Acte II

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SCÈNE XXV

Mérédith dans les cachots, un garde l’accompagnant.

MÉRÉDITH Sont-ce donc là les criminels de l’État ? Tous ?

GARDE Oui, votre royauté. Les promesses du régent de réduire le taux de criminalité ont réussies, et nous connaissons depuis plusieurs années une très notable accalmie.

MÉRÉDITH Celui-ci, pourquoi est-il enfermé ?

GARDE Il a refusé de se présenter au poste auquel il avait été nommé.

MÉRÉDITH Et celui-là, au fond ?

GARDE Il a volé, à deux reprises, du pain et divers aliments.

MÉRÉDITH Apportez moi les cahiers de recensement. Je veux tous les noms présents ici.

GARDE Bien, votre royauté. Les voici.

MÉRÉDITH Maigres ouvrages. Trop maigres ouvrages. Pour ce mois-ci. Quelques vols, et des ivrogneries. Est-ce tout ? N’y-a-t-il d’autres délits ? De fautes et de peines plus lourdes ?

GARDE Non, votre royauté. Nous sommes à l’une des périodes les plus calmes de l’année. (Mérédith referme le livre qu’elle lui rend.)

MÉRÉDITH Laisse-moi. Je trouverais la sortie seule.

GARDE Êtes-vous sûr ? (Elle se contente de le fixer sans répondre.) Bien, votre royauté. Comme il vous plaira. (Après quelques instants de muette réflexion, Mérédith arpente les cachots vers la sortie.)

MÉRÉDITH C’est plus grave que ce que j’escomptais. De trop frêles défi, des débats sans force voué à de trop longs répits. Qu’est-ce qu’une ville à ce point vidée de passion pour ne pas même avoir un meurtre à présenter ? (Mérédith atteint la porte de sa chambre.) Une pensée à ce point dirigée par l’économie et l’absence de danger, que des appartements royaux on pourrait entendre les enfermés soupirer. (Elle entre, et s’enferme.) Les imbéciles. Les fous. Ne comprennent-ils pas que l’interdit n’a d’autres fonctions que susciter l’élation ? Tant habités, et rabâchés la figure du roi qu’ils ne peuvent croire en un pouvoir entièrement saisissable et exposé. Couronnes sans déboires, aux attaches par trop terrestre. Lèse-majesté est devenue affaire de droit et de propriété. Qui voudrait d’un tel royaume d’économistes et de prospecteurs fonciers. Tant de calcul pour connaître la juste proportion à remettre à chaque corps, tant d’efforts pour avoir le rendement le plus fort. Il leur faut leur remémorer les volitions de la perte. (Pendant qu’elle parle elle arpente ses quartiers et s’arrête face au portrait d’une dame de grande noblesse, en parures royales mais sobres. Mérédith la regarde et se raidit.) Tu es morte avant de mourir. Je l’ai vu dans chacun de tes regards capturés par les pigments, dans tous tes carcans exposés en galerie. Sans te connaître de toi j’ai tout connu. On aurait dû te faire boire la térébenthine jusqu’à la lie pour d’un tel exemple avoir voué ta vie. Mais je ne te décrocherai pas. Je ne te permettrai pas de grossir et d’enfler au-delà de ce que tu es. Sois-moi le perpétuel rappel, de ce que c’est que de tomber sans même marcher. (Elle se détourne.) La situation est plus grave que ce que je n’aurais jamais pu penser. Torpeur de pierre, invasion séculaire ; vous êtes venus pour vous taire. Il m’aurait fallu être la vierge muselée, ou bien la reine dépravée. Vos vertus manquent de nuances, vos fronts sont marqués d’un trouble trop commun. Il me faut vous perdre un peu, vous montrer les chemins de la piété puis de la vertu au sol foulée. Vous redonner une impression du sacré, de celui qui n’aurait pas de cadres si commodément limités. Un négatif de ce qui n’a jamais été ; tout ce qui a de valeur n’a de propos qu’à être bafoué. De sang royal ils me savent sans pour autant connaître mon propre sang. Il serait temps d’afficher de nouvelles couleurs, et de l’impiété leur montrer les saveurs. La vraie puissance doit déborder, être généreuse pour s’étendre à tout, et non pas être l’économe de ses effets. Je veux votre désir du crime accouplé à sa juste appréciation, la connaissance de vos lisières et leur consciente transgression. Cela en vaut bien de toute postérité l’immolation. Peu importe si l’on oublie l’allumette jetée à l’incendie. Alors, se perdre, et perdre toute contenance. Semer les justes graines de la dissonance. Des soupirants à suggérer, des repentants à provoquer. Vous vous êtes par trop fermés aux hasards de l’altérité et aux tempêtes de la réalité. Perds-toi Wacian à te voir me perdre. Vois comme toute fêlure s’embrasse comme autant de prière.

