Chapitre 7
Ludovic Leclerc s'enfonçait de plus en plus dans son obsession. Son appartement, autrefois simplement encombré par ses recherches, était désormais jonché de photographies, de coupures de journaux, de croquis griffonnés à la hâte. Les murs étaient tapissés de cartes et de lignes reliant des événements disparates, chacun associé à une époque différente, un lieu différent. Mais au centre de tout cela, un nom se répétait : Charlie, ou L'Invisible, cet homme en rouge et blanc qui défiait le temps, les lois de la réalité, et l'esprit rationnel de Ludovic.
Chaque nuit, il passait des heures à examiner ces indices, son esprit tourmenté par une question qui ne cessait de le hanter : Qui est Charlie ? Cette silhouette insaisissable, toujours là mais jamais vraiment présente, défiait toute explication logique. Ludovic avait résolu de nombreux mystères dans sa carrière, mais jamais il n’avait rencontré une énigme aussi insidieuse, qui semblait s’étendre au-delà des frontières du possible.
Les théories se bousculaient dans son esprit. Au début, il s’était dit que Charlie n’était qu’un criminel particulièrement habile, un manipulateur doué pour se fondre dans les foules et échapper à toute détection. Mais à mesure que les preuves s’accumulaient, cette idée devenait insuffisante. Charlie n’était pas simplement un homme. Il apparaissait sur des images vieilles de plusieurs décennies, voire siècles, sans jamais changer, sans jamais vieillir. Le simple fait qu'il puisse être présent dans des photographies aussi anciennes défiait la logique humaine.
Le détective avait commencé à envisager des explications surnaturelles. L'idée même de Charlie comme un voyageur temporel le hantait. Était-il possible que cet homme puisse traverser les âges, apparaissant à différents moments de l’histoire, témoin des événements tragiques sans jamais être affecté par le passage du temps ? Mais pourquoi ces foules ? Pourquoi ces lieux où la mort frappait silencieusement, où la confusion régnait ? Ludovic se posait sans cesse ces questions, et plus il cherchait des réponses, plus l'idée d'une entité ancienne, peut-être immortelle, se précisait dans son esprit.
Une autre théorie, encore plus dérangeante, s’insinuait progressivement dans son esprit : Charlie n’était peut-être pas un voyageur temporel, mais une sorte d'être ancien, un parasite qui se nourrissait de la confusion des foules, des moments de chaos où l’anonymat régnait. Une créature qui se délectait du désordre, du désespoir. Sa présence constante dans des moments de panique, de mort, de tension semblait bien plus qu'une simple coïncidence. Et à chaque fois, personne ne s’en souvenait vraiment, comme si leur esprit s'effaçait sous l’influence de cette force invisible.
Ces pensées hantaient Ludovic jour et nuit. Il se réveillait en sursaut, l’esprit en proie à des visions floues de Charlie, toujours en mouvement à la périphérie de son champ de vision. À chaque pas qu’il faisait pour comprendre la nature de cet être, son esprit semblait se noyer un peu plus dans le doute et la paranoïa.
Son entourage commençait à remarquer ce changement inquiétant. Ses collègues, habitués à son côté solitaire, étaient de plus en plus inquiets. Ludovic n’était plus le même. Ses yeux étaient creusés par la fatigue, son discours devenait erratique, parfois presque délirant. Certains tentaient de le raisonner, de le ramener à la réalité. Ils parlaient de surmenage, de la pression des enquêtes. Mais Ludovic refusait de les écouter. Il savait qu’il n’était pas fou, qu’il était sur le point de découvrir quelque chose de profondément dérangeant. Quelque chose que personne d’autre ne voulait voir.
Un soir, alors qu'il était seul dans son bureau, il reçut un appel de sa sœur, Claire. Elle était la seule à ne pas l’avoir complètement abandonné. Elle l’appelait régulièrement pour prendre de ses nouvelles, mais récemment, ses appels avaient pris une tournure plus urgente. Ce soir-là, sa voix tremblait légèrement de nervosité.
« Ludovic, tu dois te reposer. Tu te fais du mal avec cette histoire. Je ne sais pas ce que tu cherches exactement, mais tu dois arrêter avant que ça ne te détruise. »
Ludovic resta silencieux, ses yeux fixés sur une ancienne gravure représentant un rassemblement au 17e siècle, où l’ombre de Charlie flottait en arrière-plan. « Je suis proche, Claire. Je le sens. Il est là, partout, depuis toujours. »
Claire soupira de l’autre côté de la ligne. « Qui, Ludovic ? Qui est là ? Ce n’est qu’un homme, si c’est même une personne réelle. Tu te perds dans des théories absurdes. Ce n’est pas toi. »
Il serra le téléphone, son cœur battant plus fort. « Non, Claire. Ce n’est pas juste un homme. C’est bien plus que ça. Il… il se nourrit de nous, de notre confusion, de nos peurs. Et il est là depuis des siècles. Je le sais maintenant. »
Un long silence s’installa entre eux. Claire finit par répondre, d’une voix douce mais inquiète. « Tu es fatigué, Ludovic. S’il te plaît, prends un peu de recul. Repose-toi. Je t’en prie. »
Mais Ludovic ne pouvait plus s'arrêter. Les pensées le submergeaient, l'obsession grandissait. Il raccrocha sans répondre, son regard se perdant à nouveau dans les images accrochées sur ses murs. Il voyait désormais Charlie partout, dans chaque foule, dans chaque rassemblement humain où le désordre pouvait frapper. C'était comme si Charlie avait toujours été là, un observateur, ou pire, un catalyseur de la confusion, de la mort.
Le détective se sentait piégé, comme si sa propre réalité commençait à se distordre. Il n'était plus capable de faire la distinction entre ce qui relevait de la réalité et de ses propres fantasmes. Était-il en train de perdre pied, ou bien touchait-il enfin du doigt une vérité qu’il n’était pas censé comprendre ? L’idée que Charlie puisse être une entité dépassant le simple cadre de l’humain prenait racine dans son esprit. Peut-être que cette enquête n’était pas seulement une chasse à l’homme, mais une quête vers quelque chose de plus sombre, de plus ancien.
Les doutes grandissaient, mais Ludovic ne pouvait plus reculer. Il savait que son esprit était en train de se décomposer sous la pression de cette découverte, mais il était trop tard pour s’en détourner. Charlie était là, quelque part, observant. Et Ludovic, malgré la terreur qui le gagnait, était déterminé à aller jusqu’au bout.
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