A Sunnydale, lorsque la nuit commençait de tomber, l’air prenait une densité particulière, mélange d'ombres menaçantes et de silence troublant. Buffy arpentait la rue déserte, la moue renfrognée, son pieu de bois se balançait au bout d'une main nonchalante.

Journal de la Tueuse, Stardate... euh, Mardi soir, pensa-t-elle. Population de vampires : en chute libre. Niveau de paranoïa personnel : au taquet.

Depuis une semaine, une sensation désagréable ne la quittait plus. Un genre de double picotement lui étreignait la gorge, comme si un viseur démoniaque était en permanence pointé sur elle. Au début, elle avait mis ça sur le compte du manque de sommeil, de l'excès de caféine, ou simplement du fait que sa vie était... eh bien, sa vie. Elle jeta un regard suspicieux dans une ruelle sombre. Rien.

Le truc vraiment bizarre, c'est les locaux, poursuivit sa voix intérieure… Les gars avec les canines rétractables et leur goût douteux pour la déco de cercueil. D'habitude, c'est la foire au suçon dès que le soleil se couche. Là ? Calme plat. Plus que calme. C'est... le désert. Comme s'ils avaient tous gagné un séjour à Acapulco « Hôtel Transylvania » ou pire, comme s'ils avaient peur. Et ça, un vampire qui flippe, c'est aussi rare qu'un bon film basé sur un jeu vidéo.

Elle décida d’abandonner sa ronde inutile et de passer voir Giles, son observateur. Elle avait besoin de parler... Elle le trouva encore à son bureau. Il nettoyait méticuleusement ses lunettes. Buffy se laissa tomber sur une chaise et commença à parler de son malaise.

Giles soupira,

- Buffy, nous avons déjà eu cette conversation… Le stress, le manque de sommeil... tout cela peut jouer des tours. Quant aux vampires, leur activité fluctue.

- Giles, sérieusement, répliqua Buffy en se redressant un peu. J'ai vu un groupe de trois suceurs de sang détaler comme des lapins parce qu'un chat a éternué. Un chat ! Et puis, Il y a autre chose… cette sensation d'être... pistée.

Jugeant sans doute leur propreté enfin satisfaisante, Giles ajusta ses lunettes.

- Reste vigilante, bien sûr. Mais essaie surtout de te reposer. Une bonne nuit de sommeil devrait éclaircir bien des choses. Et peut-être moins de... de choses sucrées avant la patrouille ?

Buffy leva les yeux au ciel et partit sans répondre essayant de se motiver pour reprendre son errance aussi inutile que stressante...

*****

L'ambiance au cimetière était… mortelle… d’ennui. Faith, s’était jointe à Buffy pour cette déambulation sans conviction entre les tombes. Elle mâchait son chewing-gum comme si elle voulait broyer le morceau de gomme à défaut de trouver quelque chose de plus consistant pour se défouler.

Patrouille aussi nocturne qu’inutile, songea Buffy. Avec en prime, ma co-équipière préférée par défaut, Faith... nos rapports sont aussi chaleureux qu'un hiver nucléaire et comme elle n’a rien à se mettre sous le poignard... Mais bon, enfin, disons que deux Tueuses valent mieux qu'une, surtout quand on ignore ce qui cloche.

-Planète Morgue ce soir. Pas un croc en vue, lança Faith en jetant un regard presque déçu autour d'elle. Tu crois qu'ils font grève ? Manque de reconnaissance du statut de nuisible nocturne ?

- Je sais pas... C’est tranquille, trop tranquille... ça me dit rien qui vaille, répondit Buffy, scrutant l'obscurité avec un malaise persistant. J'ai toujours ce...

Elle s'interrompit. Ses yeux s'étaient figés sur la lisière du bois qui bordait le cimetière. Faith suivit son regard.

- Whoa. C'est nouveau ça. C'est quoi, le fantôme de l'Opéra version mannequin ? murmura Faith.

Moulée dans une combinaison sombre qui semblait absorber la pâle lumière de la lune, une silhouette aussi sculpturale qu'éthérée flottait à quelques pas juste en avant des premiers arbres.