SCÈNE XXVI

Les servantes de Mérédith. La première, âgée, est en train de plier du linge. La seconde, très jeune, arrive par la droite de la scène.

SERVANTE I Apporte les serviettes pour le bain de notre maîtresse. Est-ce que l’eau est prête ?

SERVANTE II Je viens de la mettre à chauffer. Cela ne prendra qu’un instant. (Quelques instants.) Dis… as-tu remarqué ?

SERVANTE I Quoi donc ?

SERVANTE II Le prince. Il ne se présente plus aux quartiers de notre maîtresse. Et elle qui avait l’air si altière, ces derniers temps semble s’être résignée.

SERVANTE I Je l’ai vu, oui. Que veux-tu, la mort de son époux doit enfin la travailler. Et maintenant avec les rumeurs de guerre, ce ne peut être qu’un poids supplémentaire. Le prince a de plus pressantes affaires, il n’y a rien qui ne soit trop clair ici.

SERVANTE II Je le sais… Pourtant, je ne peux supporter de voir notre maîtresse ainsi affligée, quand même elle parvient à le dissimuler. Et tous ces soupirants qui se pressent et cherchent son audience. As-tu vu comme elle est fatiguée ?

SERVANTE I Ce n’est pas étonnant, elle ne ménage ni les bals, ni les réceptions, ça non. Elle a su s’aménager les usages du deuil, et se montrer sous son meilleur jour à de maintes occasions.

SERVANTE II (Quelques instants.) Un mari plus vieux de quarante années. Comment faire le deuil d’un mariage arrangé. Comment pleurer ce que le Seigneur-régent a imposé.

SERVANTE I (Elle agrippe son bras avec violence.) Tais-toi, idiote ! Pour moins que cela on a goûté aux interrogatoires de Ramaleh. Tu es jeune, tu ne sais pas ce qu’il en a coûté d’obtenir notre présente paix. Insouciante, tu n’as même pas connu les menaces qui tapissaient l’envers de nos pas, et comme à chaque mouvement il nous fallait nous montrer droits. Entends-moi ; ne tente pas la main de la loi.

SERVANTE II Je ne sais et ne veux rien savoir de plus que le bonheur de ma maîtresse.

SERVANTE III (Elle arrive par la droite.) L’eau du bain est prête.

SERVANTE I Allons, va, et ne parle plus maintenant. (Elles quittent la scène.)

SCÈNE XXVII

Vren marche seul et, passant dans la salle du trône penché en avant, comme fourbu, a l’air préoccupé.

MÉRÉDITH Une nouvelle voix s’élève ! (Vren, surpris, cherche la provenance de la voix. Il voit Mérédith sur le trône.) Bienvenue, mon seigneur, aux portes de Lamleh. Vous étiez attendu.

VREN Mérédith. Que fais-tu sur le trône ?

MÉRÉDITH Un trône ? Ce n’est qu’un siège taillé dans la pierre, séparé des autres par quelques marches. Tu es le seul à vouloir croire en sa différence.

VREN Que cherches-tu, insolente ? Te penses-tu si protégée par ton ascendance pour ainsi en bafouer l’héritage ? Dois-je rameuter les gardes pour te rappeler qui donc ici a la charge ?

