EMMANUEL ANDREST

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EMMANUEL ANDREST Août 2022, Marseille, France.
La couleur de l'abîme dans la pénombre du petit matin malsain, le vide cérébral commis par le désespoir. Un petit homme, pas très grand mais pourtant téméraire, boit une tasse de thé vert devant la lucarne entrebâillée donnant sur la rue toute proche, pensant à ces paroles insensées. C'est le méandre de son existence, la vie imparfaite qu'il dépeint avec tant d'efficacité, tout c'a dans son funeste passé qu'il s'est efforcé de faire paraître parfait. Un homme indépendant mais empli de chagrin. Il a perdu sa star mondiale, il s'est forcé de dire que ce n'était d'aucune part sa faute, mais il sait au fond de lui que c'est lui le fautif, lui qui a tué sa star. Un manager qui tue, quelle ironie du sort ! Il se tient, savourant le dernier verre de sa vie. Un bruit de verre cassé, d'un seul coup. Un Sig Sauer trône sur son piédestal de plexiglas, levant une balle fumante sur le crâne indemne de sa victime. Soudain, dans la pénombre, le PAN ! retentit, et le cri de l'horreur a l'audace d'envahir Marseille d'une angoisse terrifiante. C'est bon. Il s'est puni, il s'est atrocement mutilé, il a rejoint le monde du Christ, il a retrouvé sa star morte. Déception en voyant qu'aucun de ses supérieurs n'a quitté sa terre. Tristesse de l'erreur humaine et fatale. Mais ce qu'il ne sait pas, c'est qu'il a produit la fin d'une époque : la fin d'une génération Z. Un abattement jovial secoue le mutisme du vide. Quand alors, le cadavre de la dépouille du vieux manager s'estompe sur le pied de sa chaise, une sonnerie de téléphone tonitruante hurle à travers le mutisme rompu, sans pour autant le trancher. Le lendemain, approximativement deux heures s'étant écoulées après que l'opératoire du QG de la P.J est voulu joindre le mort, les policiers techniques couvrent la façade chauffante de la demeure, l'ambiance s'étant rapprochée des deux heures dans le néant. La mort se sent à des kilomètres, mais personne ne la perçoit Avant tout ç’a, l'opératoire au QG est très répétitif quand on essaie de joindre le mort, sans y parvenir. La sœur du mort, une dénommée Margareth Blaguier, n'est plus de l'heureux sentiment qui la bloquait. Non, le désespoir chagrinant l'a envahie d'un seul coup : - Madame, navré de vous le faire apprendre mais votre frère, Thibault Blaguier, est mort hier, d'une balle de Sig Sauer dans le crâne. Les lésions sont graves, la balle a traversé quelques neurones de son esprit et l'a tué net. On pense au suicide, mais nous n'en sommes pas si sûrs. Veuillez avertir vos proches... Et la tromperie bouleverse le monde. Mais à travers cette coquine averse d'après-midi qui chute vers les degrés, un légiste, un très bon, traîne dans l'ambulance au gyrophare ambulant. Le bleu se reflète sur l'asphalte et les barrages obstinent les automobilistes qui s'indignent : - Non mais avec les émeutes déjà, ils nous barrent l'A75 et en plus, ils nous barrent l'entrée de Marseille ! Mais quels salopards, ces flics ! - Du calme, je vous prie. C'est la procédure, messieurs-dames. Il n'y a pas d'autre choix, à moins que vous voulez que nous bouclons le secteur, calme Sliera dans cette foule d'agitation insensée. Le quinquagénaire a bien du mal a retenir son désespoir à lui seul. Son portable vibre sans arrêt d'SMS à la minute, il se retient bien de siffler un bref « FERMEZ-LA » aux habitants.Le légiste, impatient de se lancer au sujet, raconte alors l'histoire d'un mourant : - Voyez-vous, en étudiant de fond en comble l'ADN, j'ai identifié non seulement celle de la balle introduite dans l'esprit mais aussi celle du pistolet. Elles correspondent toutes deux à celle de....la victime. Ce qui nous amène à la conclusion du suicide. Mais voyez-vous, il faudrait savoir la raison d'une telle action. Ainsi donc, entre les lésions cérébrales et les frottements corporels que l'on peut apercevoir sur son petit corps couvert d'ecchymoses, on apprend que Cool Guys, star belge, est aux services de vous-savez-qui. Vous nous faites