Chapitre 6

7 minutes de lecture

19 h 00.

Tobias m'accompagne hors du bungalow et me présente le pavillon-réfectoire, qui surplombe la mer, sur une petite colline. La vue est magnifique et le vent souffle légèrement. Je me tourne vers mon frère, qui regarde, lui aussi, la mer avec un petit sourire. Je lui demande :

- Il fait toujours beau comme ça ?

Il me jette un coup d'œil, puis répond :

- Oui. La Colonie est protégée par une barrière anti-dépressions, ce qui nous assure du beau temps toute l'année. Sauf certaines fois où l'on laisse tomber la neige, il ne pleut pas. Les nuages contournent la zone.

- Stylé.

- Comme tu dis.

Il soupire, puis me questionne :

- Tu as faim ?

Surpris, je réponds quand même :

- Heu oui, un peu.

Il me fait signe de le suivre et j'obéis. Nous nous dirigeons vers le pavillon-réfectoire, en extérieur. Un feu brûle au centre, et des dizaines de tables sont organisées en cercle autour. Dame Hestia est assise juste à côté, les yeux plongés dans les flammes.

"C'est dangereux pour une gamine d'être si près du feu", aurais-je pensé en temps normal. Mais, bizarrement, Dame Hestia a dans ses yeux une assurance, dans son corps une aura spéciale. Quelque chose qui me fait plutôt penser : "Tu pourrais te jeter dans les flammes, petite fille, que tu ne brûlerais pas d'un poil".

Tobias s'installe à une table placée au milieu des autres. Ni trop près du feu, ni trop éloignée. La table ressemble à une table de pique-nique et cela diffère avec les jeunes en armure grecque. Le nappe a une jolie couleur violette, et je remarque que toutes les tables ont une couleur différente (bien que l'on ne voie parfois pas la différence, c'est normal. Ça doit être difficile de trouver une bonne centaine de couleurs différentes).

Nous ne sommes pas les seuls à être venus pour manger. Progressivement, les ados arrivent, souvent en débattant sur des sujets qui semblent passionnants (mais dont je ne comprends pas un mot : les termes sont trop précis et scientifiques).

- Tobias ! Endlich bin ich fertig...

Je me retourne et vois une fille qui vient vers nous. Elle a les cheveux noirs attachés en une queue de cheval, des yeux perçants et un regard de tueuse.

- T'es qui toi ? me demande t-elle brutalement et se rapprochant dangereusement.

- Calme, Lisa, dit Tobias.

Il passe son bras autour de mes épaules, et Lisa me regarde bizarrement : comme si elle avait avalé un citron.

- Je te présente Jason, poursuit mon frère. Er ist nett, auch wenn er naiv wirkt, ajoute t-il avec un petit rire.

- Tu as dit quoi ? questionnai-je, voyant l'expression étonnée de ma sœur.

- Que tu es sympa mais naïf, répond Tobias sans aucune hésitation. J'ai l'impression que tu pourrais nous trahir sans remords.

Hein quoi ? Sous le choc, je vois mon frère me sourire chaleureusement. Heu, attends. C'est quoi cette famille ?

Lisa s'assoit, puis commence à me fixer intensément. Je suis très, très, très mal à l'aise. Qui ne le serait pas à ma place ?

- T'as l'air un peu con, me dit-elle en penchant la tête.

Je déglutis. Non mais vraiment, c'est quoi ces ados ? Ils ont aucune idée de ce que c'est le manque de confiance en soi ? Le respect des autres ? En tous cas, ça c'est ce que j'appelle de la franchise...

- N'empêche, continue ma sœur, t'es pas moche. T'es même plutôt mignon.

Bizarrement, je rougis. Venu de quelqu'un qui passe son temps à critiquer, un compliment a beaucoup plus d'importance et de sincérité.

Je me demande ce que doivent voir les ados qui entrent. Sûrement trois gothiques attablés, avec nos cheveux noirs et notre peau bronzée.

Je vois des filles glousser en passant près de mon frère et je comprends qu'il doit avoir du succès. J'esquisse un sourire. Lui ne les calcule même pas et se lance dans un conversation avec Lisa.

- Oui, explique t-il, mais tu sais que les Héphaïstos ont reçu un 5 l'autre fois au ménage ?

- Nan, sérieux ? demande ma sœur, surprise. Ils sont trop bordéliques, tu mens !

- Vraiment, je t'assure !

Je souris. Sous leurs airs de types asociaux et désagréables, ils ont en fait juste du mal à adapter leur comportement aux autres. La preuve ? Ils parlent français. S'ils ne voulaient vraiment pas m'inclure, ils parleraient allemand.

J'esquisse un sourire, que Lisa remarque :

- Hé, boy, dit-elle, tu dois crever la dalle là. Si tu veux les plateaux sont là-bas. Les gobelets marchent sur commande vocale.

- Ah ! Merci, fis-je à mon tour avec un sourire.

Elle hoche la tête comme pour me dire "de rien", je me lève, vais chercher un plateau puis reviens avec, le gobelet posé dessus. Je le fixe bizarrement : comment ça, sur commande vocale ?

- Coca-Cola, tentai-je.

Le verre se remplit alors d'un liquide brun pétillant. Mais... Comment c'est possible ?

Je reprends mon plateau et vais me servir au buffet. Viande sur le barbecue, légumes au four, fruits frais, brownie, gâteaux, je prends ce qui me plait. C'est génial !