MÉRÉDITH Pourquoi fuir cette entrevue ? Elle est dû, et de longue date.

VREN Ainsi, la raison de ton retour ? La vengeance ? D’anciens comptes à rendre ?

MÉRÉDITH J’ai déjà épanché mes désirs de vengeance, j’y ai plongé mes mains à outrance. Veux-tu savoir ? Ils n’apportent rien. Non, régent. Je suis venu rappeler.

VREN Je n’ai pas de temps à consacrer à tes impudences, trouve d’autres biais si tu veux divertir ton immaturité. Le fait que le peuple te sait ici te donne contre moi une garantie, mais sache que les mémoires ne sont pas immunes à mon pouvoir. Profite, intrigante, du jeu qui t’est donné. Je saurai te montrer quand il sera arrêté.

MÉRÉDITH Menace, promesse, devoir. Espoir d’un contrôle que tu penses toujours avoir. Regarde toi, tu es devenu statique dans ta foi. Ton affinité est devenu le simulacre de moyens répétés, d’objectifs renouvelés. Tout un système que tu as érigé, une bureaucratie du sacré. Dans tes complexions continuelles tu en as même oublié celui à qui tu m’avais marié.

VREN Que viens-tu ici invoquer le nom des morts ?

MÉRÉDITH Je n’appelle pas les défunts, mais ceux qui peuvent encore user de leurs mains. Il n’était le seul apte à diriger cette poche que tu a l’air de tant redouter. Et tu as omis de considérer les velléités d’un peuple endeuillé, n’a su voir comme il pourrait d’eux-mêmes à la guerre te devancer. Rabâché dans la préparation de tes processions, tu escomptes que le monde attende patiemment le temps nécessaire à la réalisation de ton action.

VREN (Vren regarde avec méfiance autour de lui, et porte la main à la dague qu’il garde dans son dos.) Où sont les gardes ?

MÉRÉDITH Quelque part, assurément. Regarde, toutes tes mailles, toutes tes toiles. Des ramifications de sécurité, le moindre détail pensé pour assurer ta longévité et te prévenir des attentats et du danger. Pourtant, te voilà, au cœur même de ton enclave, là où tout le monde est devenu de tes ambitions l’esclave ; et il n’y a pas une seule personne pour te protéger. Derrière ton bouclier, tu te retrouves frêle et dénudé.

VREN Alors c’est ainsi. (Il dégaine sa dague.) Putain amoindrie. Viens, oui, viens te porter à cette antique nature, vois si ma main a perdu toute capacité de rupture. Qu’importent les marées de tes venins, il n’y a aucune défense dont je ne peux me faire un chemin. Envoie tes amants et tes meurtriers, avec moi je saurai te faire tomber ; ta gorge transpercée, à ton père tu sauras davantage ressembler.

MÉRÉDITH Et si je te proposais, ici et maintenant, de me tuer ?

VREN Je te demande pardon ?

MÉRÉDITH Vois-tu un seul de mes assassins prêt à frapper à mes côtés ? Penses-tu que sous ma robe j’ai dissimulé une épée ?

VREN As-tu donc perdu l’esprit ?

MÉRÉDITH Allons, depuis mon retour, ne désires-tu pas m’arracher la vie ? Eh bien, qu’attends-tu ? Vas-y.

VREN Je ne tomberai pas dans ton piège.

MÉRÉDITH Ne veux-tu pas écarter ce qui depuis son arrivée n’a fait que troubler ta volonté ?

VREN Silence, intrigante ! Tu ensemences ces couloirs d’un risque qui n’existe pas. Tes menaces sont vidées de contenu.

MÉRÉDITH C’est justement ce que je viens te rappeler. Tu t’es toi-même enfermé avec pour seul compagnon une prudence exacerbée née de ta propre isolation. Et tu t’accroches désespérément à elle pour te prouver sa raison d’exister.

