Moi
peut-être que c’est moi
que ça a toujours été moi
que j’ai inventé
déformé
créé
exagéré
les troubles
les maux
les vagues
je crois que je suis brisé
qu’il y a une multitude de bouts de verre
au fond de ma cage thoracique
je crois que je ne suis pas réparable
que mes larmes ne cesseront jamais de couler
et que la solitude sera toujours là
dévorante
plus grande encore que ma faim
je crois que je ne guérirai jamais
que c’est un déséquilibre
dans chaque part de ma vie
je ne me sens pas
je ne me sens pas
vivant
réel
ancré
attentif
émotionnel
je ne me vois pas
c’est peut-être le trouble qui veut ça
mais j’ai l’impression d’être un néant
une personne au creux immense
faite de vacuité et de rien
je crois que c’est de ma faute
la solitude
la colère
le ventre vide
le ventre plein
la balance
le corps en position fœtale sur le lit
le vagin s’appuyant sur sa bouteille
je crois que ça a toujours été moi
le monstre
reconnaissant de rien
et si des gens sont partis
et si des gens s’éloignent
c’est sûrement parce que
je suis incapable d’être
quelqu’un
de bien
de complet
et de sain
je suis comme une épave
échouée au fond d’un océan glacial
je suis comme dévoré
incomplet et imparfait
j’aurais dû être quelqu’un d’autre
j’aurais dû être mieux
pourquoi moi
et ces souffrances atroces
qui montent au cerveau
j’ai peur d’être seul
j’ai peur d’être abandonné
j’ai peur de me suicider
j’ai peur de me rater
j’ai peur de continuer
j’ai peur de vivre
j’ai peur de grandir
j’ai peur de travailler
j’ai peur d’être
haï
pour ce que je suis
pour qui j’aime
pour mes combats et mes valeurs
j’ai peur quand ma copine s’en va
j’ai peur parfois tard dans le noir
j’ai peur après la mutilation dans le vagin
j’ai peur dans les lieux, entre les gens
j’ai peur de grossir et de la nourriture que j’avale
j’ai peur de l’avenir et de la planète qui meurt avec moi
j’ai peur des médicaments qui ne me sauvent de rien
j’ai peur de mes troubles constants et immortels
j’ai peur de l’extrême droite qui grossit sans barrière
j’ai peur de vivre dans un monde où la haine domine
j’ai peur des guerres qui tuent des innocents sans lumière
j’ai peur des méchants, des haineux qui déshumanisent l’humanité
j’ai peur des réseaux sociaux et de toute l’horreur écrite dans les commentaires
j’ai peur des racistes, des misogynes, des transphobes, des homophobes, des xénophobes, des impérialistes, des colonialistes, des capitalistes
j’ai peur des hommes qui font semblant de ne pas comprendre, de ne pas voir
j’ai peur des non-humains qui souhaitent la mort d’humains
j’ai peur qu’on oublie qu’on vient toustes du même endroit
j’ai peur de l’humanité qui n’existe pas
j’ai peur des frontières, des foutues lignes qui en tuent, des âmes
j’ai peur de l’argent, de son pouvoir qui en rend fous, des individus
j’ai peur des catastrophes naturelles, j’avais 8 ans et j’en étais déjà terrifié
j’ai peur d’avancer dans un monde où iels reculent
j’ai peur qu’on souhaite ma mort en honneur à mes valeurs
j’ai peur d’être passif sans pouvoir en faire assez
j’ai peur des viols
j’ai peur des meurtres
j’ai peur des enlèvements
j’ai peur des tortures
j’ai peur de la violence physique
j’ai peur quand ça crie, quand ça s’agite, quand ça pousse, ça saigne et ça blesse
j’ai peur de tous les coups qu’on se porte sans être capables de se lire dans nos yeux
je ferme les yeux et je m’allonge
la peur est sombre
la haine est grande
et la colère gronde
je voudrais tout briser
les hommes et leur monde étriqué
on me dirait hystérique
mais les seuls qui crient et chialent
ce sont leur égo de ratés
je leur en veux
on me dit misandre
je flamberai
avec ma torche et mon feu
avec tout l’incendie
de mes artères
en vérité je ne fais rien
je n’ai pas de force
pas de fierté
pas de courage
je suis qu’un gamin
les genoux écorchés
sur le trajet de la vie
on me dit d’avancer
mais les graviers s’enfoncent dans mes plaies
j’aimerais crier
courir
me lever
j’aimerais frapper
cogner
faire mal
j’aimerais que leur cri remplace le mien
j’aimerais qu’ils sachent, qu’ils voient
ils font semblant
des comédiens
ils crachent leurs textes
et moi, je les déteste
peut-être que c’est moi
que ça a toujours été moi
qui ment, affirme, abuse
j’aurais aimé être différent
m’échapper en cendres dans le vent
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