Chapitre 17

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Assis dans une petite salle d’interrogatoire aux murs ternes, Ludovic Leclerc tapotait nerveusement la table devant lui. Une série de photos et de notes éparpillées sur la surface témoignait de son acharnement à comprendre qui – ou quoi – était Charlie. Autour de lui, le silence était lourd, brisé seulement par le tic-tac d'une vieille horloge accrochée au mur. Ludovic, épuisé par les jours sans sommeil, fixait l'écran de son ordinateur portable. Les témoins défileraient bientôt, chacun apportant une nouvelle pièce du puzzle… ou plutôt, ce qui semblait être le même morceau déformé à chaque fois.

Son plan était simple : créer un portrait-robot de Charlie. C’était une idée évidente, presque désespérée, mais il fallait tenter quelque chose. Si personne ne pouvait clairement décrire l’homme en rouge et blanc, peut-être que, en rassemblant les fragments de souvenirs des témoins, il pourrait construire un visage, une forme, quelque chose de tangible. Quelque chose qui rendrait enfin cette entité, cette légende, humaine.

Le premier témoin entra, visiblement nerveux. Ludovic tenta de le mettre à l’aise, mais la tension dans la pièce était palpable. Le témoin, un homme d’une cinquantaine d’années, avait vu Charlie juste avant l’un des derniers meurtres. Ludovic alluma son ordinateur et projeta un écran blanc, prêt à esquisser un premier portrait.

« D’accord, » commença Ludovic, sa voix rauque, « décrivez-moi ce que vous avez vu. Comment était cet homme en rouge et blanc ? Essayez de vous souvenir des détails. »

Le témoin fronça les sourcils, le regard troublé. « Je… je l’ai vu. Je sais que je l’ai vu, mais… c’est flou. Il portait un pull à rayures rouges et blanches, mais son visage… je ne sais pas. Chaque fois que je le regarde dans ma tête, il est là, mais… je ne peux pas me souvenir de son visage. »

Ludovic hocha la tête. Ce n'était pas la première fois qu'il entendait cela. Mais il insista, espérant obtenir plus.

« Essayez de vous concentrer. Ses cheveux ? Ses yeux ? Sa taille ? Tout ce dont vous vous souvenez. »

Le témoin plissa les yeux, tentant visiblement de forcer sa mémoire. « Ses cheveux… peut-être bruns. Mais non… ou blonds ? Je ne suis plus sûr. Et son visage, c’est comme si… je le voyais, mais il change tout le temps. Une seconde il a des traits normaux, et l’instant d’après, il se floute. »

Ludovic sentit une frustration grandissante monter en lui. Ce n’était pas la première fois qu’il faisait face à ce genre de réponse, mais à chaque fois, cela devenait plus déroutant. Charlie semblait échapper à toute tentative de description claire, comme si son image, même lorsqu’elle était capturée dans l’esprit d’un témoin, se brouillait instantanément.

Un second témoin prit place. Une jeune femme, encore sous le choc de ce qu’elle avait vu. Ludovic reprit sa stratégie.

« Essayez de décrire cet homme en rouge et blanc. »

La femme serra ses mains sur ses genoux, sa voix tremblante. « Il était juste là… mais… il n’y avait rien de spécial à voir. Il était… ordinaire. Mais maintenant, je n’arrive plus à me souvenir de son visage. C’était comme s’il… s’effaçait. »

Ludovic se pencha en avant, la mâchoire serrée. « Essayez de vous souvenir de quelque chose, n’importe quoi. La forme de son nez ? Ses yeux ? »

La femme secoua la tête, les larmes aux yeux. « Je ne peux pas. Il était là, et puis… plus rien. Je sais qu’il était là, mais maintenant, c’est flou. »

Ludovic baissa les yeux vers son écran. La feuille virtuelle était toujours vierge. Aucun détail ne semblait émerger, même après plusieurs témoignages. Il avait espéré que, en combinant toutes les descriptions, il pourrait au moins obtenir une esquisse, une silhouette, quelque chose. Mais c’était comme si Charlie n’avait jamais eu de visage. Ou pire, comme si Charlie manipulait même les souvenirs visuels de ceux qui l’avaient vu. Il laissait une trace vague, une impression qui s’effaçait dès qu’on tentait de la saisir.

Les témoignages suivants n’étaient pas plus clairs. Un homme avait mentionné que Charlie semblait « grand », mais ne pouvait pas dire à quel point. Une autre femme se souvenait vaguement d’un sourire, mais dès qu’elle tentait de s’en rappeler, le sourire s’effaçait comme une brume. Personne ne pouvait décrire précisément ses traits, comme si Charlie n’avait pas de visage fixe.

Ludovic réalisa que tous les témoins avaient vu Charlie, mais chacun avait perçu quelque chose de différent, comme si son apparence changeait constamment, ou plutôt, comme si elle était perçue différemment par chaque esprit. Ce n’était pas seulement une question de mauvaise mémoire. Charlie, d’une certaine manière, échappait à toute forme de reconnaissance visuelle. Son image était une illusion, une construction fragile qui se désintégrait dès qu’on cherchait à la comprendre.

Le détective se laissa tomber en arrière dans sa chaise, se frottant les yeux. Il était confronté à l’impossible. Aucun portrait ne pouvait être dressé de Charlie, car il n’était pas un homme au sens ordinaire. Il n’avait pas de forme stable, pas d’apparence fixe. Il était une ombre, une entité qui s'adaptait, qui jouait avec la perception des gens, les poussant à douter même de ce qu’ils avaient vu. Son visage, s’il en avait un, était un mensonge, un masque qu’il pouvait changer à volonté, ou peut-être simplement une absence de visage que l’esprit humain ne pouvait accepter.

Ludovic se leva brusquement, exaspéré. L’écran restait désespérément vide, comme si même la technologie refusait de capturer l’image de Charlie. Il se tourna vers les notes, les griffonnages de descriptions éparses, et se sentit submergé par l'inutilité de l'exercice. Aucun témoin ne se souvenait de lui clairement, et tous offraient des fragments qui ne menaient nulle part.

Charlie restait insaisissable.

Ludovic quitta la salle, ses pensées tourbillonnant. La seule chose qu’il savait avec certitude, c’était que Charlie n’était pas seulement un homme jouant avec la mort. Il était une force qui échappait à toute tentative de capture, une présence qui ne pouvait être saisie ni par les mots, ni par les images. Il était là, au milieu des foules, et pourtant invisible à ceux qui cherchaient à le voir.

Il n’avait pas de visage. Ou peut-être avait-il tous les visages.

Charlie, une fois de plus, avait gagné cette partie du jeu.

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