VREN Assez ! Tes jeux m’ont fatigués. Vocifère tes tentatives, elles en restent sans directives. Je ne tolérai pas toujours semblables écarts. (Il s’apprête à se détourner.)

MÉRÉDITH Tu n’as pas encore donné réponse à ma proposition. (Il quitte la pièce sans répondre.)

SCÈNE XXVIII

Trois gardes, sans armures ni équipement, se tiennent debout dans l’antichambre menant aux quartiers de Vren.

GARDE JUGÉ I Ainsi, nous voilà surpris, condamnés sur le fait.

GARDE JUGÉ II Ce n’est pas possible, il doit y avoir un moyen d’y échapper. Nous ne sommes pas les seuls gardes à avoir profité de notre position ! Il nous faut bien vivre, il nous faut bien nous sustenter ! Pourquoi nous plutôt que tous les autres qui l’ont fait ?

GARDE JUGÉ III Oublie toute sortie. Regarde nous, dépouillé d’armes et d’armures. Veux-tu te forcer un passage hors de la forteresse à l’aide de tes poings ? Il nous faut endurer ce qui doit advenir. (Un garde en service interrompt leur discussion.)

GARDE Vous allez être reçu dans les quartiers du Seigneur-régent. (Ils se lèvent, et s’acheminent en regardant le sol. Sur la chaire de Vren se trouve Wacian, les regardant s’avancer. Ils lèvent enfin la tête et le voit.)

GARDE JUGÉ I Prince, est-ce bien vous ? Mais pourquoi nous recevez-vous ?

WACIAN Ne puis-je me porter là où il me plaît ? Il me semblait pourtant que de ce royaume j’étais l’héritier.

GARDE JUGÉ II Prince, nous ne voulions vous insulter. Mais vous savez pourquoi ainsi nous avons été amenés.

WACIAN Oh, je le sais. Je sais beaucoup. Négligés, rompus par les idéaux qu’on vous impose. Vous offrez votre corps et votre sang au nom de votre royaume, et revenus usés, vous partagez la misère de ceux qui sont restés en sécurité. Conduits aux rapines et aux pillages pour les plus fortunés d’entre vous, combien sont ceux qui croulent dans les rues, infirmes de guerre ne pouvant par eux-mêmes faire valoir leur droit ? Et l’on fait pendant ce temps le faste des morts, on propose l’ivresse d’une nuit aux prix de mois d’inanition !

GARDE JUGÉ III N’allez-vous pas nous condamner ?

WACIAN Vous avez de plus nobles usages. Ne méprisez trop votre situation. J’efface vos accusations, j’en retire les mots et les confie à l’évaporation. Ce qui aujourd’hui est déchéance, hier encore était louange. Peut-on reprocher au chien de mordre si l’on ne le nourrit pas ? Ne flagellez pas votre faim, c’est elle qui fait de vous d’aussi précieux compagnons. Écoutez moi. Entendez votre prince. L’on m’avait confié à la pierre mais enfin je m’éveille à la chair. En vous brûle l’instabilité de rages séculaires ; et son appel est ponctuel. Comment demandez au feu de consumer sans aliments ? Formons une nouvelle allégeance. Tombons les voiles et les acquis. Je ne suis tout à fait maître ici. Acceptez de devenir mes incendies, et j’aurais soin de ne vous laisser pâlir. Devenez les piliers d’un royaume qui n’est encore tout à fait né. Devenez le lit d’un brasier qu’aucune langue n’a encore prononcé. Cernez-moi, égides, avancez de mon pas pour me garantir de l’acide. Et partagez de la ruée qui sera mienne, connaissez les avantages et bénéfices de ma haine. Ou bien, retournez vous sustenter de maigres brigandages qui ne peuvent que vous menez une fois de plus à cette cour martiale. Grattez, fouillez l’envers des pierres, cherchez de quoi repousser le constat amer. Sans moi cette fois pour intercepter le jugement qui aurait dû vous échouer. Le choix est vôtre à faire. Mon monde attend votre serment. (Quelques instants d’hésitation, et le premier des gardes de met à genoux pour embrasser la chevalière de Wacian. Les autres le suivent.)

