Chapitre 7

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- Mais qu'est-ce qu'il se passe ici ?

Marius vient d'arriver et contemple avec surprise la scène qui s'offre à lui.

- Rien, vraiment, intervient Raphaël en se rasseyant et esquissant un sourire. Il ne s'est rien passé du tout, Marius.

L'homme visé fronce les sourcils.

- Raphaël, je veux te voir dans mon bureau demain 16 heures. La même chose pour toi, Lisa.

Ma sœur hoche la tête, puis se rassoit, sans jeter un seul regard à Raphaël, qui a recommencé à discuter comme si de rien n'était.

Nous nous remettons à manger. J'ai bien moins faim, d'un coup...

Je repousse mon assiette, à moitié vide, puis vois quelque chose qui m'interpelle.

Thomas.

Seul, il entre dans le pavillon-réfectoire sans faire attention aux gens (qui ne font d'ailleurs pas attention à lui non plus). Il a la mine sombre, prend un plateau et va se servir au buffet. Il s'installe à une table pas très éloignée de la mienne.

Il ne me jette pas un regard et est sur le point de manger.

Je me lève précipitamment, bouscule quelqu'un à la table des Aphrodite au passage puis vais vers mon ami. Je m'exclame :

- Thomas !

Il lève la tête vers moi (enfin !) et me regarde de travers.

- Il ne faut pas manger, je lui explique. Tu dois d'abord aller vers le feu et mettre la meilleure partie de ton repas dedans. C'est la tradition.

- Désolé, répond t-il, désintéressé, mais j'ai faim.

Il plante sa fourchette dans ses pâtes et commence à manger, comme si de rien n'était. J'insiste :

- Hé, Thomas ! Si tu le fais pas, ce sont les dieux qui vont te tomber dessus, pas moi !

Il soupire, énervé, puis se lève pour me faire face. Dans ses yeux, je vois de la colère et de la jalousie, brûlant tout deux comme ils n'ont jamais brûlé.

- Je te préviens, Jason, dit-il, menaçant. Arrête de me protéger. Tu me laisses seul et retournes manger avec ton frère et ta sœur. J'en ai pas, moi. Toi tu en as alors profite.

Il prend son plateau, jette tout le contenu de son assiette dans le feu, repose son plateau et sort du pavillon-réfectoire d'un pas vif.

Je soupire et me passe la main dans le cheveux. Ça va passer, j'en suis convaincu, mais j'espère que ça ne va pas durer trop longtemps...

- Hé, toi, dit quelqu'un derrière moi.

Je me retourne, surpris, pour faire face à Raphaël. Il sourit.

Moi, je panique.

Qu'est-ce qu'il me veut, lui encore ?

- Tu m'as bousculé, tout à l'heure.

Ah. C'est lui que j'ai bousculé ! A cet instant précis, je regrette amèrement de m'être précipité pour dire au fils d'Adicie de jeter une petite partie de son repas dans le feu.

Je baisse les yeux sur mes Nike et m'excuse :

- Je suis désolé.

Le garçon a un petit sourire.

- Non, dit-il en secouant la tête. Je n'accepte pas tes excuses.

Je fronce les sourcils, sans comprendre.

- Pardon ?

- Je n'accepte pas tes excuses, répète Raphaël. Tu vas devoir trouver un autre moyen de te faire pardonner. Bonne chance à toi, termine t-il en me souriant à nouveau, ses yeux verts me regardant avec intensité.

Et il retourne s'asseoir, les mains dans les poches, me laissant debout, sonné par ses paroles incompréhensibles.

Mais qu'est-ce qu'il veut ? Qu'est-ce qu'il attend ?

- Hé, boy ! m'interpelle Lisa depuis notre table.

Elle me fait signe de la rejoindre et j'obéis.

- Il te voulait quoi ce Lauch ?

- Ce quoi ?

- Tobias, Lauch en français ? demande t-elle.

Mon frère réfléchit un peu puis traduit :

- Poireau.

Poireau ? Raphaël le poireau ? Oui, j'aime bien !

- Alors, questionne à nouveau Lisa. Il voulait quoi ?

- Que je m'excuse parce que je l'avais bousculé.

- Tu t'es excusé ? interroge t-elle.

J'hoche la tête en signe d'affirmation.

- Tu aurais pas du, dit-elle. Ces guys c'est tous les mêmes, si tu leurs montres que tu es gentil il te feront pas de cadeaux et se serviront de ta gentillesse. Comme quoi, tu es vraiment naïf.

- Hé ! je proteste.

- Moi je trouve que tu as bien fait, dit Tobias. De toute façon, tu n'avais pas vraiment le choix.

Un peu rassuré, je leur souris.

- Si tu as besoin de conseils contre le... Lauch ? Tobias ?

- Poireau.

- Oui, c'est ça, contre le poireau, tu nous dis.

- Ça marche, dis-je avec un sourire. J'ai besoin de prendre l'air.

- Pas de problème, boy, me fait Lisa avec un petit sourire compatissant.

Je sors du pavillon-réfectoire et marche dans la colonie, allant m'arrêter au lac de canoë-kayak (d'ailleurs je ne sais pas comment j'ai fait pour retrouver le chemin).

J'aperçois une silhouette, assise dans l'herbe au bord de l'eau. Thomas.

J'esquisse un petit sourire : c'est pas possible, on avraiment toujours les mêmes idées.

J'hésite à aller le voir, puis, après réflexion, je ne vois pas de problème, alors je me dirige vers lui, puis pose mes fesses dans l'herbe à sa gauche.

J'entoure mes genoux de mes bras, fixant l'eau qui clapote. A ma plus grande surprise, Thomas rompt le silence :

- Désolé pour tout-à-l'heure. Tu vois, moi j'ai pas de famille. J'en ai jamais eu. Alors, tu vois, quand j'ai cru que j'en avais une, j'ai cru... Enfin j'ai cru que... Bref, je sais que c'est pas une raison valable, mais je te le dis quand même. Je suis désolé.

Il soupire lourdement, puis poursuit :

- Quand je dis que j'ai jamais eu de famille, c'est parce que je ne considère pas ma mère ou encore mon père comme une famille. Pour moi une famille, c'est, je sais pas, moi, des gens qui... Qui... S'occupent de toi, qui te protègent, qui t'entourent, qui te tiennent compagnie, qui t'aiment. Et là... Je n'ai ni frère, ni sœur, ni parents normaux, personne... Personne pour m'aimer.

Il baisse la tête, fixe le sol. Je vois ses yeux se remplir de larmes. Il serre les dents. Il se mord le poing et je vois les larmes couler sur ses joues, de plus en plus nombreuses.

Je l'entoure de mes bras, et il s'y blottit, comme un enfant.

C'est dur pour lui. On peut dire "il a l'habitude", mais personne ne s'y fera jamais. Et encore moins lui.

Je sens une présence derrière moi. Je me retourne, il n'y a personne.

J'ai du rêver.

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