- Trop classe pour un zombie... trop... calme pour une démone standard, c’est genre œuvre d'art dans un musée hanté, murmura Buffy, les muscles tendus. Ça pue le gros calibre. Vamp… Très vieux, très puissant ?

Un sourire carnassier étira les lèvres de Faith. Elle tira son poignard, la lame glissa dans le fourreau avec un chuintement.

- Puissant ou pas, ça ressemble enfin à un truc à planter. Prête, Buf ?

- Comme jamais, répondit Buffy avec plus d’assurance dans la voix qu’elle n’en ressentait.

Elles commencèrent à approcher, rapides et silencieuses, prêtes à l'assaut. Alors qu’elles étaient à une dizaine de mètres d’elle, la femme tourna lentement la tête dans leur direction. Ses traits étaient d’une pureté parfaite, presque inhumaine, ou plutôt surhumaine, ses yeux scintillaient faiblement. Elle ne montra ni surprise ni peur. Elle leva la main d’un geste presque dédaigneux, paume tournée vers les deux Tueuses.

Buffy et Faith s'arrêtèrent net, comme si elles avaient heurté un mur invisible, figées sur place, incapables de bouger le moindre muscle.

Okay. Plan B ? Quelqu'un a un Plan B ? Parce que Plan A vient de se prendre un train en pleine face, pensa Buffy, paniquée. Je ne peux plus bouger. Pas la peur, non, enfin pas seulement. Physiquement clouée sur place. Comme une affreuse statue de jardin dans une vente aux enchères cosmique. Mes muscles hurlent, mon cerveau crie "BOUGE !", mais rien. Nada. Zéro.

La femme les observa une seconde, sans expression, sauf peut-être un sourire imperceptible, puis elle se détourna et s'éloigna. Elle disparut sans hâte, sans bruit entre les arbres sombres. Elle n'avait ni attaqué, ni menacé ; elle les avait simplement neutralisées puis superbement ignorées.

Il fallut une bonne minute, qui parut une éternité, avant que la pression invisible ne se relâche. Buffy trébucha en avant, le cœur battant la chamade. Faith grogna. Elle secoua la tête comme pour chasser des toiles d'araignée.

- Bordel... C'était quoi, ça ? haleta t’elle, furieuse.

Buffy, regardant fixement les bois, encore sous le choc.

- Je... je n'en ai aucune idée. Mais ce n'était pas un vampire. Pas comme ceux qu'on connaît en tout cas.

Elles échangèrent un regard chargé d'incrédulité.

- Faut qu'on parle à Giles et tout de suite dit Buffy d'une voix encore tremblante. … pourvu qu’il soit encore à la bibliothèque.

Elles quittèrent précipitamment le cimetière silencieux, laissant derrière elles le mystère glacial de la femme des bois.

Ouais… une bonne nuit de sommeil qu’il disait, Giles… bien sûr pensa amèrement Buffy. Je crois qu'on va avoir besoin de beaucoup, beaucoup plus de caféine. Et peut-être d'un manuel « Comment gérer les beautés spectrales qui jouent à 1-2-3 Soleil version paralysie totale ». J'espère juste qu'il a ça en stock... parce qu’il y a un sacré parfum d’apocalypse dans l’air.

*****

Buffy et Faith entrèrent décoiffées dans la bibliothèque, l’air hallucinées. Surpris, Giles leva la tête de ses grimoires.

Je connais ce regard chez Buffy, pensa-t-il. Le choc post-rencontre-étrange. Mais chez Faith, cette tension contenue, cette absence de défi... Quelque chose de grave s'est produit.

- Que s’est-il qui s'est passé ? demanda-t-il, la voix tendue.

- On patrouillait près du cimetière. Les vampires sont toujours aux abonnés absents. Et là... on l'a vue.

- Une nana, marmonna Faith, les bras croisés, crispée. Canon, genre super sexy, mais super flippante. Alors on s'est approchées, mode attaque.

- Et ? demanda Giles, impatient.

