Chapitre 47: Leto et Folder

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Pierre d’Ambroise

Mardi 9 du mois de Juin de l’an de grâce 1205 AE.

Domaine de Villeurves ; durant la nuit

Royaume du Corvin

Pierre et Cothyard avaient commencé à remonter l’une des deux pentes qui bordaient le lit de la rivière sitôt les jappements audibles. Le bruit des chiens au loin résonnait avec force dans le ravin de montagne occupé par le cours d’eau et au loin les torches du groupe en approche étaient de plus en plus visibles dans la nuit.

Elles étaient tels de multiples halos de lumière orangés dansant ainsi dans la partie boisée des lieux qui surplombaient Pierre et Cothyard. Les lumières et les arrivants qui les portaient descendaient à bonne allure la piste menant aux deux hommes éprouvés qui tentaient quant à eux de remonter.

Privés d’équipements, les deux hommes avançaient éclairés par la lumière blanche de la lune qui les toisait de sa bonne hauteur dans le ciel. Pierre, qui était aidé par Cothyard, marchait lentement. Freiné par chaque montée abrupte de la piste, par chaque rocher ou branche parsemant le chemin pourtant déjà bien raide et difficile. La jambe du jeune seigneur le faisait souffrir, mais en vue de la persévérance dont faisait preuve Cothyard il essayait de ne rien laisser paraître. Hormis quelques demandes d’arrêt pour reprendre son souffle et calmer par la même occasion la douleur grimpante qui le lançait.

Pierre avait bien sûr le corps endolori par la chute, des bleus et traces douloureuses devaient parcourir son corps sous ses habits. Mais ce qui le ralentissait le plus était sa jambe droite. Avant d’aider Pierre à se relever, Cothyard avait dû bander la jambe du jeune seigneur avec son ancienne manche de chemise. La chausse était déchirée et la peau en dessous entaillée. Les branches qui avaient freiné la chute de Pierre avaient réclamé leurs dus de sang.

Ainsi blessé, le jeune homme et son camarade avançaient seuls dans la nuit, toujours plus proches des lumières et bruits au-dessus d’eux.

Blessé, meurtri mais vivant.

Tandis que Cothyard avait laissé Pierre s’appuyer contre un arbre bordant le chemin, il passa au-dessus d’un tronc qui s’était écrasé en plein milieu de la piste. L’homme se mouvait d’une démarche lente. Il était surement lui-même blessé mais ne laissait rien paraître. Il devait être trop fier pour cela.

Une fois de l’autre côté de l’obstacle, il fit signe au jeune homme de le rejoindre. Ce dernier prit le même chemin, mais avançait bien plus lentement encore. Grimpant sur le tronc, Pierre fit passer sa jambe blessée aidé par son camarade qui l’accompagna dans la manœuvre.

Une fois l’obstacle derrière eux, les deux hommes continuèrent leur ascension sur la piste. Bientôt ils s’arrêtèrent non loin d’une sorte de promontoire accolé à la piste. L’endroit offrait un espace dégagé dans la montée boisée. S’approchant en aidant Pierre à marcher, Cothyard l’aida à s'asseoir au sol en laissant s’échapper un grincement, un murmure de la douleur qui devait le travailler.

Se remettant debout il prit place sur un tronc d’arbre non loin de Pierre. Les deux hommes assis observaient le paysage sombre les entourant. Le promontoire laissait un espace de vision dégagé dans la végétation et la lune se reflétait au loin dans le lac où venait se terminer la rivière en contrebas. La rivière qui les avait recueillis.

Absorbé par le tableau au couleur noir et blanche qui s’offrait à eux, les deux hommes furent peu à peu éclairés par la couleur orange des torches qui faisaient leur apparition sur le promontoire.

Se retournant Pierre vit un groupe d’une dizaine d'hommes s’avancer dans l’espace dégagé. La lumière de leur torche balaya l’endroit leur montrant les deux occupants des lieux.

