Œuvre
Un jour, j’ai vu une œuvre
Des pics de verre enfoncés
Dans un lit aux draps blancs
Et toute cette encre noire
Eparpillée, explosée, coulante
Comme du sang
Je l’ai ressentie jusqu’au fond de moi
Peut-être que c’est ça, la dépression ?
Sentir inlassablement des lames tranchantes
Enfoncées dans son torse, au creux de son cœur
La sensation d’être attaché à son lit
Que s’en extirper me briserait d’énergie
Comme une main géante
S’abattant sur mon corps fragile
Peut-être que c’est ça, la dépression ?
Le sang qui coule en vain
Preuve de la vie
Preuve du sursis
Des années de prison
Au fond de l’esprit
Les cicatrices sur les bras et les cuisses
Qui rappellent toutes ces gouttes de sang
Comme une pluie tortueuse
Preuve du repli
Preuve du déni
Celui de croire qu’avancer va aider
Que le temps va guérir
Que les années vont passer
En achevant le malheur
Au fond des entrailles
Peut-être que c’est ça, la dépression ?
Un tas de foutaises sur des paroles vides
L’ignorance de l’évolution
Et savoir que ce sera la même chose dans 5 ans
Que ça l’était il y a 3 ans
Le mode de fonctionnement de mon propre organisme
Forgé dans la douleur et la tristesse
Peut-être que c’est ça, la dépression ?
Voir les gens réussir simplement
Ce que je peine à essayer de faire
Les sentir plein d’existence et d’énergie
Quand même sous 10 h de sommeil
Et sans raison
Je suis abattu, d’énergie et d’envie de vie
Reprendre des études en présentiel
Et penser que parce que c’est intéressant
Je vais réussir
Me sentir partir et mourir
Subir ce fardeau
Chaque jour
Souhaiter des vacances
Qui n’apportent pas de joie
Juste un répit
Celui de choisir quoi faire de son temps libre
Peut-être que c’est ça, la dépression ?
Être inassociable avec le mode de fonctionnement
Du monde, de la société, des gens
Ne pas savoir comprendre comment s’y prendre
Et être
Refuser l’avenir présenté depuis l’enfance
Sentir la douleur des étiquettes
Dans lesquelles il faut rentrer
L’ennui et le dégoût
De la comédie à jouer
De tous ces rôles
A connaitre et à vouloir
Vomir ce sale mot de conformisme
Se conformer
Et pour quoi ?
Et pour qui ?
Peut-être que c’est ça, la dépression ?
Les larmes qui coulent
Le stress au fond du thorax
Le corps déposé gisant sur le lit
La tristesse jusqu’au fond des veines
L’abandon comme nouvelle génétique
La non-envie de tout ce qui constituait ma vie
L’impossibilité des autres
De les laisser exister
D’essayer mais de savoir que tout est échoué
La thérapie et les médicaments
Les projets d’avenir
Que je ne veux pas réaliser
Peut-être que c’est ça, la dépression ?
Les gens qui disent adieu
Sans même des raisons valables
Sans même des explications
En te laissant tomber
Parce qu’iels ont décidé
Que tu étais trop ou pas assez
Que tu n’étais pas suffisant
A aimer et à côtoyer
Alors iels t’ont jeté sans regard en arrière
Et maintenant tu portes toutes les marques du passé
Tu te retournes sur ce qu’iels t’ont laissé
En prenant tout
Tu penses encore à tous ceux qui ont décidé de te quitter
Et tu ne peux pas laisser leurs ombres s’effacer
Peut-être que c’est ça, la dépression ?
Changer la vie
Le logement
L’environnement
L’entourage
Les médications
Les thérapeutes
Le mode de vie
L’occupation
Et pourtant
Rester le même
Sans changement
Que me faut-il de plus ?
Surement une autre vie
Et un autre cerveau
Peut-être que c’est ça, la dépression ?
L’âme qui pourrit
Dans un corps haï
Avoir la haine jusqu’au bout des os
Le sang en cavale
Dans de la chair blême
Les yeux rougis
Par l’eau qui s’en échappe
Par la sécheresse
Des jours sans pluie
La colère en poison
Vouloir frapper et faire mal
Vouloir crier et qu’iels sentent ce qu’elle provoque en moi
Faire de tout ce rouge
Une œuvre d’art
Une bataille
Un grand scandale
Peut-être que c’est ça, la dépression ?
L’envie de mourir
Mais l’habitude qui gâche tout
Pourquoi partir
Quand je subis
Ce même fonctionnement
Depuis des années
L’arme du suicide dans les placards
Un au-cas-où auquel je pense plus
Que mes anxiolytiques en si besoin
La mort dans l’âme
Dans tous les états d’âme
Dans chaque parcelle du corps
Dans les pas dans la rue
Dans les roues de mon vélo
Sur la route et sous terre
La nuit et le jour
Le soleil et la pluie
Le mardi et le vendredi
Le 16 mars ou le 22 octobre
Abonnement annuel
Qu’on renouvelle à Noël
Sûrement que le Père Noël
Est mon bourreau
La faucheuse dans mon esprit
Avec sa faux et sa noirceur
Eclat de sa lumière dans mes réverbères
Peut-être que c’est ça, la dépression ?
Sans identité
Sans envie
Sans vie
Sans répit
Sans réussite
Sans énergie
Sans fuite
Sans rien
Et un rien bien trop grand
Qui engloutit tout dans la poitrine
Une chute constante
Dans l’immaculée blancheur
Du vide intérieur
Peut-être que c’est ça, la dépression ?
Ne pas pouvoir
Ne plus pouvoir
Ne pas voir
Ne plus savoir
Ne pas croire
Ne plus espérer
Ne pas souhaiter
Ne plus aimer
Ne pas se rappeler
Ne plus se lever
Ne pas marcher
Ne plus courir
Ne pas manger
Ne plus s’aimer
Ne pas se regarder
Ne plus s’honorer
Ne pas tomber
Ne plus envier
Ne plus
Une négation en tatouage
Perlée sur ma peau
Dans le creux des cicatrices
Par la lame et la bouteille
Un jour, j’ai vu une œuvre
Des pics de verre enfoncés
Dans un lit aux draps blancs
Et toute cette encre noire
Eparpillée, explosée, coulante
Comme du sang
Et j’ai pleuré.
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