Chapitre 16: ...Ou simplement le début

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Pierre d’Ambroise, le long d’une rivière après la Nuit des Lames

Le temps était comme suspendu, les émotions et pensées de Pierre se mélangeaient dans son esprit en un torrent d'informations incompréhensibles. Il était seul, perdu dans le noir et le froid l'étreignait de ses griffes prédatrices. Il n'avait plus aucune notion de temps et paraissait abandonné dans ce qui s'apparentait au néant.

Pierre n'avait aucune idée de ce qui lui arrivait, ses souvenirs - comme soutirés à lui - paraissaient vagues et irréels. À chaque tentative qu'il faisait pour se remémorer ce qui avait précédé cette situation, il s'en éloignait encore plus.

Était-il mort ?

Cette idée, bien que difficilement acceptable, commençait à le gagner et ce seul fait le terrifiait. Isolé avec ses pensées, il était plus que jamais désarmé. Des bribes de souvenirs commençaient à se rappeler à lui à force de persévérance. Apaisantes au début, les images qui se bousculaient dans son esprit n'avaient ni sens ni logique. Il pouvait se voir à cheval avec son ami dans les forêts d'Ambroise, parler à son vieux maître Corbius et quelques secondes plus tard lutter pour sa vie dans les couloirs d'un palais.

Quels étaient ces souvenirs, était-ce les siens ? Avait-il combattu jusqu'à en mourir ?

Comme spectateur de ces bribes d'images, de ces passages de vie, il se tenait immobile.

À quoi bon lutter pour comprendre la situation !?

Figé et assailli par ses pensées, Pierre pleurait, il pleurait de rage, de désespoir et de peur.

Durant l'espace d'un instant il se laissa aller, il lâcha prise et abandonna cette lutte sourde qu'il menait pour démêler la situation. Il se laissa aller et les larmes qui coulaient sur ses joues cessèrent peu à peu. Pourquoi lutter avec l'apaisement que lui procurait ce vide. Il se prit à sourire, mais comme par un mauvais coup du destin, même ce moment de répit se déroba à lui.

Une douleur commençait à se répandre depuis son bras. Comme brûlé, il sentait petit à petit son corps se réchauffer. Les veines glacées de son corps étaient réveillées de leur torpeur par un torrent de chaleur presque surnaturel et son corps entier se rappela à lui. Les coups, les bleus, et le trait d'arbalète qui l'avait percé lui revinrent avec force en un instant. Réprimant la douleur il ne comprenait pas la situation. Dans un cri de gémissement, il ouvrit à nouveau les yeux sur le monde et son esprit lui rappela enfin la lourde et dure réalité qu'il avait cru pouvoir quitter.

Inspirant de l'air dans ses poumons son corps le faisait souffrir. Chaque bouffée d'air réveillait la moindre de ses blessures et il pleurait, il pleurait réellement cette fois. Effrayé et désorienté, il essayait de faire bouger son corps.

Chaque tentative se soldait par un pic de douleur si intense qu'il était bloqué après chaque essai. Regardant autour de lui, il remarqua alors une présence, une personne qui était jusqu'alors passée inaperçue. De forme féminine, il n'arrivait pas encore à voir correctement et apercevait la silhouette floue assise à côté de lui. Son bras qui l'avait tant fait souffrir reposait près de l'inconnue et des tâches et écritures y avaient fait apparition. Se rapprochant de lui, il entendit alors sa voix, la première depuis qu'il avait cru mourir.

— Arrête de gigoter comme ça, je ne vais pas te tuer, tout ce que tu vas gagner à bouger c'est de rouvrir tes blessures.

N'arrivant pas à parler, il répondit à la personne d'un simple geste de la tête lui coûtant un nouveau moment de souffrance . Celle qui lui avait parlé s'était levée entre-temps et revenait un bol entre les mains.

— Bois ça, dit-elle. Ça va t'aider à supporter la douleur et à dormir.

Ne voulant pas retourner au vide qu'il avait côtoyé juste avant, Pierre refusait comme il pouvait en tournant la tête mais elle posa sa main sur le bras de Pierre à l'endroit même des écritures et, cette fois, au lieu d'une cuisante douleur, il sentit comme un apaisement dans son corps.

— Si je voulais te laisser mourir, commença-t-elle, je ne t'aurais pas arraché à la mort alors que celle-ci commençait à t'éloigner de notre monde.

Ainsi, le vide et le froid qui l'avaient accueilli auraient pu être ses derniers instants. Elle l'aidait à présent en tenant sa tête avec une main tandis que de l'autre elle lui fit boire le contenu du dit bol. Reposant la tête de Pierre, la femme s'éloigna et tandis que Pierre l'observait partir, il sentit la fatigue l'emporter dans un sommeil serein.

Pierre revint à lui petit à petit. Il ne pouvait se situer dans le temps et ouvrit les yeux dans la pièce faiblement éclairée. Bougeant enfin ses bras, il se frotta les yeux comme si, par cette simple action, il arriverait à trouver pleine possession de sa vision. Il prit cette fois le temps d'observer les lieux alentour. Il était dans un petit abri en extérieur, au dessus duquel se tenait un enchevêtrement de branchages et de feuilles faisant office de toiture. Le sol de terre était recouvert de feuilles éparses. Un petit foyer éclairait l'intérieur de l'étroit abri et la fumée émise s'échappait par un trou central. Parmi les quelques affaires présentes, il pouvait apercevoir des étagères aménagées sur le tronc d'un arbre. La bâtisse reposait d'ailleurs sur l'arbre. Pierre, qui tentait de se redresser, était alité dans la seule partie comprenant un lit. Et par lit, il s'agissait plus une paillasse d'herbes et de feuilles qui, malgré leur aspect, apportaient un confort plus que bienvenu. Le bras droit de Pierre était à présent le centre de son attention.

