Chapitre 3
Assis dans l’ombre de son bureau encombré, un détective privé étudiait les rapports de police empilés sur sa table. La lumière tamisée de la lampe de bureau éclairait à peine son visage, taillé par des années de fatigue et de déception. Ludovic Leclerc, un vétéran des enquêtes difficiles, était de ceux qui ne reculaient devant rien pour résoudre un mystère. Ses yeux glissaient sur les mots, sur les photographies de scènes de crime, tentant de trouver un sens au chaos qui s’étalait devant lui.
Depuis des semaines, des morts inexpliquées frappaient plusieurs villes. Des corps découverts au milieu de la foule, sans qu’aucun témoin direct ne puisse éclairer les circonstances. Chaque cas semblait plus étrange que le précédent. Le profil des victimes n’avait rien en commun : hommes, femmes, jeunes, vieux. Rien ne reliait ces personnes entre elles, du moins en surface. Pourtant, Ludovic était convaincu que ce puzzle, aussi complexe soit-il, possédait une logique cachée. Une logique que seul un esprit obsédé pouvait dénouer.
Leclerc avait suivi les premières vagues de meurtres de loin, sceptique au départ. Des crimes aussi silencieux, aussi propres, cela relevait presque du mythe. Mais la répétition des faits, leur régularité glaçante, avait fini par éveiller en lui une curiosité qu’il ne pouvait plus ignorer. Ce qui l’avait surtout frappé, c’était l’absence totale d’indice. Pas de meurtre classique, pas d’armes retrouvées, pas de traces de lutte. Rien que des corps, comme figés dans une dernière seconde de vie, et cette impression insaisissable qu’un fantôme était à l’œuvre.
Ludovic se pencha en arrière, laissant échapper un soupir las. Il saisit un des nombreux articles de presse empilés à ses côtés, le titre en gros caractères attirant immédiatement son regard : « L’Invisible frappe encore ! ». Depuis quelques jours, ce surnom était sur toutes les lèvres. L’Invisible, un tueur mystérieux que personne ne voyait, mais que tous redoutaient. La ville entière semblait plongée dans une paranoïa sourde, guettant chaque homme vêtu de rouge et de blanc. Et c’était précisément cela qui avait commencé à obséder Ludovic.
Un homme au pull rayé. C’était un détail, presque insignifiant, mentionné au détour de plusieurs rapports. Certains témoins parlaient d’une silhouette floue, d’un homme étrange aperçu dans les parages avant ou après les meurtres. Rien de concret, rien de solide. Mais Ludovic savait reconnaître un fil conducteur lorsqu’il en voyait un.
Ce soir-là, dans le silence pesant de son bureau, Ludovic relia enfin les points. Ce personnage énigmatique, vêtu d’un pull à rayures rouges et blanches, semblait réapparaître, encore et encore, dans les témoignages flous recueillis près des scènes de crime. Il n’était jamais central dans les descriptions, souvent relégué à la périphérie de la scène, comme un spectateur invisible. Pourtant, quelque chose dans la récurrence de sa présence dérangeait Ludovic. Il avait appris au fil des années que le hasard avait rarement sa place dans les affaires de meurtre.
Son instinct, affiné par des années d’enquêtes, lui soufflait que cet homme n’était pas simplement un témoin ou un passant. Il se déplaçait trop facilement à travers les foules, disparaissait trop vite avant que quiconque ne puisse vraiment le voir. Il avait ce talent inhumain de passer inaperçu tout en étant bien présent, comme une illusion, un mirage. L’Invisible, en effet.
Ludovic se leva de son bureau, son esprit en pleine ébullition. Il fallait approfondir. L’analyse des rapports ne suffisait plus. Il avait besoin de fouler le sol, de respirer l’air des lieux où ces crimes avaient eu lieu. Pour comprendre ce qui reliait vraiment les victimes entre elles, il devait se plonger dans cette foule oppressante, se fondre lui-même dans l’anonymat pour traquer ce fantôme insaisissable.
Son premier arrêt serait la gare où avait eu lieu le meurtre initial. Là où tout avait commencé. Il se rappelait de cet endroit, bondé de passants pressés, d’étudiants et de travailleurs fatigués. Un lieu banal, mais étrangement propice à l’invisibilité. Ce serait son point de départ.
Avant de partir, il saisit son carnet, griffonnant quelques lignes dans une écriture rapide et nerveuse : « Homme au pull rayé. Toujours proche des scènes. Invisible aux autres, mais visible dans le chaos. Pourquoi ici ? Pourquoi ces victimes ? ».
Ludovic savait qu’il s’aventurait dans un labyrinthe tordu, sans aucune certitude de trouver une sortie. Mais c’était cela qui le poussait à aller de l’avant. Plus l’affaire semblait insoluble, plus il s’enfonçait dans ses méandres avec une obsession presque maladive. Le mystère de cet homme en rouge et blanc l’intriguait au-delà de la raison. Il avait déjà résolu des affaires où la logique semblait s’effondrer, mais jamais une comme celle-ci. Ici, c’était une lutte contre quelque chose de plus grand, de plus insidieux : une présence qui défiait toutes les règles du tangible.
Il savait qu’en cherchant cet homme, il s’exposait à des dangers que la plupart des gens auraient fuit. Mais pour Ludovic Leclerc, il n’y avait plus de retour en arrière. Le mystère l'avait déjà englouti. Et ce Charlie, cet homme aux rayures, allait bientôt découvrir qu’il n’était pas aussi invisible qu’il le pensait.
Ludovic quitta son bureau, l’esprit alerte, prêt à se fondre dans l’ombre pour percer enfin le secret de cet énigmatique tueur.
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