Chapitre 18
Ludovic Leclerc marchait seul dans les rues de la ville, une sensation étrange d’irréalité l’envahissant. Les passants défilaient autour de lui, anonymes, leurs visages baissés sur leurs téléphones ou perdus dans leurs pensées. Ils étaient partout, mais pour la première fois, Ludovic se rendit compte d'une chose glaçante : il était invisible pour eux. Personne ne le regardait. Personne ne le remarquait. Il n’était plus qu’une ombre parmi des milliers d’autres, se fondant dans la masse, indifférent, oublié.
Cette réalisation, qui aurait dû le terrifier, éveilla en lui une étrange familiarité. Depuis qu'il avait commencé sa traque de Charlie, tout dans sa vie avait changé. Ses relations avec ses collègues s’étaient détériorées, ses amis l’avaient peu à peu abandonné, et même sa sœur, Claire, ne répondait plus à ses appels. Il n’était plus qu’un homme seul, dévoré par une obsession qui le déconnectait du reste du monde.
Les nuits sans sommeil, hantées par des cauchemars de foules sans fin et de visages flous, s'accumulaient. Il se voyait de plus en plus souvent dans ces foules, incapable de distinguer les individus autour de lui, comme si chaque personne n’était qu’un reflet de sa propre solitude. Mais aujourd'hui, ce n'était plus seulement un sentiment abstrait. C’était une réalité tangible.
Il marchait dans la rue, et personne ne tournait la tête pour croiser son regard. C’était comme s’il n’existait plus. Et plus il y pensait, plus cette sensation grandissait. Peut-être que, sans qu’il s’en rende compte, il était en train de disparaître, tout comme Charlie.
Ludovic s’arrêta un instant devant une vitrine, scrutant son propre reflet dans la glace. Son visage était marqué par la fatigue et la douleur, mais ce n’était pas ce qui l’effrayait. Ce qui le glaça d’effroi, c’était cette impression qu'il devenait flou, indistinct. Comme si lui aussi, à force de chasser l’ombre de Charlie, commençait à perdre sa propre définition.
Il posa sa main sur la vitre, tentant de se rassurer. Il était encore là, bien réel. Mais cette certitude faiblissait. Chaque jour, il se sentait de plus en plus détaché de la réalité. Ses pensées étaient obsédées par Charlie, cette entité insaisissable, et il en venait à se demander si en traquant cette ombre, il ne devenait pas lui-même une partie du même jeu.
La question le tourmentait. Et si, en chassant Charlie, je suis en train de devenir comme lui ?
Ludovic s’éloigna de la vitrine et reprit sa marche. Il se souvenait de ses premières semaines dans cette enquête, où il croyait encore qu’il pourrait capturer Charlie, qu’il pourrait résoudre cette énigme. Mais plus il avançait, plus la traque prenait un autre sens. Charlie n’était pas un criminel ordinaire. Il était un concept, une force qui défiait les lois de la réalité, de la perception, et maintenant, Ludovic sentait que cette force l’englobait lui aussi.
Chaque pas qu'il faisait dans la rue renforçait cette sensation d’anonymat. Il se rendit compte que, tout comme Charlie, il devenait invisible aux yeux des autres. Les regards glissaient sur lui sans jamais s’arrêter, comme s’il n'était qu’un fantôme, un passant sans importance, un simple élément d'une foule parmi d'autres.
Il se rappela des témoins qu’il avait interrogés. Tous avaient vu Charlie, mais aucun ne pouvait le décrire. Et maintenant, Ludovic craignait que bientôt, personne ne se souviendrait de lui non plus. C’était comme si, en poursuivant cette entité, il se fondait lentement dans le même tissu de l’anonymat et de l’invisibilité que Charlie avait tissé autour de lui.
Cette pensée le terrifia. Il se tourna brusquement vers un groupe de passants, espérant que quelqu’un le regarderait, que quelqu’un lui donnerait un signe de reconnaissance, qu’il n'était pas encore totalement effacé. Mais rien. Les gens continuaient de marcher, les yeux vides, indifférents.
Ludovic sentit une vague de désespoir monter en lui. Il se souvenait encore de sa sœur, de ses amis, de ses collègues. Des gens qui, autrefois, avaient partagé sa vie. Mais à force de s’isoler, de se perdre dans cette traque, il avait tout laissé derrière lui. Et maintenant, c’était comme si tout cela n’avait jamais existé. Sa vie, ses relations, ses souvenirs… tout s’effaçait, un peu comme les visages de ceux qui croisaient Charlie.
Il se précipita vers une autre vitrine, cette fois-ci d’un café bondé, et fixa son reflet, essayant de trouver une réponse dans ses propres yeux. Mais ce qu’il vit le troubla encore plus : son propre visage semblait devenir indistinct, se fondant dans les reflets des gens à l'intérieur. C’était comme si son image se dissolvait, comme si sa propre existence perdait de sa consistance.
Il se recula, le souffle court. La peur grandissait en lui. Suis-je en train de devenir lui ?
Ludovic savait que la traque de Charlie n’était pas seulement une affaire de justice ou de vérité. C’était une épreuve de survie. Il se demandait maintenant s’il était possible de sortir indemne de cette chasse, ou si, en poursuivant Charlie, il avait condamné son propre être à disparaître dans cette spirale d’anonymat et de confusion.
Il marchait de plus en plus vite, comme s'il fuyait quelque chose, mais la vérité le rattrapait. La solitude, l’isolement, cette sensation d’être invisible… tout cela prenait un nouveau sens. Et si Charlie, cette entité qui prospérait dans les foules anonymes, était simplement le produit d’une existence sans visage, sans identité, sans but ? Ludovic se demandait s’il n’était pas lui-même en train de se transformer en une telle ombre.
Il rentra chez lui, son esprit tourmenté par cette idée. Le monde extérieur lui semblait de plus en plus flou, comme si tout perdait de sa réalité. Et tandis qu’il s'asseyait dans son appartement sombre, il comprit enfin que la véritable nature de Charlie n'était peut-être pas simplement celle d’un être immortel ou d’une force surnaturelle. Charlie était l’incarnation de ce que devient une existence réduite à l’anonymat, une vie qui se dissout dans la masse jusqu’à ce qu’il n’en reste plus rien.
Ludovic ferma les yeux, terrifié par l’idée qu’il était sur le point de franchir cette même frontière. Le moment où il deviendrait lui aussi invisible aux yeux du monde.
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