Chapitre 1
Le monde s’étendait sous nos yeux, foisonnant de détails, saturé de couleurs éclatantes. Des rues bondées, un marché grouillant d’activités, et des visages anonymes se pressaient les uns contre les autres. Les étals étaient encombrés de marchandises aux mille teintes, les bâtiments s’entremêlaient dans un enchevêtrement vertigineux d'architecture dépareillée, et au-dessus de tout cela, le ciel brillait d’un bleu irréel. La scène rappelait les illustrations désordonnées des livres pour enfants, ceux où l’on cherchait inlassablement un homme perdu parmi la foule.
Mais ici, quelque chose clochait. Une tension sourde, à peine perceptible, imprégnait l’air. La foule était trop dense, trop serrée. L’agitation quotidienne semblait emprunte d’une frénésie latente, prête à éclater à tout instant. Chaque visage était banal, chaque geste répétitif. On sentait l’anonymat pesant, aliénant, comme une marée humaine dont personne ne pouvait émerger. Le décor familier devenait soudainement oppressant, écrasant par sa prolifération et son chaos sous-jacent.
Et pourtant, parmi cette masse indistincte, une figure semblait se détacher. Difficile à cerner, comme une ombre qu’on croit apercevoir du coin de l’œil mais qui disparaît lorsqu’on cherche à la fixer. Un homme. Mince, vêtu de rayures rouges et blanches, un bonnet enfoncé sur le crâne, un sourire énigmatique flottant sur son visage. Charlie.
Il était là, au cœur de cette foule compacte, comme une anomalie. Il ne se déplaçait pas comme les autres. Là où chaque individu semblait englué dans la monotonie de son trajet, Charlie avançait avec une légèreté presque inquiétante. Il glissait entre les corps, disparaissant parfois derrière un groupe pour réapparaître ailleurs, à peine plus loin. Ses mouvements étaient fluides mais dérangeants, comme un reflet qu’on aurait vu se distordre dans un miroir brisé.
Les yeux s'attardaient sur lui, fascinés par cette étrangeté dissonante. Sa silhouette, pourtant banale en apparence, résonnait d’une étrangeté difficile à expliquer. Il n'était pas à sa place. Chaque mouvement de sa part semblait créer une onde dans la foule, un frisson invisible qui se propageait doucement, modifiant l’atmosphère. Le bruit des conversations s’abaissait imperceptiblement lorsque Charlie passait, comme si la foule sentait instinctivement la présence de cet intrus sans oser le reconnaître.
Soudain, dans un mouvement qui défiait la logique, Charlie s’arrêta. Le chaos autour de lui continuait de tourbillonner, mais lui restait figé, immobile au centre de cet océan de bruit et de couleurs. Son regard parcourait la scène, analysant les visages sans n’en rencontrer aucun. Une lueur traversa ses yeux, quelque chose de profond, de troublant, presque carnassier. Ce n’était pas de l’innocence, ni de la curiosité. C’était une attention calculée, froide, comme celle d’un prédateur guettant sa proie.
La foule, insensible à ce moment, continuait de se mouvoir, ignorant l’étrange ballet qui se jouait sous ses yeux. Mais quelque chose changeait. Lentement, subtilement, la scène autour de Charlie semblait perdre en clarté. Les couleurs autrefois si vibrantes se ternissaient, les bruits devenaient sourds. Les passants, eux-mêmes, semblaient perdre de leur substance, se fondant dans une masse informe, à la manière de personnages dessinés qui s’effaceraient peu à peu d’une page.
Et au centre de tout cela, Charlie restait immobile, comme le seul être véritablement réel dans ce monde qui s’effritait.
L'arrivée du chaos venait de commencer.
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