Outre les tâches qu'il se rappelait avoir vues, des sigles et glyphes étaient maintenant partiellement effacés. Ces écritures entouraient une blessure à peine cicatrisée. Petite incision propre, Pierre se souvenait de la chaleur qu'il avait ressentie en émaner. Était-ce l'instrument de sa survie ? Il en restait perplexe. Il eut à peine le temps de se questionner qu'il entendit du bruit proche de la porte en osier. Une femme fit son apparition. Vêtue modestement, elle portait une robe verte dont le bas était terni par de la terre. Un semblant de corset un brin rapiécé composait le haut tandis qu'une ceinture brune entourait sa taille pour le bas. Une cape la couvrant laissait tomber la pluie qui s’y était déposée. Elle découvrit son visage en enlevant sa cape, Pierre put mieux l'examiner. D'un faciès encore jeune, la femme avait de jolis yeux gris-vert qui encadraient un nez fin. Son visage laissait apparaître de légères pommettes et des lèvres fines. Ses cheveux roux étaient rassemblés en une tresse partant vers l'avant et quelques lacets tenaient le tout.

— Alors, vous êtes enfin réveillé, Votre Seigneurie, commença-t-elle en souriant à son invité avant de poser du petit bois dans le feu.

— Il semblerait, continua Pierre grimaçant en se redressant tant bien que mal.

Un petit détail fit réagir Pierre, la femme ne portait pas de souliers.

— C’est que tes habits, malgré ton sang et les coupures, sont de bonne facture. Si je ne me trompe tes couleurs sont celles d’une famille du Haut Corvin.

— Observatrice à ce que je vois, dit Pierre, refrénant un pic douloureux dans son dos.

— Tu devrais faire attention, j'ai réussi à refermer la plaie dans ton dos mais le carreau a pénétré profondément. Par chance, aucun os n'a été cassé.

— De la chance, dit Pierre en rigolant. C’est une question de point de vue, et je ne peux me vanter de cette blessure.

— J'ai piqué le noble au vif, on dirait. Ce carreau tu l'as reçu en t’enfuyant d'un événement de la noblesse qui a mal tourné, je me trompe ?

Pierre, souriant, reprit.

— Si par événement tu parles du banquet royal, alors oui j'ai reçu un carreau en fuyant.

— Ah, intéressant, dit son interlocutrice .

Elle avait posé ses affaires près du feu et s'était assise proche de Pierre.

— Tu ne dois pas être au fait des nouvelles d'ici, je me trompe? D'ailleurs tu ne m'as toujours pas donné ton nom.

— Toi non plus, répliqua-t-elle en fouillant dans un coffret.

— Bon, s'il faut commencer, je m'appelle Pierre d'Ambroise, ma famille séjournait à la capitale pour le couronnement à venir.

— Enchantée Pierre, moi c'est Lise. Je présume que le couronnement n'a pas eu lieu comme prévu, enfin pour toi.

— Tu as raison, le couronnement n’était qu’une embuscade pour les sympathisants de la reine.

— Ha, je suis désolée, commença-t-elle. Et ta famille ?

— Je... je ne sais pas trop...

Pierre, encore sous le choc, expliqua que son père et sa mère étaient décédés sous ses yeux. Il refrénait ses sentiments.

— Je dois te dire que ça fait déjà un moment que tu es là. J'ai trouvé ton corps sur la berge de la rivière il y a une semaine. Les jours suivants, une quantité d'autres ont descendu ce bras d'eau. Tu es le seul en vie que j'ai pu récupérer.

— Le seul ? reprit Pierre. Tu ne pouvais pas aller dans l'eau... je me trompe ?

— Je vois que toi aussi tu es perspicace, ne t'en fais pas je ne vais rien te faire. Il ne faut pas croire ce que disent les contes à propos de mes semblables.

— Donc une sorcière, en conclut Pierre qui n'avait d'autre choix dans son esprit que celui d'ermitte ou parias. Tu es une sorcière qui repêche les mourants pour les sauver. Pourquoi m'aider ?

— Ha, pourquoi t'aider ? quelle grande question. Contrairement à vous, les nobles, je ne laisse pas les gens mourir devant mes yeux. Si je peux agir, je le fais.

— Tu as donc des sentiments propres à notre Église des sauveurs, tu es une sorcière bien étrange.

— Tout à fait, dit Lise. Tu m'as l'air bien hautain pour un mourant, je devrais peut-être te remettre sur la berge, finit-elle en souriant.

— Bon, j'ai mis la main sur un lapin. Si mon seigneur daigne me laisser, je vais préparer à manger, dit-elle en feignant un salut protocolaire.

— Je ne risque pas de t'être bien utile dans mon état pour l'instant, donc je vais faire confiance à tes talents de cuisinière.

— Mes talents, voyez-vous ça, reprit Lise en commençant à préparer un bouillon tout en séparant la chair du lapin.

— Je... je te remercie de m'avoir sauvé, dit bêtement Pierre.

— Ça t'aura pris du temps.

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