcourons le monde comme nous l'avions rêvé. Maxime est devenu un photographe et un cinéaste talentueux, et moi le compositeur attitré de ses œuvres.

Pas un jour ne passe sans que je me réjouisse de ce merveilleux cadeau que la vie nous a offert. Il est ma moitié, mon meilleur ami, mon confident, mon amant… tout mon univers.

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