Chapitre 16
Le téléphone de Ludovic Leclerc vibra sur le bord de son bureau, rompant le silence lourd de son appartement. Depuis des semaines, il vivait dans l'isolement, rongé par l'obsession et les cauchemars récurrents de Charlie. Les frontières entre le réel et l'imaginaire s'effritaient, mais ce coup de fil le ramena brutalement à la réalité.
« Ludovic ? » La voix de son ancien collègue, Éric, était tendue. « Il faut que tu viennes. Il y a eu un autre meurtre. C'est comme avant. »
Ludovic se redressa dans son fauteuil, le cœur battant plus fort. « Où ça ? »
« Au marché de la place centrale. Le modus operandi est le même. Foule dense, mort inexpliquée, et bien sûr… des témoins parlent d'un homme en rouge et blanc. »
Le détective sentit un frisson le traverser. Charlie avait frappé à nouveau. Chaque meurtre rapprochait Ludovic de la vérité, mais aussi de la folie. Il se leva, attrapa son manteau et quitta précipitamment l’appartement. Le temps d’arriver sur les lieux du crime, la scène était déjà bouclée par la police. Des rubans jaunes délimitaient la zone, et une petite foule de badauds curieux s'était rassemblée à distance.
Ludovic passa sous les rubans et avança vers la scène. Le corps de la victime, une femme d'une trentaine d'années, était allongé au sol, entouré par des enquêteurs. Comme toujours, aucune trace de lutte, aucune blessure visible. Elle semblait simplement s’être effondrée au milieu du marché, comme figée dans le temps, morte sans raison apparente.
Mais ce qui attira immédiatement l'attention de Ludovic, ce n'était pas le corps. C'était la manière dont les gens réagissaient autour. Les témoins étaient là, certains d'entre eux secoués, d'autres en état de choc. Il s’approcha d’un agent de police, qui lui fit signe vers deux femmes, assises sur un banc, visiblement sous le choc.
« Elles l’ont vu, » murmura l'agent. « Enfin, elles pensent l’avoir vu. L’homme en rouge et blanc. »
Ludovic s’avança doucement vers elles. Les femmes avaient le regard perdu, fixant le vide devant elles comme si elles tentaient de comprendre ce qu’elles venaient de voir.
« Vous avez vu l’homme en rouge et blanc, n’est-ce pas ? » demanda-t-il doucement.
L'une des femmes hocha la tête, ses yeux brillants d'incrédulité. « Oui… il était là. Je l’ai vu passer… mais… »
« Mais quoi ? » insista Ludovic.
« C’est flou, » dit-elle, en plissant les yeux. « Je ne me souviens pas de son visage. Je l’ai vu, j’en suis sûre. Il était tout près, mais… c'est comme si… comme si son image s'effaçait dès que je voulais le regarder. »
Ludovic sentit sa gorge se serrer. Le même schéma, encore une fois. Charlie continuait de jouer avec la perception des gens, apparaissant juste assez pour être aperçu, mais jamais pour être clairement vu. Ses apparitions étaient comme des mirages, des reflets de lui-même laissés derrière à dessein, juste pour brouiller les pistes.
Il interrogea d’autres témoins, mais tous livrèrent des réponses similaires : ils avaient vu un homme étrange, vêtu de rouge et blanc, mais aucun d'entre eux ne pouvait donner de détails précis. Un homme qui semblait présent un instant, puis disparu l’instant d'après. Cette fois, la frustration de Ludovic se mêlait à une terreur croissante. Charlie devenait de plus en plus insaisissable, comme une ombre qui échappait à toute tentative de capture ou d’identification.
Ludovic s’éloigna des témoins, ses pensées tournoyant dans sa tête. Il n'y avait pas de doutes : Charlie savait exactement ce qu'il faisait. Chaque meurtre semblait être une provocation, une manière de se jouer de Ludovic, de lui prouver à chaque fois que, peu importe à quel point il s'approchait de la vérité, Charlie restait inatteignable. Ludovic commençait à comprendre que Charlie se nourrissait de cette traque, qu'il tirait son pouvoir de l’anonymat des foules et de la confusion qu’il générait.
Mais alors que Ludovic tentait de rassembler ses pensées, un cri perça l’air. Il se retourna brusquement. À quelques dizaines de mètres, près de l’entrée du marché, une autre victime venait de s'effondrer. Un homme cette fois, mort instantanément, sans explication.
Le détective se précipita vers le corps, son cœur battant à tout rompre. C’était la première fois que deux meurtres avaient lieu à si peu d’intervalle. Charlie devenait plus audacieux. Ou plus cruel. Il n’y avait pas de trace de l’homme en rouge et blanc, mais Ludovic savait qu’il était toujours là, quelque part, observant.
Ludovic se tourna vers la foule qui s'était formée autour de la nouvelle victime. Les visages des passants étaient figés dans une expression de peur et de confusion. Ils cherchaient une explication, un sens à ce qui venait de se produire. Mais Ludovic savait que Charlie se cachait dans cette masse anonyme, jouant encore une fois avec eux tous.
Il resta là, immobile, scrutant les visages, cherchant le moindre signe, le moindre éclat de rouge et blanc dans la foule mouvante. Rien. Pas une trace. Mais il pouvait sentir sa présence, une présence presque palpable. Charlie était là, tout près, le narguant une fois de plus.
L’angoisse montait en lui, le rendant presque fou de frustration. Charlie n’était plus seulement insaisissable, il semblait vouloir lui prouver qu’il pouvait agir en toute impunité, au vu et au su de tous, sans jamais être attrapé. C’était comme si Charlie avait perfectionné son jeu, orchestrant les événements pour que Ludovic se perde à chaque nouvelle tentative.
Ludovic se recula, le souffle court, accablé par une vérité qu’il refusait encore d’accepter pleinement : Charlie n’était pas seulement un homme, et il ne jouait pas avec les mêmes règles que tout le monde. Il avait un contrôle absolu sur les foules, sur leur perception, sur leur mémoire.
Tandis que la nuit commençait à tomber, Ludovic regarda la scène avec un regard vide, sachant que Charlie était déjà parti. Mais une chose était sûre : il reviendrait. Il reviendrait toujours.
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