-Je vous préviens, je suis en peignoir, j'allais me lancer un film donc si ce n'est pas important vous pouvez dégager tout de suite! lançai-je me dirigeant vers le palier.

J'ouvre la porte d'un mouvement franc.

-Si tu annonces que tu ne portes qu'un peignoir, les gens vont rester plantés là tu sais.

La petite déesse se tient en face de moi, rire aux lèvres.

Je referme aussitôt.
Je reste interdite. C'est un mauvais sketch. Elle toque à nouveau. Comment connaît-elle mon adresse? Avec un air suspect, je rouvre quand même et la crible de questions comme un agent de police.

-Qu'est-ce que tu fais ici? Qui t'a donné mon adresse? Qui t'a permise d'entrer dans l'immeuble?

-Oulah, calme toi. Je viens juste te rapporter ça. (Elle tend dans ma direction mon porte chéquier en cuir que je saisis). Il était sous mon canapé. Il a dû tomber pendant que tu te prenais pour une judokate... Je n'ai pas engagé de détective tu sais, j'ai simplement regardé ton adresse sur tes papiers et je suis venue. La gardienne sortait les poubelles, je suis rentrée au même moment voilà tout.

-Bien...(Je baisse les yeux, encore sidérée de la voir se tenir ici.) Merci. Je pars demain donc ça m'est très utile. Je ne vais pas te retenir, tu dois avoir tout un tas de choses à préparer, toi aussi, avec le réveillon demain.

Elle semble vexée.

-Tu ne préfères pas m'inviter à rentrer? demande-t-elle sur un ton de reproches.

Je ne réponds pas.

-Tu aimes que tes voisins écoutent notre conversation? (Elle se retourne vers le palier en face.)

Non, je ne veux pas la laisser rentrer chez moi. Si je la laisse faire, si je cède maintenant, elle va prendre possession de tout ce qui m'appartient. Ici, c'est mon antre, le seul lieu où je me sens bien. J'ai lutté pour l'obtenir. Elle ne peux pas être qu'une invitée ou un fantôme. Elle ne sait pas être une ombre. A l'instant où elle franchit cette porte, elle va faire de cet endroit son territoire. Toujours elle redevient chienne.

Je prends une grande inspiration et je lui tiens tête.

-Il n'y a personne en face. L'autre appartement m'appartient. Question de sérénité...  Je suis crevée et je voudrais me reposer avant mon départ, il est certainement plus sage que tu rejoignes ton mari et ta maison.

Un silence qui me paraît interminable s'installe. Elle me scrute de la tête aux pieds,  j'attends qu'elle me saute à la gorge et tranche de ses crocs ma carotide.

-Tu ne me pardonneras jamais, en fait, c'est ça? me lança-t-elle.

-Quoi?

-Tu m'en veux encore, hein, tu ne pourras jamais oublier ta rancune?

Je me frotte le front. Je ne veux pas me battre. Je ne veux pas parler du passé.

-Tu me détestes parce que je suis sortie avec lui? Tu n'es pas capable d'oublier cette vieille histoire ?

-...Bordel, arrête ta comédie. Tu débarques du jour au lendemain dans ma vie, tu crois que c'est parce qu'on a couché ensemble que tu vas obtenir une sorte d'absolution ? Tu fais fausse route. C'est toi qui est venue me voir. C'est toi qui est là, je ne te demande rien. Rentre chez toi et reprend ta vie de fausse épouse modèle !

Je soupire de dédain. Je m'aperçois que j'ai la main crispée sur le chambranle de la porte. Une vive tension traverse mon corps, son intensité était semblable à celle de la veille, lorsque j'ai poussé Charlène sur son canapé. Elle ne dit rien. Finalement, elle s'approche quand même lascivement de moi, pose sa patte sur mon épaule, abandonne sa joue contre la mienne, sa douce truffe sur ma peau, elle sent mes cheveux, mon épiderme; elle me glisse à l'oreille "Mon mariage est une supercherie."

Elle se recule, dépose un baiser sur mes lèvres et part sans un bruit.

Sans l'avoir prémédité, je venais de lui mettre une bonne raclée.