le coup d'Harry Potter, dites-moi. Je dirais bien qu'il y a là problème, Andrest. Le voilà, mon p'tit problème : cet homme-ci contre, c'est bien le cadavre, la dépouille dirais-je d'un manager assistant. Et là, ce que vous me dites, c'est que Cool Guys aurait engagé cet homme dans sa tournée internationale. Hors, il y a neuf mois, le manager en question a été viré, possession de drogue dans ses affaires. Il se serait donc suicidé pour la simple raison que sa star est portée disparue, probablement décédée. Mais ce qui m'intrigue, c'est ces ecchymoses sur son corps, ainsi du fait qu'il se soit tué pour celui qui l'aurait viré. Non. Il y a une autre raison qui nous échappe, Emmanuel, répond Sliera au pif, ayant bien réfléchi. Mais la raison la plus plausible, c'est bien celle d'Andrest. Il refuse de l'admettre, Sliera, au bord de la crise de nerf, mais il sait bien qu'il se trompe sur la ligne. Andrest poursuit alors sa routine, il nettoie les moindres marques d'ADN sur chaque surface rectiligne imposée à la PS. Il n'a que deux vies, mais il n'en vit qu'une : la pure. Ce serait comme demander au Diable d'accorder une faveur au nouveau-venu en lui accordant « Le Paradis » malgré ses péchés dans la vie réelle. Ce serait comme un bateau échoué où l'on retrouve seulement qu'un survivant, qui meurt presque tout de suite avant qu'on l'amène à l'hospice. Sliera fume une vulgaire cigarette électronique, tout en guettant les alentours. Il a sa blouse Top Gun posée sur ses larges épaules carrées, alors qu'Andrest se promène en lapin blanc, sautillant comme l'animal. D'un seul coup, un ding assourdi retentit sur le portable du vieux médecin. Estelle Cougar. Sa femme. Quelqu'un, peut-être deux personnes, peuvent pouvoir autant se défouler au téléphone. Mais jamais une jeune épouse ne s'est autant inquiétée pour son mari, un légiste sans danger. Autant s'inquiéter pour un flic qui part au combat, voir au Viet-Nam. Que voir au Viet-Nam, parlons plutôt du nombre de morts...Un SMS banal pourtant si loin de la réalité. Une vision réelle là où on ne peut comprendre le monde : « Comment tu vas ? Artur est en colère contre MOI, parce que soit disant je lui ai mis la honte devant le collège, et le bébé ne fait que pleurer alors je ne vais pas bien du tout. Sinon, raconte moi ta journée en rentrant. XXX » Répondre à un SMS, la plus simple chose à faire.Et une action qui n'est pas des plus simplifiées : avoir des enfants. Artur, ce si beau bébé sortant tout droit des entrailles de la plus belle merveille au monde. Un bébé qui pleurait déjà à son arrivée, jusqu'à grandir. L'élever d'une mauvaise manière, dirais d'autres. Mais accorder n'importe quoi à son enfant n'est qu'une période d'un maigre temps avant qu'il réfléchisse à comment avoir la même chose. Un enfant, c'est pas idiot, c'est pas non plus intelligent. Et quand ç’a pleure, ç'a pleure sévèrement. Pourtant, il y a bien si longtemps, Estelle et lui en étaient dans la phase « heureux » malgré les maintes nuits sans sommeil devant la nursery. Pianotant sur le clavier tactile, Andrest écrie manuellement : « Je vais très bien. Dis à Artur que ce n'est pas parce que nous n'avons pas les moyens de nous payer une Subaru qu'il a le droit d'être en colère contre nous pour des conclusions idiotes. Je vais raconter ma journée plus tard, là, mon chef m'a retenu plus longtemps que prévu. » Estelle avait parfois l'impression, en lisant les SMS de son mari qu'il avait changé. Autrefois, dans leur belle maison en pleine Corse, il ne s'énervait jamais, ne buvait pas autant d'eau et ne rentrait guère avec le visage d'un cancéreux. Parfois, elle pensait qu'il n'était plus comme autrefois parce qu'il travaillait trop. Mais Emmanuel ne travaille pas trop, et lui croit surtout qu'Estelle se fait du bile pour rien, vraiment pour rien, c'est un type juste épuisé. Et tant mieux s'il dépassait la consommation limite d'eau, il n'aurait pas le problème de vie. Et Estelle lui semblait elle surchargée depuis qu'elle avait pris en plus d'un travail de secrétaire à Auburn, un métier de mère