GARDE JUGÉ I Nous choisissons, mon prince.

WACIAN Lève-toi, carnassier, et toi, limier, et toi aussi, meurtrier. Entrez dans ma garde la plus au soir, celle qui attendra l’étincelle pour faire son véritable devoir. (Il tend ses bras vers eux.) Oh, comme je vous ai laissé affamés, négligés que vous avez été. Mais cette ère est terminée. Oh, vous aurez ma pleine attention. Et je m’assurerez que vous ne manquiez plus jamais de quoi vous nourrir, que les côtes de furies ne soient plus jamais saillantes. Trop longtemps nous nous sommes assis en dispersion, trop longtemps avec nous disséminé les charbons de notre communion. Il est l’heure désormais de vous révéler, de vous gorger de ce que vous êtes fondamentalement. Courrez sous mon nom, et le mien seul, de notre siège agitez les brandons. Il y aura suffisamment de frontières pour nous offrir un carburant nécessaire. (Au garde qui les as introduit.) Qu’on efface leur nom du registre des accusés, qu’on leur rende immédiatement leurs effets.

GARDE Immédiatement, prince.

WACIAN Bien, et maintenant il vous faudra aller répandre les paroles proférées, laisser grandir le feu de forêt. Il va nous falloir davantage de hardes s’il nous faut l’emporter. Mais avant, j’ai une dernière condition à vous imposer.

GARDE JUGÉ I Quelle est-elle, mon prince ?

WACIAN Rejoignez moi dans la salle des armes.

SCÈNE XXIX

Vren se tient appuyé au-dessus d’une table où sont disséminés de nombreux documents. Un des agents de Ramaleh se tient à ses côtés.

VREN Toujours aucune trace de Ramaleh ?

AGENT Non, seigneur. Nous n’avons reçu aucun contact.

VREN Bien. Bien. (Quelques instants.) Qu’en est-il des gibets ?

AGENT Leur nombre a explosé. Tous nos agents en poste dans les principaux hameaux ont fait part de leur omniprésence. Les gens semblent s’y être résignés, comme d’un mal qu’ils ne peuvent esquiver. Ils n’essayent même plus de se rendre derrière les remparts de Lamleh, et aucun n’a cherché à pénétrer notre périmètre de sécurité. Ils savent désormais la présence des armées à ses pieds, et n’osent s’en approcher. Les disparitions continues.

VREN Ce ne sont que de pâles formations de bois. Là n’est pas l’urgence.

AGENT Il semblerait également que les armées des seigneurs conviés, toujours campées aux pieds de Lamleh, soient au courant des dissensions et du traitement de leurs maîtres. Leurs hommes se montrent toujours plus agressifs de par leur situation prolongée. Ils savent que nous n’avons les moyens d’entretenir leur train, et ont pris sur eux-mêmes de se servir dans les bourgades alentours, sinon aux extrémités de la ville. Nous avons déjà des rapports d’attentats sur la population, et chaque jour les voit devenir plus incontrôlables.

VREN Comment peuvent-ils être au courant ? J’ai ordonné qu’aucune transmission ne puisse passer entre les seigneurs et leurs formations !

AGENT Nous avons maintenu jour et nuit la surveillance sur les seigneurs qui sont laissés à leurs chambres, mais des missives sont passées. Une brèche semble s’être faite dans notre réseau d’information. Nous n’en connaissons la source, mais tous désormais semblent au courant de notre position actuelle, et il est trop tard maintenant pour en résorber les effets.

VREN Je vois. Ce n’est rien. Qu’ils pensent ce qu’ils veulent. Assure-toi qu’ils se tiennent encore quelques temps. Nous partons en guerre après la cérémonie.

AGENT Tout est donc déjà prêt ?

VREN Nous n’avons besoin de plus. Tu peux disposer.

AGENT Bien, seigneur-régent. (Il s’en va, et laisse Vren seul.)