Les hommes qui arrivèrent n’avaient rien de simples serfs ou métayers lambda. Contrairement au groupe de chasse rassemblé à la hâte plus tôt par Pierre et Cothyard, ces hommes étaient bien équipés. Tenus en cuir, maille et plaques d’acier étaient visibles ci et là. Leur armement était varié et allait des lances aux arcs longs en passant par les épées de différentes tailles. Ça devait être là les vrais combattants de Villeurves. Ceux qui leur avaient fait cruellement défaut durant la chasse.

— Je me disais bien avoir reconnu le bruit de vos corniauds. Des jappements à en réveiller la région entière, dit Cothyard en accueillant les nouveaux venus.

Les imposants chiens-loups en question traînaient à présent entre les divers occupants du promontoire. Reniflant et léchant leurs babines de leur longue langue.

Pierre avait déjà rencontré différents chiens de race au cours de sa vie et de ses voyages. C’était une constante parmi les hommes qu’ils soient riches et bien lotis, ou simple serf. Chacun aimait la présence des chiens qui se révélaient être des compagnons aussi utiles qu'agréables.

Les bêtes qu’avait pu rencontrer Pierre jusque-là allaient aussi bien des chiens de troupeau aux rapides et vifs chiens de chasse. Mais ces bêtes-là, celles du promontoire, avaient quelque chose de particulier. Il avait des poils plutôt longs et revêches. Leur museau était allongé et supplantait une mâchoire puissante. Ils étaient les dignes représentants de cette région difficile qui couvrait de nombreuses beautés et surprises.

Pierre connaissait le nom donné à ces bêtes, les chiens-loups de Praveen.

Bientôt l’un d’eux s’approcha de Cothyard avant d’être repoussé d’un petit coup de pied.

— Toujours d’une humeur exécrable mon pauvre, commença l’un des deux hommes qui semblaient diriger la troupe.

— On t’a abandonné quelques jours avec Pilgrym et te voilà plus aigri que la vieille Hatilde du village, continua le second homme.

— Pas une façon d’accueillir les personnes qui viennent à ta rescousse…

— Et encore moins tes cousins…

— Ça doit venir du côté de son père.

— Pas de notre côté de la famille, finit le second des deux cousins. Ça c'est sûr.

Soufflant d’un air frisant l’énervement, Cothyard se mit debout entouré par deux des plus grands chiens loups décrivant des cercles autour de lui.

— D’ailleurs qui est le jeunot qui t’accompagne ? fit l’un des jumeaux en désignant Pierre assailli par un jeune chien loup d’une taille encore raisonnable.

— Ho, rien que votre seigneur, dit Cothyard esquissant un grand sourire.

Les deux échangeant un regard mêlant surprise et gêne se retournèrent face à Pierre en feintant une petite révérence plus par aspect comique que protocolaire.

— Leto, dit le premier

— Folder, continua le second associant un signe de main à son nom. Un plaisir.

— On a donc sauvé notre aigri de cousins et notre nouveau seigneur. Vraiment pas mal pour deux roturiers.

— Pas mal du tout pour deux montagnards de Praveen, fit le second.

— Un peu d’aide mon seigneur, reprit Folder en tendant sa main à Pierre.

Aidant le jeune seigneur à se mettre debout, Folder observa son jumeau faire de même avec leur cousin. Mais ce dernier fut rabroué et prestement repoussé.

— Je ne m’attendais pas à vous voir si tôt, votre caravane est donc arrivée à Védelm sans ennuis.

— Aucun souci et aucun contretemps. Même le col du Vivrier était dégagé s’est pour dire, répondit Leto.

— Ils avaient d’ailleurs des chevaux à l'auberge de montagne et changer l’attelage nous a fait gagner un certain temps.

— Une journée ? questionna Leto.

— Au bas mot, bon on va vous aider à rentrer au village. On a laissé quelques hommes et les attelages plus haut.

— Encore une chose, coupa Cothyard. Comment vous êtes-vous retrouvés là ?