à temps partiel.Après avoir aidé la PS et ses cotons-tiges imposants, il se retient de pousser un rictus exaspéré : Sliera, Estelle, Artur, ces gens...Des ennemis de paix. L'implosion prend garde au cerveau ébloui d'Andrest, qui maintient toujours ce corps inanimé devant lui. Et si vraiment la balle venait de lui. On a relevé les empreintes, secoué l'appartement de fond en comble, mis des contacts dans la poche des scientifiques, mais tout a été visé sur le suicide. A ENDING HORRIBLE. Une fin vraiment fade. Pourtant, dans l'esprit emmêlé du vieux Andrest, une chose leur échappe : as-t-on vérifié les planches du parquet ? A-t-on vérifié le papier pain ? C'est tout juste si on a essayé de relever les empreintes dans les WC et fouiller la poubelle pour y trouver un 1911 ou un quelconque 9mm. L'agacement lui vient presque à la tête, d'autant plus qu'il doit régler un problème tout enfantin en rentrant chez lui. Sa vie n'a jamais été de ce genre, et Estelle a raison. Autrefois, dans un café de Nice, elle travaillait en tant que barman, mèches décolorées, le style tout rebelle des années 90. Lui était simplement un homme dans la trentaine, voulant trouver un quelconque métier, qui quelquefois lui paraissait nickel, quelquefois lui paraissait tendu. Un entretien d'embauche qui changea leur vie. Il débarqua, en vieille 4L d'ex-plombier (la compagnie lui en ayant fait cadeau après son licenciement prématuré, puis se mit à table, comme n'importe quel gars se met à table. Mais quelque chose en lui n'était par ailleurs par comme n'importe quel gars en question. Il y avait une lueur d'espoir dans ses yeux ébahis, cherchant du pouvoir sur ce petit commerce tranquille. La serveuse la plus tranquille, cette blondasse mi-blonde, mi-bleutée, la seule qui aurait pu le servir. Personne, son coup de chance, tout le manager avait été perquisitionné pour une autre tâche. Il serait arrivé un autre jour, voir un Dimanche pluvieux. Mais non. Il a commandé une salade César, la spéciale onctueuse, un thé amer et s'était penché pour mieux voir les iris verdoyantes de sa belle future épouse. Une petite dame, dans la vingtaine et ne dépassant nullement les quarante kilos, la poitrine amaigrie et l'humeur frappante des gentilles demoiselles qui désirent plaire à leurs clients.Les tatouages marquant son corps n'étaient que superficiels, des marqueurs du monde. Un désir de pacifisme, un chat qui se dandine sur son petit bras mi-long mi-musclé, une sirène séduisante jusqu'à un petit cœur, un cœur qu'on forme d'habitude avec le pouce et l'index des deux mains. J'aime pas les gens, fallait-on retenir. Sourire au gens, se laisser faire, et suivre le bon chemin, sans se tromper de direction. Puis, noyé dans les yeux de sa prochaine victime amoureuse, il avait répondu, d'un ton presque savoureux : - Madame, vous travaillez toujours ici ? - Je pense, Monsieur... ? avait répondu la Femme. Andrest. Emmanuel Andrest, avait répondu L'homme. (« Et quel genre de femme aussi belle que vous travaille dans un tel endroit ? » « Le genre a vouloir gagner sa vie sans trop perdre, le genre à vouloir payer ses études de fac. Vous croyez, c'a, vous ? ») Pause ou pas pause, elle s'est assis à la même table de ce vulgaire séducteur, a pris un Coca Light qu'elle a lentement déversée dans son verre avec une mine de félin, et elle a grincé des dents en voulant se répondre à elle-même : « Mon homme, l'homme de ma vie, avait-elle pensée sur le moment ». Une simple heure, entre ce Georges Bavaille, big boss du petit restau, l'esprit gangsta des jeunes qui laissa un vide dans le bâtiment, et les folies d'autres, pour foutre sa vie en l'air. Le licenciement était prévisible : dès le lendemain, la petite Estelle Cougar se fit renvoyer pour sèchement des heures de travail. Mais elle s'en foutait : elle avait passé un très beau moment avec ce chômeur reconverti en Médecin Légiste. Dès le mois suivant le licenciement, les deux jeunes amoureux s'en allèrent vivre une semaine aux îles Malouines, des îles bien pauvres en monde, mais belles en première découverte. Coup