Revenir chez mes parents, c'était accepter de changer les choses. C'est vrai, je serais bien rester volontiers plus longtemps dans la maison de repos. Néanmoins, on ne peut pas se terrer toute sa vie dans une chambre en attendant le trépas.
La transition s'est faite relativement doucement. Mon père et ma mère, bien qu'ils ne bousculaient pas leur nature profonde, parvenaient à mettre un peu plus de douceur et de forme lorsqu'ils m'adressaient la parole.
La bride de mon cou glissait sensiblement.

Mon père m'a rapidement trouvé un petit boulot de pigiste grâce à un de ses contacts. Bien que je n'avais pas un enclin particulier pour l'écriture, mon parcours scolaire en littérature, grammaire et philosophie était pourtant au-dessus de la moyenne. Je commençais donc à sillonner notre agglomération ainsi que les bourgades avoisinantes pour relater la moindre petite nouvelle.
Tantôt dans des associations culturelles, tantôt à des rencontres sportives comme à des inaugurations, je rencontrais un nombre significatif de personnages plus ou moins intéressants.
Le rédacteur des Chroniques du Centre aimait mes papiers et au fur et à mesure, mon style s'affirmait, les faits, les personnes et les scènes devinrent plus nettes et plus justes.
Ce monde me paraissait sans limites et je ne me lassais pas de découvrir de nouveaux visages. Rapidement  j'ai compris, non, disons plutôt que j'ai enfin admis la façon dont tournait le monde. Les gens, les relations, les intérêts, l'entremêlement des ambitions et des nécessités; l'ensemble des théories que j'avais apprises à la faculté s'incarnaient parfaitement et mon jugement ainsi que mon esprit d'analyse se mutèrent entièrement.

Une majeure partie de la vie est un jeu d’échec. La question essentielle est de savoir si l'on souhaite y prendre part, et si c'est le cas de quelle manière on désire avancer dans cette récréation existentielle. Voilà, je voyais véritablement les autres sur un plateau, je m'amusais à discerner leurs qualités et leurs faiblesses, seraient-ils plutôt des pions, des fous, des rois...?
Parfois, au creux des soirées auxquelles je participais, après avoir rédigé quelques notes et parlé aux différents protagonistes d'un évènement, je m'installais consciencieusement dans un coin de la pièce et je scrutais tous les êtres présents pour deviner quelles pourraient être les éventuelles manœuvres de jeu.
C'est ainsi que j'ai rapidement découvert les travers des personnalités du coin et que j'ai commencé à songer à la manière dont je pourrais entrer dans ce microcosme pour faire monter mon étoile au firmament.