— Ha la bonne question que voilà…

— ...On a rencontré une magnifique jeune fille au manoir qui nous a dit que deux malins s’étaient empressés de partir à la chasse au griffon sitôt la bête signalée.

— On y a aussi croisé les hommes qui “composaient “ votre groupe de chasse. Bizarrement ils vous avaient déjà enterré ceux-là. Si la fille n’avait pas été là, personne ne serait revenu.

— Lise… firent Pierre et Cothyard en se regardant.

Cette dernière information fut le signe du départ et les hommes qui accompagnaient les jumeaux aidèrent les deux blessés à remonter la piste pour rejoindre les chariots.

La route du retour se fit non sans mal, les deux hommes blessés avaient été installés dans les chariots qui, il y a peu, charriaient du bois et le confort plus que limité se faisait ressentir. Pierre eut particulièrement l'impression d’un voyage sans fin. Les roues du chariot imprimèrent en lui chaque bosse, chaque caillou, chaque branche sur le chemin. Profitant du moment de silence qui accompagnait leur route, Pierre regardait le ciel sombre au-dessus de la troupe et des chariots en réfléchissant à ce qui venait de se passer. Non pas le griffon mais la « vision » qu’il avait eues.

Vision ou présence réelle des Sauveurs ?

Il n’en savait rien et n’avait rien dit de cette histoire à Cothyard. Même s’il avait voulu parler de quoi que ce soit, il n’aurait su que dire.

Les chariots et la troupe en armes mirent une bonne demi-heure pour rejoindre le village. Quand ils arrivèrent, l'endroit était en pleine effervescence, éclairé par une forêt de torches et une foule de villageois les accueillant. Comme leur avaient dit les jumeaux, les gens de Villeurves avaient eu connaissance des événements grâce aux membres qui avaient participé à la chasse. Ils avaient surtout été au courant de la chute de Cothyard et de leur nouveau seigneur avec la bête qu’ils chassaient.

Le groupe mené par Leto et Folder se sépara vers le centre du village. Leurs hommes rejoignirent leurs familles tandis que les deux blessés furent accompagnés au manoir par un petit groupe accompagnant leur chariot.

La charrette porta ainsi le seigneur et son homme de confiance jusqu’à la cour où attendaient les autres occupants des lieux. Sitôt passé le porche Pierre put reconnaître le père Pylgrim, là, le visage affichant la fatigue et le stress qu’il avait dû avoir après les premières nouvelles. Puis Pierre croisa le regard de la personne qui se tenait à côté de lui, celui de Lise qui contrairement au religieux affichait un air agacé.

Aidé par les quelques hommes, le jeune seigneur descendit du chariot et fut emmené dans la salle principale du manoir. S’asseyant sur l’une des chaises de la grande table, le jeune seigneur observait Lise équipée d’un monceau de bandages et bocaux aux contenus plus qu’étranges. Cothyard s’était posé contre la table non loin et échangeait avec ses cousins tandis que Pylgrim, lui, regardait Lise se préparer à soigner Pierre. La salle était éclairée par de nombreuses bougies et les quelques hommes des cousins qui étaient venus s’occuper de rallumer le feu dans le foyer sous les yeux des chiens impatients de se mettre proche de la source de chaleur.

Regardant d’un air perplexe les outils et différents contenants que Lise avait dû amasser durant la journée pour dans apothecarium. Pierre ne pensait pas au moment de lui donner la salle devenir son premier patient.

Défaisant le bandage sommaire de Cothyard la tête de Lise se releva vers le jeune seigneur avec un regard qui remplaçait très bien ses mots.

À la lumière des bougies de la pièce, Lise et le religieux regardèrent la jambe meurtrie de Pierre. Le griffon n’avait pas eu besoin de l’attaquer de ses serres acérées. Les branches des arbres avaient fait leur travail et les coupures sur la jambe étaient profondes. La chausse verte de laine avait été presque entièrement déchirée et les braies blanches en dessous imprégnées de rouge.