- Et... elle nous a vues. Elle a juste... levé la main, expliqua Buffy en mimant le geste lent, paume en avant.

- Et bam. Figées, grinça Faith. Clouées au sol. Impossible de bouger un cil. C'était... dingue.

Troublé, Giles commença à faire les cent pas.

- Immobilisées ? Complètement ? Par un simple geste ? Pas de sortilège visible, pas de lumière, pas de son ?

-Rien, confirma Buffy. Juste... l'arrêt complet. Et le pire... elle n'a rien fait d'autre. Elle nous a regardées une seconde, sans colère, sans rien. Puis elle s'est retournée et elle est partie. Tranquillement. Comme si on était juste... un caillou sur son chemin.

Un silence lourd s'installa.

- C'est... déconcertant, dit Giles, soucieux. Un vampire d'une telle puissance... qui aurait l'avantage absolu sur pas seulement une, mais deux Tueuses... Pourquoi ne pas attaquer ? C'est contraire à leur nature profonde.

- Vous pensez que c'est un vampire ? demanda Buffy.

- Et bien… l'immobilisation psychique n'est pas inconnue chez certains lignages très anciens, répondit Giles. Mais l'absence totale d'hostilité... C'est là que le bât blesse. C'est illogique. Anormal. A-t-elle dit quelque chose… avez-vous vu un symbole ?

- Non. Juste cette... présence… distante, dit Buffy.

- Et le pouvoir, Giles, ajouta Faith. On sentait le jus. Beaucoup de jus. Mais pas... sale comme un démon. Différent.

- Différent... Oui, acquiesça Giles, l'air grave. Il faut que je fasse des recherches. Rentrez vous reposer. Toutes les deux. Verrouillez bien portes et fenêtres. Je vous appelle dès que j'ai la moindre piste.

Lorsque les Tueuses partirent, Giles était déjà absorbé par un gros volume relié de cuir, un pli soucieux barrait son front.

*****

Le lendemain, le soleil californien ne suffisait pas à illuminer la journée de Buffy. En cours de maths, son esprit vagabondait… Difficile de se concentrer sur l'algèbre quand on se demande si une déesse mineure ou un super-vampire zen, vous a mise sur sa liste de choses à ignorer, pensa-t-elle.

Même le déjeuner à la cafétéria avec Willow et Xander n’arriva pas lui changer les idées. Elle poussait ses frites d’un bord de l’assiette à l’autre sans parvenir à les ingurgiter.

-Toujours rien de neuf de la part de Giles ? demanda Willow. J'ai essayé quelques sorts de détection hier soir, mais c'est comme si... l'énergie de cette… femme… ? n'avait laissé aucune trace.

- Peut-être qu'elle utilise un bloqueur de magie ? Le dernier cri pour entités spectrales à la mode ? tenta Xander.

Buffy soupira.

-Je suis passée voir Giles entre deux cours. Il est toujours dans ses bouquins, mais rien de concret. Il penche pour un vampire Mathusalem ou un démon majeur. Il est vraiment inquiet.

- On va trouver, la rassura Willow. Mais ce soir, tu as besoin de souffler. On pensait... le Bronze ? Musique forte, foule anonyme ?

- Ouais ! Une soirée normale ! enchaîna Xander. Faisons une pause dans l'apocalypse imminente !

Buffy hésita, puis esquissa un sourire fatigué. Le Bronze... Pourquoi pas…

*****

Pendant ce temps, dans la chambre miteuse de son motel, Faith fixait le plafond… passant d'une chaîne de télévision sans parvenir à s'intéresser à quoi que ce soit.

Okay, la nana des bois. Puissante. Glaciale... Personne me fiche la pétoche comme ça. Personne ! Elle se leva et se mit à faire les cent pas.

Mais... y a autre chose. Ce truc bizarre. Quand elle nous a figées... après la panique, la rage... y avait comme un... silence. Un calme plat à l'intérieur. Le genre de calme que je connais pas. Moi, je suis plutôt tempête H24. Alors, ressentir cette espèce de... paix intérieure, juste parce qu'une apparition flippante a levé la main ? C'est tordu…

Elle secoua la tête pour chasser cette pensée obsédante.