VREN Ah, Ramaleh, tu as choisi ton moment pour t’absenter. Et ces seigneurs exaspérés, et ces nobles frustrés, et ces paysans occupés à croire en de vaines déités. Qu’est-ce qui m’empêche de tous les écarter, peu importent les notions de légitimité. Un décisif revers de la main, expédiant tout ce qui m’empêche d’atteindre le lendemain. Morte la loi j’en ferais de nouvelles. (Quelques instants.) Calme, furie, calme. Te porter plus avant ne fera que précipiter le drame. Ordonne le monde en de nouvelles sphères fécondes. Je n’ai pas encore épuisé la source de mes ondes. (Il regarde la table.) Gibets, lanternes et liminalités… Vos tentatives m’épuisent. Me faut-il, ici aussi, entrer en scène pour montrer comment les mythes se font ? Alors qu’une fois de plus se lève le creuset des processions, et le foyer de toutes les génuflexions. Que se consume une fois de plus le désert des rituels et que les cendres pavent la voie des plus antiques soifs. Lève-toi, sacrificateur. Rappelle au monde les volitions nécessaires et préliminaires de la ferveur. (Il tire du fond de la pièce un coffre qu’il dépose brutalement sur la table. Il l’ouvre, et en sort une lance enroulée d’un drap épais.) Vieille amie. À mes côtés, combien as-tu présidée de cérémonie ? Hurle-moi, morcelle la coquille esseulée. D’écales encore il faut payer. Ô, abandon. Redeviens l’intime de ces phalanges serrées sur cette poignée. Je ne laisserai pas les fondations des décades s’effondrer face à de si pales simulacres. Il est encore un domaine où je suis maître et un espace où je règne sans partage. Aucun lieu ne saurait véritablement m’exiler, d’anciennes lisières à tout sol je sais convoquer. Venez, venez vous presser aux portes d’une cérémonie qui encore jamais ne s’est finie. Réfute le corps périssable, et tombe sous l’étreinte du temps hors du temps. Bannières, tentures et liens filaires ; qu’on revêt la forteresse d’une parure vasculaire ! Qu’on habille le monde des filaments d’un sang vieux. Venez boire aux fontaines d’une cérémonie qui ne connaît que les exuvies ! Une nouvelle gestation est réclamée ; et de pair l’élimination des corps étrangers. Invoquons une nouvelle cité, noyons-nous sous les torrents d’une fureur délurée ! Que la loi s’efface et brise ses sempiternelles mains de pierre ; que les interdits soient embrassés, que l’on s’y gorge à volonté. Et au faîte même de l’excès, redécouvrir ce qui aux autres pays nous as jadis opposé. Roulons, roulons sur les flots instables, naviguons sur un fleuve de bile inflammable ! Je forcerai les liens, et de ces préparatifs cérémoniels je ferai des promesses sacramentelles ! (Soudain avec un ton grave et mesuré, pesant chaque mot.) Rappelons la colère, et la honte. Rappelons que nous avons toujours des adversaires en ce monde. (Il enfonce la porte, crie les ordres à quiconque se trouve de l’autre côté.) Que l’on fasse venir les maîtres-artisans, et que tous les travaux en cours demeurent en suspens ! Nous avons affaire, et n’avons que quelques jours pour tout faire !

SCÈNE XXX

Adrian rentre discrètement dans la chambre de Mérédith, où elle se trouve en train de s’habiller.

MÉRÉDITH Général Adrian, est-ce vous ? Lointaines sont les journées qui vous voyaient drapés des affres de la survie, foulant le sable brûlant des arènes.

ADRIAN Non pas si lointaines pour en effacer les mémoires et les traces cautérisées. Et je pense que vous savez que je ne porte plus le titre de cette position.

MÉRÉDITH Je le sais. Je peux imaginer entendre d’ici les remous que votre arrivée au hall de Lamleh a provoqué. Combien ont dû s’offusquer de voir passer parmi eux le général déchu, le soldat déposé.