- Jason ! m'interpelle mon frère en me faisant un signe discret. Oublie pas l'offrande. Faut mettre la meilleure partie de ton repas dans le feu.

Il se retourne vers sa table, sans plus me porter attention, comme s'il avait déjà oublié ce qu'il vient de me dire.

Je me dirige donc vers le feu, au milieu de toutes les tables, puis coupe le meilleur morceau de la viande, un peu de brownie (snif, quel gâchis) et les jette dans le feu.

Dame Hestia, qui était encore là, me fait un signe de tête en guise de remerciement.

Du feu s'envole une fumée colorée en violet, de la même couleur que notre nappe, qui sent extraordinairement bon. Je lève la tête et regarde autour de moi, comme cherchant le truc du tour de magie, retourne m'assoir et commence à manger lorsque j'aperçois les Aphrodite entrer dans le pavillon-réfectoire, Mademoiselle Baie à leur tête.

Ils passent à côté de nous, puis je remarque que leur table (la nappe couleur rose vif) est juste derrière la mienne et elle est d'ailleurs trois fois plus grande. J'ai le dos collé à leur groupe. Je déglutis avec difficulté et entends toutes leurs conversations.

- Ouais, dit une fille du groupe en me montrant sûrement du doigt, c'est lui le nouveau. Il est plutôt pas mal, non ?

- Bof, répond l'autre, pas mon genre. Moi je suis du genre mec romantique et délicat, tu vois ?

- Moi, j'aime bien, s'incruste une autre. Il est du genre à pouvoir te protéger si tu es en mauvaise posture et se battre par amour, tu vois ?

- Oh ! s'exclame une autre inconnue. Ce doit être incroyable de le voir jaloux !

Toutes gloussent avec enthousiasme. Je rougis jusqu'aux oreilles, entre dégoût, étonnement et gêne ultime.

- Hé, boy, me murmure Lisa, en voyant ma tête décontenancée, écoute pas.

J'esquisse un petit sourire et le regrette aussitôt : les Aphrodite se remettent à glousser bruyamment, me rendant tout rouge et les rendant d'avantage bruyantes.

- Vous parlez de quoi, les filles ? demande une voix de garçon.

A l'entendre, il a l'air gentil. Sa voix est douce et positive. "S'il-te-plait", je pense, "fais-les taire".

- Ah, Raphaël ! s'exclame une de ces insupportables demoiselles.

Je manque de recracher mon coca et me gifle intérieurement pour avoir pensé une chose pareille. Ce type, Raphaël, il est complétement malade dans sa tête ! Comment j'ai pu penser qu'il allait me sauver ?

- On parlait du nouveau, poursuit-elle, Jason.

- Il est grave beau ! dit une fille du groupe.

- Moi je dis pas non, ajoute une autre en gloussant une nouvelle fois.

- Dès demain, je te jure que je vais le draguer, enchaîne une ado.

Lisa se lève, toute rouge. Elle se retourne et semble vouloir dire quelque chose aux Aphrodite. Quand je vois ses poings serrés, je comprends qu'elle est très en colère et qu'elle risque de casser deux ou trois trucs.

- Non, intervient Raphaël avant que ma sœur aie eu le temps de dire quoi que ce soit. Son ton est soudain très froid, à ma plus grande surprise. Vous avez pas intérêt à l'approcher.

- Mais... fait une ado, sans comprendre.

- Je te dis de pas y toucher, souffle le garçon avec une voix ferme. Tu oserais quand même pas me contredire ?

Pardon ? Depuis quand il me défend, lui ?

Je jette un discret coup d'œil et vois une scène des plus étranges, une ambiance des plus désagréables.

Raphaël est debout et fait face à une ado (sûrement une Aphrodite) qui blêmit à vue d'œil. Dans les yeux du garçon, brille une lueur dangereuse. D'un coup, son sourire angélique a disparu et il est bien moins beau. Il fait même peur...

A côté, debout elle aussi, il y a Lisa, qui a projeté sa chaise trois mètres plus loin sous l'effet de la colère. Bouche-bée, elle observe la scène. Tout le réfectoire est silencieux, le regard rivé vers la table des Aphrodite.

- Toi ! s'exclame Lisa, avec une rage que je pensais qu'elle avait perdu.

- Moi ? interroge Raphaël en se détournant de l'adolescente, tremblante.

- Qui d'autre, boy ?

Il serre les dents, ses yeux jettent des éclairs.

- Je comprends pas pourquoi tu me déranges, là, dis Raphaël. Je protège ton frère. Tu devrais pas être contente ? Toi et moi on est d'accord sur ce point.

- Je vois pas pourquoi tu fais ça, boy, fait Lisa avec les sourcils froncés. Quelles sont tes raisons pour que...

- Mais qu'est-ce qu'il se passe ici ?

Marius vient d'arriver et contemple avec surprise la scène qui s'offre à lui : Lisa et Raphaël qui se font face, le réfectoire silencieux, plus personne qui bouge et, tiens ? Dame Hestia qui a disparu !

Annotations

Vous aimez lire Adèle Delahaye ?

Commentez et annotez ses textes en vous inscrivant à l'Atelier des auteurs !
Sur l'Atelier des auteurs, un auteur n'est jamais seul : vous pouvez suivre ses avancées, soutenir ses efforts et l'aider à progresser.

Inscription

En rejoignant l'Atelier des auteurs, vous acceptez nos Conditions Générales d'Utilisation.

Déjà membre de l'Atelier des auteurs ? Connexion

Inscrivez-vous pour profiter pleinement de l'Atelier des auteurs !
0