Si elle avait voulu nous faire la peau, elle avait qu'à se servir. Deux Tueuses en mode statue, c'est buffet à volonté. Mais non. Elle s'est barrée. Alors, quoi ?

Une lueur de détermination passa dans ses yeux. Ce qu'il me faut, c'est du bruit. Du mouvement. Le Bronze. Ouais. Oublier la reine des glaces et son tour de magie à la noix. Elle enfila son blouson de cuir et sortit.

*****

Pour une fois, l’orchestre était plutôt bon. Sur la piste du Bronze, Faith, vêtue d’un bustier noir qui peinait à dissimuler l’essentiel de son anatomie, se déchaînait avec une énergie brute.

- Elle danse comme si elle voulait exorciser le plancher, cria Willow à Buffy par-dessus la musique.

- Je ne sais pas, mais c'est... euh... très... athlétique… répondit Xander, les yeux rivés sur Faith avec un sourire béat. Il songeait avec nostalgie à une certaine et, hélas pour lui, unique, nuit torride.

Le regard de Buffy balayait la salle, l'inquiétude la taraudait. Soudain ses yeux s’arrêtèrent net sur une femme assise seule à une table dans un renfoncement de la salle. Veste en cuir noir, chemisier de soie blanche, cheveux tirés en un chignon strict, beauté saisissante, elle sirotait une boisson sombre, observant la salle avec un air de calme amusement.

Stop. Attends une minute, pensa Buffy. Ce visage... cette allure... Non, c'est pas possible. C'est pas elle. Pas la même tenue, mais un peu la même... vibe... et j’aimerais bien savoir ce qu’elle boit… ou plutôt je ne suis pas sûr de vouloir savoir…

Elle attrapa le bras de Faith qui revenait de la piste.

- Regarde. Là-bas. La table du fond, dit-elle d'une voix basse.

Faith plissa les yeux.

- Whoa. Okay... C'est moi ou y'a comme un air de famille avec notre copine des bois ? Genre, la version qui a fait du shopping sur Rodeo Drive ?

- C'est ce que je me suis dit, acquiesça Buffy. La même... stature. La même beauté froide. Et j’aime pas trop la couleur de son verre…

- Sainte Mère de... Guh... Wuh... C'est... c'est qui, ça ?! » balbutia Xander, bouche bée.

Faith se fit soudain plus sérieuse.

- Buffy, truc bizarre... Je ressens un truc. Un peu comme hier soir. Tu sais, cette... électricité statique dans l'air ? C'est beaucoup plus faible, presque rien, mais... c'est là. Ça vient d'elle on dirait.

Leur soirée "normale" venait de prendre un virage très étrange. La femme leva son verre, comme pour un toast silencieux, un léger sourire énigmatique sur les lèvres. Les deux Tueuses se regardèrent, le passage d’un projecteur avait révélé comme un reflet rouge sombre dans le breuvage que dégustait l’inconnue.

Tout en dansant sans parvenir à se détendre, Buffy ne quittait pas la femme des yeux. Elle la vit poser un billet sur la table, se lever avec grâce et enfiler un élégant trench-coat mastic.

- Faith ! Elle s'en va ! cria Buffy.

- A notre tour de jouer les détectives ? J'aime ça ! répondit Faith, les yeux brillants.

- Willow, lança Buffy, essaye de voir ce qu’il y avait dans son verre…

Elles fendirent la foule et sortirent discrètement du Bronze et emboitèrent la pas à leur cible. Dans la rue sombre, elles la suivirent à distance, dissimulées par les porches et les voitures. Soudain, Faith tira Buffy dans l'ombre d'une porte.

- Buf... Regarde. Dans les ruelles, murmura-t-elle.

Des silhouettes de vampires émergeaient de l'ombre. Au moins une douzaine...

- Merde. C’est un piège, elle nous a attirées dehors sous les crocs de ses sbires, dit Buffy en sortant un pieu. Douze contre deux... T'es prête ?

