Chapitre 19
Ludovic Leclerc était assis dans l’obscurité de son appartement, les yeux fixés sur une carte de la ville épinglée au mur, éclairée seulement par une petite lampe de bureau vacillante. Devant lui, des notes, des articles de journaux et des photos de scènes de crime s’éparpillaient sur le sol. Son esprit, consumé par l’obsession de capturer Charlie, travaillait sans relâche. Chaque fibre de son être était concentrée sur un seul but : en finir une fois pour toutes.
Il n’avait plus rien à perdre. Sa vie sociale s’était effondrée, son esprit vacillait à la frontière de la folie, et même sa propre identité semblait s’effriter. Mais il avait une dernière carte à jouer. Un plan. Celui de traquer Charlie là où il se sentait le plus puissant : au milieu d’une foule.
Une fête foraine. Un événement public massif où des milliers de personnes se rassembleraient, une mer d’anonymat où Charlie ne manquerait pas d’apparaître, attiré par cette énergie collective, ce chaos latent. Ludovic savait que Charlie ne pouvait résister à l’appel de la foule. C’était là qu’il se nourrissait, là qu’il prospérait, et là qu’il était le plus vulnérable. Si Ludovic voulait l’isoler, il devait plonger dans cette masse, et l’attirer hors de son refuge.
Il se leva et se dirigea vers une table où était posée une affiche annonçant l'événement. La fête foraine se tiendrait dans une semaine, dans un immense parc de la ville. Manèges, jeux d'adresse, lumières clignotantes, musique... tout ce qui pouvait attirer des centaines de familles, de touristes, d’anonymes. Et parmi eux, Charlie.
Le plan de Ludovic était simple, en théorie. Il devait se fondre dans la foule, guetter chaque mouvement, chaque anomalie. Charlie serait là, il le savait. Il l’avait vu des dizaines de fois, toujours à la périphérie, toujours à la limite du champ de vision. Mais cette fois, Ludovic avait une idée précise de ce qu’il devait faire. Il devait créer une distraction, forcer Charlie à se dévoiler. La clé résidait dans l’effet de surprise.
Il devait être patient, attendre le bon moment, et lorsque Charlie apparaîtrait, il l’isolerait. Il l’avait toujours vu disparaître avant qu’il ne puisse l’atteindre, mais Ludovic croyait avoir trouvé une faille. Charlie ne s’attendait jamais à être traqué à son propre jeu. Si Ludovic pouvait manipuler l’espace, le guider vers un coin isolé de la fête, alors il aurait une chance.
Pendant des jours, il affina son plan. Il analysa la disposition de la fête foraine, mémorisa les emplacements des manèges, des stands, et des points de sortie. Il repéra les zones les moins éclairées, les allées où la foule se densifierait le plus, créant des goulets d’étranglement naturels. Il savait que Charlie se glisserait dans ces zones, profitant de l’anonymat pour se fondre dans le flux des corps. Mais Ludovic serait là, prêt à l’y attendre.
Ce soir-là, Ludovic sortit de son appartement pour la première fois depuis des jours. Il se dirigea vers le parc où la fête devait se tenir. Déjà, les préparatifs étaient en cours : des structures métalliques s'élevaient dans le ciel, les premières lumières clignotantes apparaissaient, et l’odeur des confiseries flottait déjà dans l’air. Une scène de chaos contrôlé, idéale pour Charlie. Ludovic parcourut le terrain, visualisant chaque étape de son plan. Il sentait que ce serait le lieu de leur confrontation finale.
Le jour de la fête, Ludovic se fondit dans la foule. Il portait une veste sombre et une casquette abaissée sur ses yeux, se glissant anonymement parmi les festivaliers. Les rires d’enfants, la musique criarde des manèges, et les éclats de voix s’élevaient autour de lui. C’était le cadre parfait pour Charlie, un véritable terrain de chasse où il pouvait observer, choisir ses victimes, et disparaître sans laisser de trace.
