Œuvre

4 minutes de lecture

Un jour, j’ai vu une œuvre

Des pics de verre enfoncés

Dans un lit aux draps blancs

Et toute cette encre noire

Eparpillée, explosée, coulante

Comme du sang

Je l’ai ressentie jusqu’au fond de moi

Peut-être que c’est ça, la dépression ?

Sentir inlassablement des lames tranchantes

Enfoncées dans son torse, au creux de son cœur

La sensation d’être attaché à son lit

Que s’en extirper me briserait d’énergie

Comme une main géante

S’abattant sur mon corps fragile

Peut-être que c’est ça, la dépression ?

Le sang qui coule en vain

Preuve de la vie

Preuve du sursis

Des années de prison

Au fond de l’esprit

Les cicatrices sur les bras et les cuisses

Qui rappellent toutes ces gouttes de sang

Comme une pluie tortueuse

Preuve du repli

Preuve du déni

Celui de croire qu’avancer va aider

Que le temps va guérir

Que les années vont passer

En achevant le malheur

Au fond des entrailles

Peut-être que c’est ça, la dépression ?

Un tas de foutaises sur des paroles vides

L’ignorance de l’évolution

Et savoir que ce sera la même chose dans 5 ans

Que ça l’était il y a 3 ans

Le mode de fonctionnement de mon propre organisme

Forgé dans la douleur et la tristesse

Peut-être que c’est ça, la dépression ?

Voir les gens réussir simplement

Ce que je peine à essayer de faire

Les sentir plein d’existence et d’énergie

Quand même sous 10 h de sommeil

Et sans raison

Je suis abattu, d’énergie et d’envie de vie

Reprendre des études en présentiel

Et penser que parce que c’est intéressant

Je vais réussir

Me sentir partir et mourir

Subir ce fardeau

Chaque jour

Souhaiter des vacances

Qui n’apportent pas de joie

Juste un répit

Celui de choisir quoi faire de son temps libre

Peut-être que c’est ça, la dépression ?

Être inassociable avec le mode de fonctionnement

Du monde, de la société, des gens

Ne pas savoir comprendre comment s’y prendre

Et être

Refuser l’avenir présenté depuis l’enfance

Sentir la douleur des étiquettes

Dans lesquelles il faut rentrer

L’ennui et le dégoût

De la comédie à jouer

De tous ces rôles

A connaitre et à vouloir

Vomir ce sale mot de conformisme

Se conformer

Et pour quoi ?

Et pour qui ?

Peut-être que c’est ça, la dépression ?

Les larmes qui coulent

Le stress au fond du thorax

Le corps déposé gisant sur le lit

La tristesse jusqu’au fond des veines

L’abandon comme nouvelle génétique

La non-envie de tout ce qui constituait ma vie

L’impossibilité des autres

De les laisser exister

D’essayer mais de savoir que tout est échoué

La thérapie et les médicaments

Les projets d’avenir

Que je ne veux pas réaliser

Peut-être que c’est ça, la dépression ?

Les gens qui disent adieu

Sans même des raisons valables

Sans même des explications

En te laissant tomber

Parce qu’iels ont décidé

Que tu étais trop ou pas assez

Que tu n’étais pas suffisant

A aimer et à côtoyer

Alors iels t’ont jeté sans regard en arrière

Et maintenant tu portes toutes les marques du passé

Tu te retournes sur ce qu’iels t’ont laissé

En prenant tout

Tu penses encore à tous ceux qui ont décidé de te quitter

Et tu ne peux pas laisser leurs ombres s’effacer

Peut-être que c’est ça, la dépression ?

Changer la vie

Le logement

L’environnement

L’entourage

Les médications

Les thérapeutes

Le mode de vie

L’occupation

Et pourtant

Rester le même

Sans changement

Que me faut-il de plus ?

Surement une autre vie

Et un autre cerveau

Peut-être que c’est ça, la dépression ?

L’âme qui pourrit

Dans un corps haï

Avoir la haine jusqu’au bout des os

Le sang en cavale

Dans de la chair blême

Les yeux rougis

Par l’eau qui s’en échappe

Par la sécheresse

Des jours sans pluie

La colère en poison

Vouloir frapper et faire mal

Vouloir crier et qu’iels sentent ce qu’elle provoque en moi

Faire de tout ce rouge

Une œuvre d’art

Une bataille

Un grand scandale

Peut-être que c’est ça, la dépression ?

L’envie de mourir

Mais l’habitude qui gâche tout

Pourquoi partir

Quand je subis

Ce même fonctionnement

Depuis des années

L’arme du suicide dans les placards

Un au-cas-où auquel je pense plus

Que mes anxiolytiques en si besoin

La mort dans l’âme

Dans tous les états d’âme

Dans chaque parcelle du corps

Dans les pas dans la rue

Dans les roues de mon vélo

Sur la route et sous terre

La nuit et le jour

Le soleil et la pluie

Le mardi et le vendredi

Le 16 mars ou le 22 octobre

Abonnement annuel

Qu’on renouvelle à Noël

Sûrement que le Père Noël

Est mon bourreau

La faucheuse dans mon esprit

Avec sa faux et sa noirceur

Eclat de sa lumière dans mes réverbères

Peut-être que c’est ça, la dépression ?

Sans identité

Sans envie

Sans vie

Sans répit

Sans réussite

Sans énergie

Sans fuite

Sans rien

Et un rien bien trop grand

Qui engloutit tout dans la poitrine

Une chute constante

Dans l’immaculée blancheur

Du vide intérieur

Peut-être que c’est ça, la dépression ?

Ne pas pouvoir

Ne plus pouvoir

Ne pas voir

Ne plus savoir

Ne pas croire

Ne plus espérer

Ne pas souhaiter

Ne plus aimer

Ne pas se rappeler

Ne plus se lever

Ne pas marcher

Ne plus courir

Ne pas manger

Ne plus s’aimer

Ne pas se regarder

Ne plus s’honorer

Ne pas tomber

Ne plus envier

Ne plus

Une négation en tatouage

Perlée sur ma peau

Dans le creux des cicatrices

Par la lame et la bouteille

Un jour, j’ai vu une œuvre

Des pics de verre enfoncés

Dans un lit aux draps blancs

Et toute cette encre noire

Eparpillée, explosée, coulante

Comme du sang

Et j’ai pleuré.

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