- Toujours prête à faire du compost et après on réglera nos comptes avec elle, répondit Faith avec un sourire féroce.

A cet instant la femme s'arrêta et se retourna. À la stupéfaction des Tueuses, les vampires s'immobilisèrent. Ce qui se lisait sur leurs visages déformés était de la terreur pure. Puis, comme sur un signal invisible, ils se débandèrent, et s’enfuirent pris de panique.

La rue était maintenant vide. La femme balaya la zone du regard, ses yeux se posèrent exactement sur la cachette de Buffy et Faith. Un très léger sourire amusé étira ses lèvres. Puis, elle se détourna et disparut au coin de la rue.

- Ils... ils ont eu peur d'elle, souffla Buffy.

- Elle n'a rien fait... juste... existé très fort. Et ce sourire... elle savait bien qu'on était là, mais elle n’en avait pas après nous, elle nous a même… protégées… ajouta Faith.

Quelques secondes plus tard, le rugissement d'un moteur puissant se fit entendre, et une Corvette bleu nuit des années 60 passa à vive allure.

- Whoa ! Une Stingray ! s'exclama Faith, admirative. Ça colle. Fille mystérieuse, pouvoir flippant, voiture de collection d'enfer. Je me prostituerais pour en avoir une comme ça… enfin non, peut-être pas…

Willow et Xander les attendaient devant Le Bronze.

- Elle vous a aidés avec une aura qui repousse les vampires ? s'interrogea Willow, les sourcils froncés. Ça pourrait être une Bénédiction sainte ? Ou un pouvoir démoniaque de très haut rang ? Pour le verre, désolée, le serveur a débarrassé avant que je puisse approcher…

- Quoi qu'il en soit, c'est trop gros, trop bizarre, conclut Buffy d'un ton sérieux. Demain matin, première heure, on va voir Giles. Il faut qu'on comprenne qui – ou quoi – elle est.

*****

Le lendemain matin, dans la bibliothèque, le Scooby Gang, fatigué, fit son rapport à un Giles proche de la panique, ce qui était presque incroyable pour le très Britannique bibliothécaire. Il écouta le récit de la déroute des vampires, le visage fermé, arpentant la pièce.

-Une telle démonstration de domination... Et ce calme, cette... désinvolture... murmura-t-il. Il s'arrêta net, ses yeux brillaient d'une lueur d'effroi. Il y a une légende... Très ancienne, très obscure... L'histoire d'une... Reine. Une matriarche des vampires. Une entité primordiale dont la puissance éclipserait même celle des Maîtres les plus anciens. Mais je ne pensais pas qu’elle pouvait exister…

- Une... Reine des Vampires ? balbutia Willow, blême.

- Si c'est elle... qu'est-ce qu'elle fait ici ? demanda Buffy, le cœur serré.

- Giles reprit. Si cette femme est… ce que je crains, pourquoi vous avoir épargnées et même aidées ? Par deux fois ? Cela n'a aucun sens... sauf si c'est une manipulation. Une partie d'un plan bien plus vaste… Elle joue avec nous.

Faith, adossée à une étagère, secoua la tête.

- Je ne sais pas, Giles. Ce que j'ai ressenti... C'était pas juste de la puissance brute. Y avait autre chose. Presque... propre. Calme. Je dis pas qu'elle est Mère Teresa avec des canines, mais... pas foncièrement hostile non plus. Pas envers nous en tout cas… elle les a arrêtés.

- Faith, l'intuition est une chose, mais les faits sont là ! la coupa presque Giles. Et je n’ose penser à ce qu’elle buvait… devant tout le monde…

- Abuser ? Manipuler ? Peu importe ! intervint Xander. Si c'est ça, une Reine Vampire... eh bien, je suis prêt à me faire mordre ! Vous avez vu cette femme ? C'est un mélange parfait entre... Monica Bellucci et Charlize Theron en encore mieux !

