Chapitre 46: Un roi en guerre

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Léonard de Corvinus

Vendredi 5 du mois de Juin de l’an de grâce 1205 AE.

Palais royal de la famille de Corvinus, Fressons ; durant la prière Sexte

Royaume du Corvin

La main du roi Léonard commençait à être lourde et engourdie. Il avait passé la matinée à adouber de nombreuses personnes et sa lourde épée était de plus en plus difficile à tenir. La guerre coûtait cher mais plus encore, elle était vorace en vie humaine. Bien que le Corvin regorge de contrées vastes et d’une population nombreuse. La guerre qui avait pris le royaume l’avait plongé dans une profonde crise. Les amis, les voisins d’autrefois s’étaient à présent tourné le dos en promettant allégeance à la personne qu'ils considéraient comme légitime héritier de la couronne du Corvin.

Anaïs tenait ainsi le sud que l’on dénommait Bas-Corvin et Léonard quant à lui était fermement implanté au nord, soutenu par la noblesse de toute la partie nord du royaume. La guerre civile faisait rage et personne ne pouvait prédire un potentiel vainqueur, même pas Léonard, roi autoproclamé, pourtant épaulé par le cardinal du Corvin. Debout sur l’estrade qui soutenait son trône, il était, là, face à une interminable file de nobles, écuyers et combattants rentrant du front. Tous réunis face à lui en attendant de recevoir leurs éperons et la cérémonie d’adoubement de leur roi sous l’œil attentif des divers invités de marque et membres de la cour qui siégeaient dans les travées bordant la salle.

Tous étaient ainsi présents dans la salle du trône de Fressons. L’antique palais de la royauté était vaste et aux fondements bien anciens. La salle du trône était cependant l’une des parties les plus récentes de l’édifice qui voyait son histoire remonter jusqu’à l’ère impériale. D’une bonne hauteur, l’imposante pièce était principalement de pierre taillée de grande qualité. Les murs comprenaient tapisseries, armes et boucliers de diverses époques et contrées. L'allée principale, la majeure partie de la pièce, était un espace large couvert d’un tapis rouge partant des imposantes portes de bois de l’entrée à l’estrade royale où siégeait le trône de Léonard.

L’espace royal aux confins de la salle était embelli par d’importants vitraux au nombre de quatre. De leurs teintes variées, ils éclairaient l’estrade du roi et la foule de suivants qui s’y trouvaient. Ces œuvres d‘art aux couleurs chatoyantes étaient embellies par les différents tableaux que les artisans avaient créés dans ces importants espaces de verre. Au centre une sorte de vitrail en rosace dépeignait une forme grande est imposante : le créateur. Cette figure centrale circulaire était entourée par trois grands vitraux dont chacun illustrait l’un des Sauveurs. Les trois enfants du créateur reconnus par l’Église.

Beorth qui avait bien belle allure dans son armure flanquait le créateur sur sa gauche. À sa droite se tenait Magrim arborant son marteau et son tablier d’artisan. Et enfin en dessous, dans un espace plus imposant que les deux précédents, se tenait Dalia, en guide pour ses frères et les humains.

Cette salle était bordée de chaque côté par des travées bondées de courtisans et autres gens de la cour. Ces espaces d’occupation marquaient la fin de l’allée principale par de grandes colonnes de pierre. Ces nombreux renforts soutenaient l’infrastructure composant les hauteurs de la salle. Le tout était ainsi fini par une structure de bois centenaires ou d’inextricables poutres et chevrons de bois soutenaient l’imposante toiture des lieux.

Une forêt de drapeaux était accrochée sur les nombreux supports des poutres de la salle. Malgré leur grand nombre, une partie importante d’entre eux avait été décrochée récemment. Les étendards aux armoiries des familles du Bas-Corvins, des traîtres aux yeux de Léonard et de ses soutiens, avaient été prestement enlevés et brûlés. La place qu’ils laissaient permettait ainsi de voir plus en détail la myriade de longues étoffes qui composaient les drapeaux des maisonnées du nord.

Tandis que l’homme, le garçon que venait d’adouber Léonard se relevait et quittait l’espace en face du trône dans un salut plus que solennel. La longue fille de combattant se mit en branle et avança. Un nouvel arrivant s’agenouilla face au roi, tête baissée en signe de respect. Les écuyers présents, très jeunes pour la plupart, avaient fière allure dans leurs armures neuves qui n’avaient connu les affres du combat. Ils détonaient avec les quelques arrivants du front aux tenues non pas négligées mais détériorées par les premiers mois d’affrontements. Ils étaient ainsi, tous observés avec attention par les spectateurs des travées bordant l’allée centrale dont les chuchotements emplissaient la salle à chaque arrêt de parole des officiels des lieux.

