Chapitre 20
Ludovic Leclerc resta immobile, figé sur place, alors que l’écho du regard de Charlie résonnait encore en lui. Les éclats de lumière de la fête foraine dansaient autour de lui, mais le monde sembla soudain se figer. Le sourire de Charlie, celui qu’il avait entrevu juste avant qu’il ne disparaisse à nouveau dans la foule, hantait ses pensées. Quelque chose n’allait pas. Ludovic le sentait au plus profond de lui-même : ce n’était pas simplement un jeu de traque. Charlie l’avait manipulé depuis le début.
Une étrange sensation d’étouffement monta en lui, comme si l'air se raréfiait soudainement autour de lui. Il regarda autour de lui, cherchant désespérément un signe de Charlie, un mouvement dans la foule, mais tout semblait normal. Pourtant, au fond de lui, Ludovic comprenait que quelque chose venait de changer. Il n’était plus en train de traquer Charlie. C’était Charlie qui l’avait attiré ici. Le plan n’était jamais le sien. Ce n'était qu'une illusion, une pièce montée pour le piéger, et il était tombé dedans.
Le détective commença à reculer lentement, le souffle court, essayant de comprendre ce qui se passait. La fête foraine, autrefois animée par des rires et de la musique, lui semblait maintenant hostile. Les bruits se mêlaient dans un brouillard sonore indistinct, comme si la réalité elle-même devenait floue. Les silhouettes autour de lui – ces passants, cette foule – semblaient se dissoudre, perdre leurs contours, leurs visages devenant des masques indifférents, presque vides. La peur s'insinua en lui comme une vague glaciale.
Ludovic comprit alors l'ampleur du piège. Charlie n'avait jamais été une proie. Depuis le début, il avait orchestré chaque mouvement, chaque apparition. Tous les indices, les apparitions floues, les meurtres en plein jour, tout cela n'était qu'une mascarade, un jeu cruel destiné à conduire Ludovic là où Charlie le voulait. Ce n’était pas un hasard que Charlie soit toujours un pas en avance. Il ne fuyait pas. Il menait Ludovic exactement là où il voulait qu’il soit : au centre de son propre piège.
Ludovic chercha désespérément à fuir, à sortir de cette foule qui semblait se refermer sur lui. Mais plus il avançait, plus la foule se densifiait. Les visages flous autour de lui se rapprochaient, l’entourant, l’encerclant, et il se rendit compte que tout était orchestré. La fête foraine, la foule, tout n'était qu'un leurre, une illusion. Et dans cette illusion, il était seul.
Soudain, l’air devint lourd, oppressant. Une silhouette se dessina dans l’ombre, juste devant lui. Charlie. Cette fois, il ne se contentait pas de flotter à la périphérie du regard de Ludovic. Il était là, véritable, palpable, comme une ombre se matérialisant lentement dans la lumière vacillante des lampions. Il se tenait à quelques mètres de Ludovic, vêtu de son éternel pull rayé rouge et blanc, un sourire énigmatique sur les lèvres.
Le regard de Ludovic se fixa sur cet homme, ou plutôt cette entité. Car à cet instant, il comprit pleinement ce que Charlie était. Ce n’était pas un tueur ordinaire, ni même un simple criminel. C’était bien plus que cela. Charlie n’avait jamais été humain. Il était une force ancienne, maléfique, une ombre insaisissable qui se nourrissait du chaos, de la peur, et de l’anonymat des foules. Il utilisait les rassemblements humains pour disparaître, pour manipuler ceux qui le traquaient. Et maintenant, Ludovic réalisait qu'il avait été une victime parfaite depuis le début.
Charlie avança lentement vers Ludovic, et pour la première fois, le détective sentit une véritable terreur s’emparer de lui. C’était une terreur primale, celle que l’on ressent face à quelque chose qui défie les lois de la nature, quelque chose qui ne devrait pas exister. Ses pieds refusèrent de bouger, son esprit cherchait une issue, mais il était paralysé, piégé par ce regard. Il se sentit soudainement très petit, insignifiant face à cette entité qui le surplombait de toute sa puissance.
« Je t’ai suivi… tout ce temps, » murmura Ludovic, plus pour lui-même que pour Charlie, comme s’il cherchait à se convaincre que tout cela n’était qu’un rêve.
Mais Charlie ne répondit pas. Il n’avait pas besoin de parler. Son sourire disait tout. Il n'était jamais celui qui était traqué. Il avait observé, patienté, et maintenant, il révélait la vérité à Ludovic. Tout ce temps, Ludovic croyait être celui qui le pourchassait, mais la réalité était bien plus sombre : Charlie l'avait toujours manipulé.
Le détective sentit une vague de désespoir l'envahir. Il tenta de comprendre ce qui l'attendait. Charlie n'était pas là pour le tuer, du moins pas de la manière conventionnelle. Il se nourrissait de quelque chose de plus profond, de plus intangible. Il se nourrissait de la confusion, du désespoir, du fait que personne ne pouvait se souvenir de lui, du fait qu’il pouvait disparaître sans laisser de trace, comme s’il n’avait jamais existé.
Et Ludovic, en poursuivant Charlie, avait lentement commencé à devenir comme lui. Il s’était coupé de ses proches, avait perdu son identité, s’était effacé peu à peu des mémoires des autres. Charlie n’avait pas besoin de lever le petit doigt pour le détruire. Ludovic avait fait tout le travail à sa place.
Charlie s’arrêta à quelques pas de Ludovic, toujours silencieux. Les ombres semblaient danser autour de lui, comme si la réalité se pliait à sa volonté. Ludovic, pour la première fois, réalisa que tout cela ne faisait que commencer. La véritable horreur de Charlie ne résidait pas dans les meurtres, mais dans ce qu'il faisait aux esprits de ceux qu’il choisissait.
« Tu n’as jamais été humain, » murmura Ludovic, la voix tremblante. « Tu es quelque chose d’autre, une ombre. »
Le sourire de Charlie s’élargit légèrement, et dans ses yeux, Ludovic vit l’infini du vide. L'entité qu'il avait traquée, celle qui lui faisait face, n'était pas un simple tueur. C’était une force qui déformait la réalité, une présence qui se nourrissait de la peur et de l'inconnu. Charlie existait au-delà du temps, au-delà de l’humanité.
Puis, aussi soudainement qu’il était apparu, Charlie se détourna. Ludovic voulut crier, se jeter sur lui, l’arrêter, mais son corps ne répondait plus. Les ténèbres autour de Charlie s’épaissirent, l’enveloppant, jusqu’à ce qu’il ne reste plus que l’ombre d’un sourire, avant de disparaître complètement.
Ludovic tomba à genoux, le souffle coupé, ses mains tremblantes. Il venait de comprendre la vérité, mais il était trop tard. Il était pris au piège.
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