— On dirait que tes dernières blessures ne t’avaient pas suffi, dit Lise en préparant ses affaires.

— Tout de suite, il se peut que j’aie sous-estimé le griff…

Le jeune seigneur fut coupé net et afficha sa souffrance par son visage quand Lise posa un bandage imbibé d’alcool et de plantes broyées pour nettoyer les plaies.

— Oups, j’ai cru que tu te trouvais une excuse.

Jurant par les trois Sauveurs, Pierre sut qu’il devait se taire. Lise s’activait et bientôt Pierre eut la jambe recouverte de bandages.

Tandis que Pilgrym semblait féliciter cette dernière, Lise s’approcha de Cothyard occupé à rattraper le temps avec ses cousins.

— Tu devrais continuer à soigner sa seigneurie je me débrouillerai très bien, après tout ce n’est pas ma première blessure.

— Et sûrement pas la dernière, pouffèrent les jumeaux en cœur.

Lise qui s’était tout de même rapprochée de Cothyard donna un petit coup qui le fit reculer en se recroquevillant sur lui-même.

— Ha oui on dirait que tu ne souffres absolument pas, assis ! finit Lise en indiquant le siège à côté de lui d’un air bien plus autoritaire.

Regardant Pierre pour une quelconque aide, il vit le jeune seigneur lui demander d’obtempérer d’un signe de tête.

Enlevant sa tenue de cuir qui l’avait protégé et sa chemise juste en dessous il les posa sur la table. Lise les prit et les mettant devant elle put voir à la lumière orangé des bougies un grand pan déchiré dans le cuire et du sang sur l’habit blanc.

Soufflant à nouveau de dépit, elle se mit au travail et commença à soigner Cothyard qui grimaçait. La douleur ne pouvait plus être cachée.

— Pilgrym n’avez-vous rien à montrer à « notre seigneur », dit Lise qui soignait le second blessé.

— Heu... Oui, oui tout à fait tenez.

Pilgrym sortant une missive et l’a tendis à Pierre. Saisissant le message qui avait dû arriver par oiseau Pierre rapprocha l’une des bougies de la table vers lui et observant le message craqua le sceau de cire qui le fermait. Le sceau de cire royale.

Les regards des occupants de la pièce s’étaient tournés en presque intégralité vers Pierre qui lisait le message.

Sa majesté la reine Anaïs de Corvinus,

Légitime héritiere du royaume du Corvin.

A l’attention de Pierre d’Ambroise,

Seigneur de Villeurves

De par cette lettre j'espère vous retrouver en bonne forme. La guerre se poursuit et un affrontement important avant l'hiver semble se profiler.

Comme nous en avions parlé lors de notre rencontre à Périssier, j’espère pouvoir compter sur votre soutien. Je vous ai fourni des terres et un titre quand vous n’en aviez plus et j’espère qu'à présent vous êtes prêt à me rendre la faveur.

Votre présence dans les Marches n’est pas un simple hasard comme vous vous en doutiez. Leur allégeance n’est acquise ni dans le camp de l’usurpateur ni dans le nôtre. J’aimerais que vous fédériez les seigneurs de Praveen et que vous teniez prêt quand nous ferons appel à vous.

Respectueusement,

La reine

(Sceau du Corvin)

Finissant la lettre, Pierre la tendit et Cothyard, qui s’était levé pour venir la prendre. Posant le courrier sur la grande table centrale des lieux, il lit le contenu avec attention.

— C’était plutôt couru d’avance, fit le Pravien après avoir parcouru la lettre.

— On dirait que nous avons là le prix de la générosité de la reine, sourit Pierre en regardant Cothyard. Une idée pour y parvenir.

Réfléchissant, Cothyard s’était tourné vers les jumeaux.

— Pour parler à tous les Praviens je ne vois qu’un endroit.

— La pierre de La Roque…

— La pierre de La Roque.

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