- Xander ! tonna Giles, exaspéré. Est-ce vraiment le moment de disserter sur les attraits physiques d'une entité qui pourrait annoncer la fin de notre monde ? Ressaisi-toi, bon sang ! Quoi qu'il en soit, nous sommes face à un danger immense. Willow, concentre-toi sur les légendes de reines vampiriques. Buffy, Faith... restez sur vos gardes. Et Xander... essaie de te rendre utile. Il y a un plan. Et nous devons le découvrir avant qu'il ne soit trop tard.

Alors qu'ils se plongeaient dans les livres, le bruit d'un pas léger mais assuré résonna dans le couloir.

Oh non, songea Buffy ! Pas Cordelia, là c’est trop pour aujourd’hui... Ce n’était pas Cordelia… Vêtue d'un pantalon blanc immaculé et d'une marinière chic à rayures rouges et blanches, l’inconnue se tenait dans l’embrasure de la porte.

Giles bondit et brandit un lourd crucifix ancien.

- Restez où vous êtes !

La femme sourit, examinant l'objet avec curiosité.

- Oh, c'est magnifique ! Période Normande ? XIème ou XIIème siècle je dirais… Si jamais vous envisagez de vous en séparer, je serais prête à vous faire une offre très généreuse.

Giles resta bouche bée. Buffy tenta de saisir son pieu, mais la femme intercepta sa main avec une douceur désarmante et déposa l'arme sur une chaise.

- Attention avec ces choses pointues, dit-elle d'un ton léger. Sa voix était chaude, enveloppante avec un très léger accent étrange. Elle se tourna vers un miroir, rajusta ostensiblement son bandeau et ajouta avec un sourire éclatant : Oui, mon image se reflète parfaitement dans les miroirs... et j'adore les bains de soleil, surtout sur la Riviera Italienne.

Pas un vampire. Définitivement pas… Espiègle, elle retira un de ses escarpins pour montrer son pied fin. Et je n’ai pas les pieds fourchus, donc pas un démon non plus... Xander manqua de s'étouffer.

Faith, relâcha sa main posée sur son poignard. Elle ressentait comme une vague de calme déstabilisante... surtout pour elle.

- Qui êtes-vous ? Que voulez-vous ? demanda Giles, tentant de reprendre ses esprits.

- Rupert Giles ! vous ! un éminent érudit d’Oxford, une sommité dans le domaine de l’occultisme, répondit l'inconnue. Et vous n'avez toujours aucune idée ? Je suis un peu déçue. Son expression redevint sérieuse. Vous n'avez absolument rien à craindre de moi. Je ne suis pas votre ennemie. Elle les regarda chacun tour à tour… Votre désarroi m’amuse… Je vais vous donner encore un peu de temps pour réfléchir... Je reviendrai disons… ce soir… neuf heures ?

En partant, elle s'arrêta une fraction de seconde devant Faith, lui lança un regard intense et complice qui n'échappa pas à Willow, puis sortit. Le bruit de ses talons s'éloigna. Un long silence s'installa.

- Ok... Donc... Pas vampire. Pas démon. Adore le soleil, résuma Xander. On peut la garder ?

- Elle nous a désarmés comme si on était des enfants, dit Buffy, décontenancée.

- Si elle n'est ni vampire, ni démon... Qu'est-elle ? s'interrogea Giles. Ça me plait de moins en moins…

Faith se précipita à la fenêtre, juste à temps pour voir la Corvette démarrer sur les chapeaux de roue et disparaître.

- Faut avouer, elle a du style, la nana mystère, lança-t-elle nonchalamment en revenant vers les autres.

Giles tapa dans ses mains.

- Assez de rêveries ! Nous avons jusqu'à neuf heures pour comprendre qui elle est ! Au travail !

Alors que les autres se replongeaient dans les livres, Faith s'affala sur une chaise.

- Au fait, lança-t-elle, elle avait des bijoux sympas… La broche accrochée à sa marinière. En forme de feuille, mais super longue et pointue. Stylée.

- Faith ! s'exaspéra Giles. Si tu tiens à discuter chiffons ou colifichets, va importuner Cordelia ! Nous sommes engagés dans une recherche cruciale !