Les nombreux nobles et bourgeois qui soutenaient le pouvoir en place à la capitale ne manquaient pas les quelques spectacles qui avaient lieu à la cour. Le dernier espace de joie dans un royaume meurtri. Le faste et le cérémoniel qui accompagnaient l’adoubement des chevaliers avaient de quoi divertir les gens de la cour et ils étaient tous bien loin des champs abreuvés de sang et des rues emplies des déplacés et nécessiteux de tout le royaume.

L’adoubement était un moment important dans la vie de tout noble, qu’il soit riche ou moins aisé. Voire des quelques chanceux qui s’étant fait remarquer durant les combats et qui avaient ici la chance de changer de rang social, de se voir accorder l’opportunité de devenir tout ce qu’ils n’étaient pas : des nobles. Les différents jeunes de bonne naissance quant à eux, devaient passer leurs années de pages et d’écuyers pour être acceptés en tant que chevalier du royaume.

Mais en temps normal, l’adoubement de ces jeunes nobliaux se serait fait bien plus tardivement. La guerre demandait des combattants et le roi en manquait. La plupart de ces jeunes ne réchapperaient pas aux premiers affrontements mais les quelques-uns qui allaient survivre formeraient l’ossature de l’armée pour les années de conflits qui s’annonçaient aux vues des soutiens d’Anaïs.

Les chuchotements des nombreux observateurs de la scène cessaient à chaque petit raclement de gorge du héraut. Le porte-parole du roi était à la droite de son seigneur, flanqué par une foule de scribes et d’échansons qui notaient le nom de chaque futur chevalier ainsi que leurs parrains.

— Chevalier ! commença l’homme drapé de ses habits aux couleurs chamarrées arborant les armoiries du roi Léonard. Pose ton épée et prépare-toi à devenir servant du royaume, du Corvin !

Le jeune homme face au roi et au héraut s’exécuta et, déjà un genou à terre, plaça son épée face à lui, la pointe sur le long tapis central qui recouvraient les pierres du sol. Voyant le jeune écuyer suivre ses consignes, le héraut reprit.

— Énonce ton nom et celui de ta maisonnée. Fais-toi connaître de la royauté, de tes paires et de nos saints Sauveurs.

— Jocelin de Vraillie, banneret de la maison Gaillot.

Le roi à l’annonce s’avança vers le jeune homme et posa son épée sur les épaules de celui-ci. Tandis que le héraut reprit la parole.

— Jocelin de Vraillie, fils d’Emmond de Vraillie mort durant la bataille du pont Sainte-Arbant. Banneret de la famille Gaillot et vassal du roi Léonard. Écuyer ainsi devant nous, tu te présentes en toute humilité face à ton roi et aux Sauveurs. Puisse la force de Beorth t’habiter, puisse la bonté de Dalia te guider et enfin puisse tes armes être aussi affutées que les œuvres de Magrim. À présent, écoute, abreuve toi de mes paroles car tel est le serment que tu devras suivre :

Chevalier ! Sois sans peur face à tes ennemis. Sois brave et droit pour être aimé des Sauveurs. Dis toujours la vérité même si ça doit te coûter la vie et sauvegarde les faibles. Sers ton seigneur et roi avec toute la vigueur qu’il te sera possible. Tel est ton serment. Debout chevalier du Corvin !

Le garçon s’exécuta avec tout le respect qu’il pouvait témoigner face à son roi avant que ce dernier, après avoir donné son épée à son propre écuyer, donna un revers de son gant au garçon. La pièce de cuir gifla la joue du jeune homme qui regarda alors Léonard dans les yeux.

— Et ceci pour ne pas l’oublier, finit le roi.

— SUIVANT ! tonna la voix du héraut, coupant ainsi net l’aspect solennel de la chose. Le garçon, le nouveau chevalier, laissa alors sa place pour aller récupérer ses éperons auprès d’un des hommes proches de l’estrade.

Tandis qu’un énième homme prenait place face au roi, un vétéran des premiers mois d’affrontement à en juger par son regard perdu et son visage marqué. Léonard laissa s’échapper un souffle de répit et détourna son regard de la longue file. La matinée avait été longue et le roi n’aspirait qu’à quitter ses devoirs auprès des nombreux combattants qui lui faisaient face.