de foudre, nuit étoilée, mariage, et grands étalons suffirent pour un bel extra de dernière minute. Le jour, ils allaient au marché pour prendre ce qu'ils devaient, le midi se passait devant le lac à se goinfrer de sandwichs sans viande, le soir se passant alors dans une ambiance peut coquine mais peu sympathique. Une ambiance du genre agressive, le félin s’intensifiant dans sa rencontre avec le diable. Il ne fallut pas plus de deux jours passés là-bas, en tant qu'asiates sans trop de peine, pour que tout s'estompe, qu'Estelle la Coquine, félin Cougar, demande à ce qu'ils s'installent. Emmanuel ne fut pas du même avis, il voulait attendre le mariage, il voulait attendre ce qui devait se faire attendre. Et pourtant, plus les jours passèrent, plus Estelle s'efforça à le convaincre. Si bien qu'un soir, revenant à son bungalow, il eut décidé d'en finir avec tout cela. Il avait changé d'avis : il allait prendre la bague des trois mois ensemble, il allait lui mettre au doigt. Il est parti à la conquête de son amour et y a posé la bague à son pauvre petit doigt doré. Quelle émotion qui accompagna la cérémonie. Quelques habitants des îles se rassemblèrent autour de la scène, ils avaient tout compris, malgré leur faible apprentissage français (Qué « BONJOUR » ? Qué pasa ? ») La langue imparfaite. Une petite lumière s'était éveillée en la petite Estelle, elle avait resserrée son étreinte contre son mari et lui avait imposé la raison du baiser sur ses lèvres. Un baiser mielleux, avait-il conclu. Ce fut comme un réveil dans un lit, là où une étoile se dessine dans nos yeux quand on ne s'y attend pas. Une étoile qui ne s'échappa jamais naguère le soir, quand l'agressivité est à son comble. Un fabuleux rêve frêle l'attendait depuis si longtemps dans cette étoile éblouissante. Et dés ce jour, il se promit de ne jamais quitter cette étoile fabuleuse. Son destin amoureux. Mis aujourd'hui, été 2022, il vient se dire pourquoi. Pourquoi ? Pourquoi une telle promesse non tenue. Il était intelligent, mais pas à ce point-là. Il ne déduit pas la logique de ses dires. Il y avait bien eu une année où il avait ressentie une logique dans ses dires. Un rêve, un destin fabuleux. Ils habitaient le deux-pièces d'un logement de fac, un petit appartement de la taille d'une chambre sur 10 mètres carrés, pas la place d'y mettre un salon, autant y mettre un lit, une télévision 1998, un landau pour les nouveaux-venus, un mini-frigo calé dans un coin, un lavabo et un W-C peu seul sur la terre, sale et mal entretenu. Des toilettes publiques, un logement calé devant une route bruyante, une pollution et une odeur fade de vieux. Mais ils aimaient leur vie. Emmanuel avait débuté à la Police Scientifique, ils avaient résolu une affaire qui avait valu des millions, il avait gagné le genre italien « une banale Fiat Punto à quatre places, avec des rayures par là, sans enjoliveurs, un moteur Diesel ». Elle s'était approprié la place de Barmaid au bar niçois.Un monde ailleurs, tout se fut déchaîna, tout était une vie déracinée. C'était une vie simple, banale, mais la meilleure année. L'ami, vous êtes dans les nuages, fit Sliera en claquant de l'index. Les songeries, pensa son bel esprit. Il n'avait naguère connu une telle conclusion de l'avenir en se mettant avec sa belle ex-fiancée. Vous devez savoir ce qu'est l'amour, Chef : Il y a une belle corde. Elle est si belle, si entretenue. Malgré tout, quand on ne l'entretient pas, elle pète et se barre. J'ai eu des gosses, je sais pas si j'ai des gosses pourtant. J'ai pas eu de gosses, et ma femme est partie avant même que je lui dise que c'&tait la seule chose qui comptait pour moi. Le monde le lui avait volé sa femme, accident de voiture, des gangsters lors d'une intervention. Une voiture à une intersection piégée à la dynamite. La voiture qui explose en débris impassibles, le gangster souriant de ses crimes et péchés impunis, lui qui s'enfuit à deux pattes, ricanant du malheur des autres. Un corps nu et déchaussé de toute chair l'habitant.Il ne voulait plus de sa vie, le gangster à lui-seul