Chapitre 5
Ludovic Leclerc déambulait dans les rues étroites de la ville, ses mains enfoncées dans les poches de son manteau usé, son regard acéré sondant les visages anonymes qui passaient près de lui. Il avait décidé de commencer son enquête sur l’un des premiers meurtres, celui qui l’avait poussé à s’intéresser de plus près à cette affaire énigmatique. La victime, un homme de quarante-cinq ans nommé Jacques Morin, avait été retrouvée morte sur la place du marché, un après-midi ensoleillé. Aucune trace de lutte, aucun indice apparent. Tout comme les autres victimes, il semblait simplement s’être effondré au milieu de la foule, sa vie éteinte sans bruit.
Le marché bourdonnait d’activité, comme à son habitude. Des étals de fruits, des stands de vêtements, des familles qui flânaient. Rien ici n’indiquait qu’un meurtre avait eu lieu. Ludovic observait les lieux avec une attention méticuleuse, essayant de capter l’atmosphère, de ressentir ce qui avait pu se passer ce jour-là. Les témoins de cette affaire n’avaient jamais été d’une grande utilité, mais quelque chose lui disait qu’il y avait encore des informations à déterrer.
Il s’approcha du premier témoin qu’il avait prévu d’interroger : un vendeur de fleurs, dont l’étal se trouvait non loin de l’endroit où Jacques avait été retrouvé. Le vendeur, un homme d’une cinquantaine d’années, était visiblement fatigué, ses mains terreuses témoignant d’une longue journée de travail. Ludovic se présenta brièvement, montrant sa carte de détective privé.
« Vous vous souvenez du jour où cet homme a été retrouvé mort ici, n’est-ce pas ? » demanda Ludovic, cherchant à capter l’attention du vendeur.
L’homme hocha la tête avec lenteur. « Oui, je me souviens. Un après-midi étrange. Il y avait du monde comme toujours, mais… c’était comme si quelque chose flottait dans l’air ce jour-là. »
Ludovic prit mentalement note de cette remarque. « Vous avez vu quelque chose d’inhabituel ? Un homme peut-être, vêtu de rouge et blanc ? »
Le vendeur fronça les sourcils, visiblement troublé. « Rouge et blanc… oui, je crois… » Il hésita, cherchant ses mots. « Je ne sais plus vraiment. Il y avait beaucoup de monde, vous savez. Mais c’est vrai, je crois avoir vu un homme… ou peut-être pas. Il était là, puis plus là, comme un rêve qu’on oublie en se réveillant. »
Ludovic sentit un frisson lui parcourir l’échine. Il avait déjà entendu cette description : l’image d’un homme qui s’efface dès qu’on tente de le retenir en mémoire. Cela confirmait ce qu’il redoutait. L’influence de cet homme, Charlie, sur les esprits des gens n’était pas naturelle.
Il continua son enquête, parlant à plusieurs autres témoins. Tous semblaient donner des réponses similaires : ils avaient l’impression d’avoir vu cet homme en rouge et blanc, mais les détails s’échappaient de leur mémoire dès qu’ils tentaient de les formuler. Une femme, assise sur un banc le jour du meurtre, se souvenait d’une silhouette, floue et insaisissable, qui passait entre les gens. « C’était comme s’il n’était pas vraiment là », dit-elle, perdue dans ses pensées. « Chaque fois que je le regardais, il semblait ailleurs. Je ne peux pas expliquer… »
Ludovic, notant soigneusement chaque témoignage, réalisait à quel point l'effet de Charlie sur la mémoire des gens était déroutant. C'était comme si leur esprit refusait de s’accrocher à lui, comme si quelque chose en eux se forçait à l’oublier. Ce n’était pas de simples trous de mémoire dus au stress ou à la confusion. C’était plus profond, plus insidieux. La silhouette de Charlie semblait s’imprégner dans la réalité de manière floue, comme une image brouillée qui s’efface dès qu’on la fixe.
Intrigué par ce phénomène, Ludovic chercha des témoins plus directs, des personnes qui auraient pu avoir une interaction plus proche avec Charlie ce jour-là. Il finit par trouver un jeune homme qui vendait des journaux près de l’endroit du meurtre. Contrairement aux autres, il avait semblé moins affecté par l’oubli étrange de Charlie, mais son témoignage restait tout aussi confus.
« Cet homme… je me rappelle de lui », commença-t-il, son regard fuyant le détective. « Mais pas comme les autres. Il se tenait près de moi à un moment, je crois qu’il a même acheté un journal… enfin, je pense. Mais il n’a rien dit, et quand je le revois dans ma tête, c’est comme s’il n’avait pas de visage, juste… juste des rayures rouges et blanches. »
Ludovic resta silencieux un moment, laissant le jeune homme s’embrouiller dans ses propres souvenirs. Ce témoignage confirmait ce que les autres lui avaient dit : Charlie ne laissait qu’une impression fugace, une trace floue, à peine visible. Il était comme un fantôme dont la présence se diluait dans la foule, mais qui, pourtant, exerçait une influence inquiétante sur la mémoire des gens.
À mesure que l’enquête avançait, Ludovic sentait l’étau se resserrer autour de cet homme mystérieux. Charlie, ou L’Invisible, comme l’appelait la presse, n’était pas un simple tueur. Il jouissait d’un pouvoir bien plus terrifiant : celui d’effacer les souvenirs, de déformer la perception que les gens avaient de lui. C’était comme s’il pouvait manipuler la réalité autour de lui, créer une zone de confusion dans laquelle personne ne pouvait vraiment le voir.
Le détective sortit de ses pensées. Il savait que cette enquête ne serait pas facile, mais il ne s’attendait pas à affronter un tel phénomène. Si Charlie pouvait influencer la mémoire des témoins, alors comment Ludovic pourrait-il espérer le retrouver ? Le fantôme de cet homme en rouge et blanc le hantait désormais, se glissant dans chaque coin d’ombre de son esprit. Pourtant, une chose était certaine : Charlie existait. Et Ludovic était plus que jamais déterminé à le démasquer, quel qu’en soit le prix.
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