Tandis qu’il répéta l’adoubement auprès du nouvel arrivant, l’œil du roi ne manqua pas d’observer l'arrivée d’une personne dans les travées bondées des observateurs. Le cardinal, comme à son habitude, allait accompagner Léonard au repas du midi. Sa présence devait signifier la fin de la matinée et des corvées royales ce qui motiva Léonard pour finir la cérémonie.

Bientôt les cloches des lieux saints de la ville sonnèrent à l’unisson, signifiant les quelques coups du midi. Le héraut pria alors les écuyers et vétérans encore non adoubés de quitter les lieux pour y revenir le lendemain. Le roi Léonard, quant à lui, ne perdit pas un instant et rejoignit le cardinal à l’entrée. Le vieux religieux comme à son habitude était accompagné de deux de ses gardes à capes pourpres. Léonard quant à lui avança suivi par quelques hommes appartenant à la garde royale, sa garde personnelle, reconnaissable à leur armure à la teinte dorée.

Les deux gardes rapprochés, qui avaient ainsi fait jonction avec leur auguste dirigeant, dégagèrent un espace dans la foule qui affluaient aux portes. Les hommes en arme aménagèrent un espace autour des deux hommes d’importance et quittèrent la salle pour rejoindre la tablée du roi. Marchant côte à côte à présent, et après s’être chaleureusement salué, Léonard prit la parole.

— Quel plaisir de vous voir, cher Britius.

— Plaisir partagé mon roi, ces cérémonies commencent à se multiplier. Vous ne devez plus savoir où donner de la tête.

— Si nous avions mieux agi lors du banquet, cette guerre aurait pu être évitée. A présent cette maudite Anaïs et son bâtard de frère nous mènent la vie dure. Je les ai bien sous-estimés. VOUS les avez bien sous-estimés cardinal. Elle s’attendait à une action de notre part. Ses soutiens sont nombreux et la victoire leur sourit pour le moment.

— Voyons, reprit le cardinal tandis que les deux hommes avancèrent toujours plus dans les couloirs du palais. La victoire des partisans d’Anaïs au pont de Saint-Arbant est à relativiser et tout au plus qu’un léger contretemps. Elle leur a coûté aussi cher qu'à nous et leur précieuse Roussons est quand même tombée.

— Loués soient vos agents pour cela, Britius.

— Oui, ils ont fait des merveilles avec le mur d’enceinte. À présent il nous faut le reconstruire au plus vite. Et fortifier nos positions avant l’hiver, avant la reprise des hostilités au printemps.

— Je ne suis pas tout à fait d’accord. C'est bien là toute votre condition de religieux. Vous prôner l’attente alors que nous sommes aux portes du Bas-Corvin. Il nous faut certes reconstruire l’enceinte de Roussons mais il nous faut au contraire attaquer avant les premières neiges. Une victoire décisive nous mettrait dans une position plus confortable.

Voyant le regard soucieux de son roi, le cardinal reprit.

— Mais nous manquons d’hommes.

— Tout à fait, répondit Léonard.

— J’ai peut-être là une solution majesté.

— Un autre de vos tours après Roussons ?

— En effet, je pensais bien que vous choisiriez l’attaque. J’ai donc agi en connaissance de cause et dépêché l’un de mes agents au royaume de Kahélonia. Parmi les royaumes, les prédateurs qui nous encerclent, ils seraient les seuls avec qui nous pourrions négocier une alliance.

— Encerclé par les loups et attaqué par les siens de l’intérieur. Nous jouons avec le feu. Mais si votre plan marche, nous aurons assez de combattants pour la campagne d’automne.

— Tout à fait et si je peux me permettre, le jeu en vaut la chandelle mon roi. Mais d’ailleurs, votre femme, comment va-t-elle ? Elle devrait mettre votre enfant au monde bientôt ?

— Pour tout vous dire s’est fait. Elle a donné naissance à notre fils cette nuit, mais je tenais à garder cela secret avec les troubles que nous connaissons actuellement. L'information serait dangereuse entre les mauvaises mains et la reine est encore affaiblie, je compte faire une annonce lors du prochain jour saint.

— Je ne peux que vous féliciter mon roi. Je me réjouis de la venue au monde de votre enfant et héritier.

— Merci mon cher Britius, nous aurons donc deux choses à fêter ce midi. Venez ne perdons pas plus de temps.

Les deux hommes arrivèrent bien vite devant les portes de la salle de banquet ou la table royale et ses nombreux convives attendaient la venue du roi. Et bien évidemment de son soutien le plus grand, le cardinal Britius.

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