ne voulut plus sa vie à son tour. Le parfait coup. Intervention qui a mal tournée : sa voiture a explosée. Une chance que vous n'êtes pas resté à l'intérieur, je pense. Une simple songerie, pas une larme facile coulant sur ses joues. L'air sombre, démarrant le sentiment morose des jours heureux. Il aurait préféré mourir heureux que vivre malheureux. Mais il n'a jamais pu se confesser devant cette faucheuse fauchant les corps mélangés entre étranges au paradis pour lui obtenir un prix. Mais non. - Vous savez quoi, j'ai l'impression que cette affaire concorde parfaitement avec celle de Cool Guys, ne le croyez-vous donc pas ? Pas notre terrain, Ernest, on risque pas d'y aller. Question rhétorique et démêlé de confession. Emmanuel salue son bon chef et lui assure qu'il va emmener le corps à la morgue. Montant dans la camionnette à la lumière étrange, il enclenche la première et fait une poussée d'accélérateur devant ce qu'il appelle la première Nationale vers Auburn. Il laisse passer les paysages entre les fenêtres, laissant la compassion le comprendre. Sliera démuni d'effort. Mais quel est ce pays, à tout prendre ce que nous l'on aime ? On est libre dans nos têtes, mais pas dans nos lois d'efficacité. On est respectable du moins quand l'existence nous le pardonne. Le volant serré entre ses doigts, il s'efforce d'oublier sa maigre réponse rouvrant de vieilles blessures. La radio hurle sur le canal FM « Sans Contrefaçon, de Mylène Farmer ». Il tapote le levier de vitesse, las de devoir encore travailler alors que d'autres ont pris un jour de congé avec leur famille. Il conduit toujours, se dandinant sur son siège « Puisqu'il faut choisir/A mots doux, je peux le dire/Sans Contrefaçon\Je suis un garçon ». CHERRY BOMB ! La camionnette longe le long de l'A7-Nord sans regret. Le trafic s'intensifie devant le péage, mais la route longue n'est point occupée par les embouteillages. Entrée de Marseille, assez tôt. Elle sait que le laboratoire de recherche est vers le sud, vers Auburn, et que la morgue se perche vers les quartiers peu habités par les dealers et autres canailles. Les voitures se baladent vers le parc tout sud. Un petit détour à intersection et la camionnette se laisse garer sur le parking de la morgue du laboratoire de biomédecine de Marseille. Il descend, à l'aide de plusieurs collaborateurs, porte la bâche du corps ensanglanté, s'en va vers le bloc opératoire et pose le corps devant une table vide. Anxieux, il déballe la bâche. Le corps est encore chaud, les lèvres sont bleutées par l'asphyxie sans air, la tempe est entrouverte et le sang a coagulé au point de former un énorme trou sanguinolant. Les yeux sont rougis par l'hémorragie, le regard du cadavre est fermé, comme s'il n'avait pas eu de douleur. Ahuri, Emmanuel entrouvre la plaie avec un scalpel. Tout cela le répugne, il enfile des gants en latex, se remet au travail, prend des échantillons et se rend au doute du suicide. Quel suicide peut être commis par balle avec tant d'ecchymoses sur le torse et une paire de strangulation sur le cou ? Des pièces de monnaie coulent le long du cerveau d'Andrest en blocage. Il ôte ses gants, remet la bâche, range le corps dans un coffre congelé, et bâcle son travail, concluant qu'il trouvera plus tard la raison du meurtre.Un démêlé de justice. Par réflexe, avant de sortir prendre sa voiture au détour du parking, il dépasse le sentier descendant vers un chantier souterrain abandonné et prend son téléphone pour appeler Estelle, la prévenir qu'il rentrera bien plus tôt que prévu. Allô, Estelle...Oui, oui, je vais bien...Non, non, il ne m'est rien arrivé, du moins, encore...Bon, je vais rentrer plus tôt...Non, je n'ai pas fini mais je n'y comprends rien...Je t'expliquerai, chérie...Bye, raccroche...Oui, au revoir. Une dizaine de minutes plus tard, le voilà sur le siège de la camionnette Mercedes blanche, la clim ne brassant aucun air aux alentours, le moteur tournant au cœur de tour. Une merveille pure en technologie. Il passe la première devant la route, peut-être la seconde, et s'aventure vers un