Mais cette fois, Ludovic ne comptait pas le laisser s’échapper.
Il erra parmi les stands, observant les visages des passants. Ses yeux cherchaient le moindre signe, un mouvement furtif, un éclat de rouge et blanc. La foule se pressait autour de lui, des parents avec leurs enfants, des couples riant devant des stands de tir. Tout semblait si banal, si insouciant, mais Ludovic savait que sous cette surface se cachait un prédateur.
Après plusieurs heures d'attente, il l’aperçut enfin. Là, à la périphérie du champ de vision, une silhouette familière se déplaçait dans la foule. Le pull rayé rouge et blanc, la démarche fluide, presque nonchalante. Charlie était là, exactement comme Ludovic l’avait prévu. Le cœur du détective battit plus fort, mais il se força à rester calme. Il ne pouvait pas se précipiter cette fois. Il devait suivre son plan.
Ludovic se fondit dans la masse, restant à une distance raisonnable de Charlie, guettant ses mouvements. Il savait que Charlie se délectait de ces foules, qu'il se nourrissait de leur anonymat, de leur confusion. Mais ce soir, c’était différent. Ludovic l’observait attentivement, notant ses déplacements. Charlie semblait suivre un schéma, une trajectoire précise, comme s'il savait exactement où aller. Il se glissait à travers les stands, disparaissant un instant, puis réapparaissant de l’autre côté.
Le détective serra les poings. Il devait attendre le bon moment. Plus il suivait Charlie, plus il comprenait ses mouvements. Il le vit s’approcher d’une zone plus isolée, un coin plus sombre de la fête, où la foule se dispersait légèrement. C’était exactement ce que Ludovic avait prévu.
Il s’avança, accélérant légèrement le pas, ses yeux fixés sur Charlie. À ce moment-là, il n’était plus qu’à quelques mètres de lui. Il pouvait sentir l’adrénaline monter en lui, mais il devait être prudent. Un faux mouvement, et Charlie s’évanouirait à nouveau dans la foule, comme il l’avait fait tant de fois auparavant.
Mais cette fois, Ludovic était préparé.
Il contourna habilement un groupe de jeunes, se plaçant entre Charlie et une barrière qui entourait un des stands de jeux. La sortie la plus proche était derrière Ludovic, et la foule, dense, bloquait toute autre issue. Il avait réussi à isoler Charlie, exactement comme il l’avait imaginé.
Charlie s’arrêta soudainement. Ludovic pouvait presque sentir son regard peser sur lui, même s’il ne pouvait pas encore voir clairement son visage. C’était comme si Charlie savait que cette fois, la traque était différente. Ludovic se tenait là, à quelques mètres de lui, son cœur battant à tout rompre.
« Cette fois, tu ne t’échapperas pas », murmura Ludovic pour lui-même, sentant l'excitation monter.
Mais au moment où il fit un pas en avant, prêt à enfin confronter l’homme – ou l’entité – qu’il traquait depuis si longtemps, Charlie tourna lentement la tête. Son regard rencontra celui de Ludovic, et un sourire énigmatique se dessina sur son visage. Ce sourire, calme et effrayant, sembla dire à Ludovic qu’il était encore loin de comprendre la véritable nature de ce qu’il chassait.
Puis, comme un mirage, Charlie se détourna et s’évapora dans la foule.
Ludovic resta figé, le souffle coupé. Charlie s’était encore une fois échappé, mais cette fois, quelque chose de différent s’était passé. Il l’avait vu, clairement, et dans ce bref échange de regards, Ludovic avait ressenti quelque chose de nouveau : Charlie savait qu’il était traqué.
Et pire encore, Ludovic comprit qu'il venait de franchir une ligne invisible, une ligne où la traque ne se résumerait plus à un jeu d'ombres. Charlie l'avait vu, et désormais, il traquait peut-être Ludovic aussi.
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