Sans se démonter, Faith se leva et se dirigea vers le rayon des périodiques sous le regard incrédule de Giles "non mais elle ne va pas aller se plonger dans des revues people... " songea t'il furieux. Faith attrapa une vieille revue de cinéma, la feuilleta paresseusement, puis revint vers Giles et la lui présenta.

- Regardez ça, Giles, dit-elle calmement.

Giles ravala une phrase acerbe. Sur la page s’étalait une photo de l’actrice Liv Tyler dans Le Seigneur des Anneaux. Faith posa son doigt sur le bijou qui ornait le costume de la star.

- Cette broche. Quasiment identique à celle de notre visiteuse. Et autre truc marrant... elle a une petite cicatrice, presque invisible. Je l'ai vue quand elle s'est regardée dans le miroir. Presque au même endroit que celle d'Arwen dans le film, après sa baston contre les Nazgûl.

Giles resta figé, son irritation s'évaporait pour laisser place à une incrédulité stupéfaite.

- La... l'Étoile du Soir ? Mais... c'est... c'est du Tolkien ! C'est de la fiction ! Il arracha presque le magazine des mains de Faith. Est-ce possible ? Tolkien n'aurait donc pas tout inventé ? Me suis-je trompé depuis le début ? Il se tourna, l'air illuminé. Il me faut mes exemplaires du Seigneur des Anneaux ! Le Silmarillion ! Immédiatement !

Il se mit à farfouiller frénétiquement dans ses collections, laissant le reste du groupe éberlué. Au bout d’un assez long moment, il releva la tête.

- Écoutez... commença-t-il d'une voix étranglée par l'émotion. J’ai du mal à l’imaginer… pourtant j’envisage une piste qui me semble... délirante. Ce n’est pas possible... mais les pièces semblent s'emboîter. Je crois... je crois qu'il est possible que notre visiteuse ne soit autre que... Dame Arwen

Un silence stupéfait accueillit sa déclaration.

- Arwen ? Genre... Arwen et Aragorn ? demanda Xander. C'est une blague ?

-Je sais que cela paraît incroyable, même à Sunnydale ! poursuivit Giles passionnément. Mais pensez-y ! Ce bijoux, cette cicatrice, cette beauté surnaturelle, cette grâce, cette aura de lumière et de paix ! Sa capacité à repousser les vampires – la lumière contre l'ombre ! Les descriptions... elles correspondent de manière stupéfiante ! Si c’est cela, elle serait... l'être le plus pur, le plus lumineux que l'on puisse imaginer ! Son enthousiasme retomba. Mais... il y a un problème majeur. Dans les écrits de Tolkien, il est clairement dit que, par amour pour Aragorn, Arwen a choisi le destin des Hommes. Elle est morte de chagrin en l'An 121 du Quatrième Âge. Alors comment... comment pourrait-elle être ici, maintenant ? Et puis les vampires chez Tolkien sont des créatures du 1er âge, bien avant la naissance d’Arwen… comment peut-elle les dominer ainsi ? Et puis la cicatrice... c'est dans le film, pas dans le récit de Tolkien ???

Tandis qu'il parlait, son regard croisa celui de Faith, assise parfaitement immobile, elle l’écoutait avec une attention absolue, une expression de fascination douce sur le visage. Un calme profond semblait l'habiter.

Etonnant... pensa Giles, décontenancé. Elle est... subjuguée. C'est comme si mes mots résonnaient en elle, je ne l’ai jamais vue comme ça...

- Voilà où j'en suis, conclut-il. Une hypothèse folle, des contradictions majeures, et un rendez-vous dans... un peu moins de deux heures. Je... je ne sais plus quoi penser.

Le Scooby Gang resta silencieux, essayant d'assimiler cette théorie abracadabrante. Une Elfe de Tolkien à Sunnydale ? Et pourtant... l'aplomb de la femme, son pouvoir, et la réaction étrangement apaisée de Faith rendaient l'impossible, soudainement, un peu moins impossible. Et puis, ici, l’impossible était une notion bien relative…