Marseille revivant. De là sent-il le gratin dauphinois de femme, le baiser savoureux qu'elle va lui offrir, l'histoire qu'elle va lui raconter et le repos qu'elle va lui offrir. Il laisse la camionnette en double-file, derrière une lignée de voitures plus petites qu'elle, et monte les marches de granit menant au fleuriste. Il est 18h 10 quand il remonte la rue Edmond Rostand jusqu'au 12, Quartier Vauban, un vase de roses sous le bras. Il remonte l'étage et sonne à la porte, s'attendant à une jolie tête, tenant un bébé de trois mois et un enfant aussi rebelle que son père épuisé. Il sourit à cette pensée, puis grommelle en ne voyant qu'un petit garçon pétrifié devant la porte, lui ouvrant, mâchant un chewing-gum, jouant au Tamagotchi malgré la sortie des consoles de génération. Fiston, où-est ta mère ? Chais pas, elle nous a laissé avec le gratin dauphinois sur le feu. Une urgence du boulot, elle a dit. Quelle peut être une urgence pour une barmaid, sérieux, s'exclame Andrest, accablé par l’absence de sa femme. Un dîner silencieux, une fade odeur de vieux flottant dans l'air, un lit vide, et un repos agité. En fait, Estelle a tout fait, semble-t-il pour éviter la présence de son mari imprévisible. Malgré le tas de fleurs fanées sur la table en bois, elle ne fait pas sauter le verrou de la porte pour pénétrer dans le hall d'entrée, mais fait un détour vers les places de parking devant l'immeuble jaunâtre. Le seul endroit calme où elle se vide et peut fumer ses cigarettes tranquillement, sans que quiconque ne l'en empêche. En fumant, entre les petits volutes de fumée volant dans le ciel, elle pense à son existence fichue en l'air. Et à son époux, Emmanuel, à qui elle voue toute son affection. A-t-il changé entre les années ? Oui, elle en est sûre. Depuis qu'il travaille pour ce Sliera, ce n'est pas la même vie qu'il vit. Il se met en surconsommation de caféine, les impulsions de colère sont nombreuse, il flâne longtemps sur son ordinateur personnel, et est plus épuisé que d'habitude. Leur amour s'était avancé sur un terrain glissant qui n'étais jamais remonté. Et maintenant, il remonte lentement sans bouger, de peur qu'il se brise entièrement. Une horrible idée lui vient en tête, mais elle la déplore et la laisse de côté : fouiller l'ordinateur d'Andrest. Après avoir écrasé son mégot sous sa botte, elle remonte l'étage et entrouvre la porte. Elle renifle la douce odeur des roses blanches, puis pose ses clefs de voiture dans le bocal. Le trajet qu'elle court entre l'entrée et la salle de bains l'épuise alors elle se pose devant le miroir, immobile petite feuille végétale. Elle a vieillie avec tant d'années, les traits de son visage sont beaucoup creusés, ses joues sont bouffies et ses lèvres se sont ridées. Tout comme son vieux front de mère-poule. Elle ouvre les vannes du robinet, et chose inoubliable : elle sanglote. Les larmes lui coule le long des joues, elle se passe de l'eau sur le visage, essuie ses yeux bouffis. Non, ne pleure pas, idiote ! Emmanuel n'a jamais changé. Mais on a beau tous nous dire cela, on sait très bien qu'au fond de nous, on change forcément. Elle se glisse sous ses draps, près du corps chaud de son mari, et peine à s'endormir, malgré l'averse de trafic déboulant près de l'entrée de la rue. Un vrai capharnaüm, si l'on compte les jeunes fêtards du coin, et les boiteux qui hurlent à d'autre. Mais elle ferme d'un seul coup les paupières, repensant à son époux. Un drôle de rêve...Un frisson qui la parcourt...Le vent frais qui repousse des vagues d'eau à ses pieds chaussés de tongs 41. Elle s'avance vers le ciel orangé, les nuages l'appelant « C'est moi, ton chéri, Estelle ». Elle touche du bout des doigts quelque chose de doux et soyeux. C'est la main de son mari, son visage l'appelant aussi. Elle l'étreinte du mieux qu'elle peux, mais il s'éloigne alors et l'obscurité sombre de la chambre revient alors, le réveil prétextant qu'il est temps de se réveiller un Jeudi Matin, vers 11h. Le sommeil ralentit notre existence, mais accélère notre veillée. Bientôt, Emmanuel va se