Chapitre 9
Les tambours résonnaient dans les rues de la ville, leur rythme battant dans l'air comme un cœur géant. La grande parade annuelle avait commencé, une explosion de couleurs et de mouvements traversant les artères principales. Des chars décorés avançaient lentement, des danseurs en costumes multicolores virevoltaient, et la foule se pressait sur les trottoirs, le visage illuminé par la fête. Mais au milieu de cette joie collective, Ludovic Leclerc ne voyait qu’un seul objectif : Charlie.
Il l'avait aperçu, à la périphérie de la foule, au moment où les premières fanfares résonnaient. Un éclat de rouge et de blanc, une silhouette familière glissant entre les corps, se déplaçant comme une ombre dans la masse. Ludovic n’avait pas réfléchi. Son cœur avait bondi dans sa poitrine, et il s’était lancé à sa poursuite sans la moindre hésitation.
La foule dense rendait la tâche presque impossible. Des enfants couraient en criant, des couples se tenaient la main, des photographes tentaient de capturer chaque instant. Mais Ludovic ne voyait rien de tout cela. Ses yeux étaient fixés sur cette silhouette à rayures, toujours présente mais toujours hors de portée. Charlie était là, et cette fois, le détective sentait qu’il n’avait jamais été aussi près de l’attraper.
Il se faufila entre les spectateurs, bousculant des passants sans s’en soucier, sentant l’urgence monter en lui. Chaque fois qu'il s'approchait, Charlie semblait s'éclipser, glissant entre deux groupes, disparaissant derrière un char avant de réapparaître plus loin. C’était comme un jeu cruel, une danse macabre dans laquelle Charlie maîtrisait chaque pas. Ludovic s’efforçait de rester concentré, de ne pas perdre sa cible, mais la frustration montait en lui à chaque nouvelle disparition.
La parade continuait son cours, la musique battant de plus en plus fort, couvrant presque les battements du cœur de Ludovic. Il accéléra le pas, frôlant des dizaines de visages anonymes. Son souffle devenait plus court, son esprit plus tendu. Charlie était insaisissable. Chaque fois qu’il croyait le rattraper, l’homme en rayures disparaissait comme un mirage, se fondant dans la masse avec une facilité déconcertante.
Le détective s'arrêta un instant pour reprendre son souffle, son regard fouillant la foule avec une intensité fiévreuse. Il se trouvait maintenant au centre de la parade, entouré de costumes bariolés, de ballons géants flottant dans l’air, et d’une mer de visages sans nom. Et là, à travers les éclats de couleurs et de lumière, il l'aperçut à nouveau. Charlie. Debout, immobile, à une dizaine de mètres de lui, juste derrière un groupe de danseurs. Son bonnet rouge tranchait avec le reste des festivités, son regard fixe, comme s'il savait que Ludovic le regardait.
Leurs yeux se croisèrent, et pendant une seconde, le temps sembla se figer. Ludovic ressentit une vague de froideur envahir son corps. Ce n’était plus une simple poursuite. C’était un duel silencieux, une confrontation mentale qui se jouait dans cette foule insouciante.
Ludovic se remit en marche, son regard verrouillé sur celui de Charlie. Il tenta de se frayer un chemin à travers les danseurs, mais avant qu’il ne puisse l’atteindre, Charlie disparut à nouveau. Le détective jura entre ses dents, se lançant dans la direction où il l’avait vu pour la dernière fois. Mais lorsqu’il arriva sur place, il n’y avait plus rien. Juste des spectateurs souriants, applaudissant les chars qui défilaient devant eux.
Il tourna sur lui-même, scrutant chaque recoin de la rue, chaque groupe de passants. Mais Charlie s’était évanoui, une fois de plus. Il savait se fondre dans la foule mieux que quiconque, maîtrisant l’art de l’invisibilité à la perfection. Ludovic se sentait piégé dans ce labyrinthe humain, où chaque visage devenait flou, chaque silhouette indifférente à sa quête.
Le détective sentit la frustration bouillonner en lui. Il l’avait presque eu, il était si proche ! Comment cet homme pouvait-il échapper à la vue de tous ? Comment pouvait-il se mouvoir avec une telle aisance, disparaissant au moment même où on croyait l’avoir attrapé ?
Ludovic serra les poings, la respiration haletante. La foule continuait de s’agiter autour de lui, joyeuse et insouciante, tandis que son esprit s’enfonçait dans l’obscurité. La poursuite échouée était un coup dur. Il réalisait désormais que Charlie ne jouait pas seulement avec les témoins et la police ; il jouait aussi avec lui. Ce tueur ne se contentait plus d’être un spectateur, il manipulait son environnement, glissant dans les fissures de la réalité, se cachant à la vue de tous.
Les battements de tambour résonnaient dans sa tête, de plus en plus étouffants. Chaque pas que Ludovic avait fait aujourd'hui ne l'avait conduit qu'à plus de frustration. Il s'arrêta enfin, hors d'haleine, son regard parcourant la rue dans une tentative désespérée. Mais c'était inutile. Charlie avait gagné, pour aujourd'hui.
Ludovic resta figé au milieu de la foule, les épaules affaissées. La parade se poursuivait, indifférente à sa défaite. Tout autour de lui, les gens s’amusaient, inconscients du jeu de cache-cache qui se jouait sous leurs yeux. Charlie était quelque part dans cette foule, peut-être tout près, mais pour Ludovic, il était redevenu un fantôme, une silhouette insaisissable.
La colère laissa peu à peu place à une détermination froide. Cette poursuite échouée ne ferait qu’alimenter son obsession. Charlie ne pouvait pas disparaître éternellement. Ludovic le savait : il était sur la bonne voie, il se rapprochait. Mais il avait compris une chose cruciale aujourd'hui — pour attraper Charlie, il ne pouvait plus simplement courir derrière lui. Il devait changer de stratégie, apprendre à lire entre les lignes, à anticiper les mouvements de cet être qui semblait se jouer des lois du visible.
Il n’était plus question de simple enquête criminelle. Ludovic poursuivait un fantôme, une entité qui défiait les règles mêmes de la réalité. Et dans ce jeu macabre, il ne pouvait y avoir qu’un seul vainqueur.
L’esprit tourmenté, le détective quitta finalement la parade, mais une chose était certaine : la traque ne faisait que commencer.
Annotations
Versions