réveiller, il sera bien obligé de se réveiller pour bercer le petit, pour se prendre un double expresso en gobelet et pour hurler sur le petit bonhomme qui lui a ouvert la porte. Mais elle, elle reste dans les draps, pétrifiée à l'idée de devoir se lever encore une fois, pétrifiée d'horreur par son rêve glamour. Pas spécialement d'horreur, c'est parce qu'elle repense à son époux qui s'en va, la laissant sur un regard colérique. Un simple coup d’œil : non, son mari n'est pas très glamour mais il ne l'abandonnerais jamais. Et si jamais... Évidemment, il fallait que ç’a arrive. Un petit adolescent téméraire qui prend son petit frère dans les bras, puis qui prend peur et qui le relâche dans son landau, le laissant en pleurs. Un homme épuisé qui se lève, tendant le bras sur le dos tordu de sa femme faussement endormie, comprenant qu'elle dort et qu'il souhaite la bouder. Une femme qui dort mais qui pense à son époux malgré la cacophonie enfantine du salon. ARTUR ! Pourquoi as-tu pris ton petit frère...PUT... Andrest s'était pris, du haut de ses un mètre-quatre-vingt, le muret soutenant la rampe d'escalier. Il avait glissé sur quelques centimètres et était retombé sur le sol, l'air à la fois rageux et ahuri. Il se relève, grommelant du charabia incompréhensible et remonte les trois premières marches infranchies. Une fois à l'étage supérieur, il hurle que sans vouloir déranger qui que ce soit, il trouve insupportable qu'on le réveille un jour de travail si tôt. Il est à peine 11h mais pour lui, tant qu'on a pas dépassé les 15h, il est tôt.

Une Clio rouge, une camionnette de morgue, une vie de médecin quoi. Elle veut trouver un prétexte pour que son mari change de comportement devant eux. Il a changé, elle l'a trouvée depuis qu'il est entré dans cette brigade scientifique. Elle s'est que c'est en rapport à quelque chose. Il n'y a plus qu'à chercher des réponses. Et elles ne sont certainement pas dans le coffre d'une voiture ni dans une camionnette sentant la mort à plusieurs kilomètres : elles sont planquées dans un ordinateur de service, caché dans une camionnette fermée à clef. Par chance, peu avant de partir, elle a pris le double de la clef, ce qui lui permet de crocheter la serrure et de pénétrer. La pénombre l'empêche de bien suivre les lignes de l'habitacle mais elle trouve à tâtons une silhouette d'ordinateur. Pas de code PIN pour entrer dans l'ordinateur, c'est qu'il a de l'intelligence dans ses actes.Comme par coïncidence, il y a un code PIN pour pénétrer dans les archives de recherche de son mari. Et il ne faut pas chercher loin, un quinquagénaire ne fout pas un post-it dans une camionnette. Il garde dans la mémoire son code jusqu'à ce que l’Alzheimer lui bouffe le cerveau. Pis elle a beau chercher, mais Estelle ne trouve aucune Clé USB, aucun papier, aucune boite cachant des indices. Rien. Elle s'enlève des archives et cherche les prochains sites sur lesquels Emmanuel a pu se réfugier. Bingo ! Siffle-t-elle dans le noir. Un site web étrange, qu'il a reconverti en dossier sans nom.Un enregistrement lu sur des centaines de l'année de son admission à aujourd'hui. Jetant des regards autour, elle met le son au minimum et perçoit, dans un méli-mélo de paroles éhontées et graves : Je suis un médecin, là où personne ne voit ce que font les autres. Je suis un pécheur, un homme qui multiplie les péchés. Mon plus grand péché, c'est d'avoir couvert une enquête de la mairie, celle de Reynold Yarbies, un Yankee débarqué d'Amérique du Nord. Je suis un menteur, un gars éhonté. Mais je suis surtout celui qui découpe des corps chaque jour, pour découvrir quelle sombre et glauque meurtre va-t-on résoudre. Ce qui m'embête, c'est la façon de regarder ces corps, ce qu'ils reflètent. L'autre jour, j'ai perçu un sentiment de compassion pour un homme qui s'est pris de multiples coups de couteaux. Je dois avouer quelque chose, j'ai aimé son regard mais j'ai déploré comprendre ce qui lui était arrivé. C'était comme lui repêcher la chose qu'il aimait le plus... »

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