ADRIAN J’ai su me soustraire à leur regard. De la discrétion je connais l’art.

MÉRÉDITH Êtes-vous alors venu demander une seconde grâce de la main de Mérédith ? Je n’ai pas de roi à qui porter votre nom cette fois. Et je ne sais si le prince pourra quoi que ce soit.

ADRIAN Je ne viens demander aucun secours. Les faveurs m’ont empoisonnés, il était plus que temps de m’en purger. Cela a été long, mais je suis parvenu à extraire suffisamment de poison.

MÉRÉDITH J’ai entendu les rumeurs de vos cercles de lutte. Dans ce cas, venez-vous porter vos respects à celle dont on regrette déjà l’arrivée ?

ADRIAN Cela, et peut-être davantage.

MÉRÉDITH Je vous pensais plus intelligent pour prétendre au rôle de simple soupirant.

ADRIAN Ce n’est pas une cour que je suis venu traîner derrière moi, et le chant que j’apporte n’a pas pour désir votre émoi.

MÉRÉDITH (Elle se retourne.) Vous avez du meurtre dans vos yeux.

ADRIAN Il y en a aussi dans mes mains. (Elle affiche un sourire satisfait.) Vous comprenez.

MÉRÉDITH Que mes moissons sont précoces. (Elle se retourne pour nouer ses cheveux en se regardant dans une glace, offrant son dos à Adrian. Ce dernier s’avance.) Mais te penses-tu digne d’un meurtre ?

ADRIAN (Il s’arrête brusquement.) Digne ? Ces mains ne sont pas sans victimes, ni innocentes de ce que les guerres connaissent de crimes.

MÉRÉDITH Nécessités, contextes imposés. Excuses, je pense que tu le sais. J’ai dit digne, non pas capable. Un seul meurtre, s’il avait été vrai, t’aurait tellement saoulé que de ta vie tu n’aurais pu vouloir de plus. Aide-moi à refermer cette robe. (Il hésite, puis lui prête assistance.)

ADRIAN Comment, en ce cas, faire de cet acte banalisé un monument de satiété ?

MÉRÉDITH Tu veux apprendre. C’est bien. Tout est devenu trop plat, trop commun ; sans ébats, toujours pensant à demain. Il nous faut, pour lui-même, un peu de scandale.

ADRIAN Pourquoi faire ?

MÉRÉDITH Tu as encore l’esprit trop martial. Tu voudrais tout réglé, expédié, selon la plus forte efficacité. Par ton expérience tu te laisses diriger. Expier comme on l’entend n’est pas expier, c’est un luxe que beaucoup ne peuvent que désirer. En contrôle tu n’es qu’un jouet, Adrian. Joue ce jeu avec moi, le pire qui puisse t’arriver, est de choquer ceux qui t’ont si commodément dénigrés. M’accompagnerais-tu au hall, général ? Une réception y est tenue, et nombreuses sont les personnes qui sont venues y assister. Qui pourrait s’attendre à voir la royauté de Lamleh, avec le plus récent parjure s’exhiber ? Viens donc, la guerre ne s’est jamais terminée. (Adrian sourit et lui propose son bras. Ils font quelques pas ensemble, et quittent la pièce.)

SCÈNE XXXI

Un garde royal se tient seul à son poste devant la salle d’entraînement de Wacian. Un autre vient le rejoindre.

GARDE I Ah, te voilà enfin. Je te cherche depuis ce matin. (Quelques instants.) Encore avec l’entraînement ?

GARDE II Notre prince reçoit en duel l’une des nouvelles recrues.

GARDE I Ah, il y a donc bien de nouveaux soldats dans nos régiments ? La venue de ces seigneurs n’est pas inutile au final ! Peut-être même pourront nous faire de leur position bancale une situation profitable. (Il fait un clin d’œil qui ne reçoit de réponse. Quelques instants.) À propos de ce soir. Il nous retrouver avant l’aube, nous avons trouvé une bourgade non-surveillée, et-

GARDE II Je ne viendrai pas.

GARDE I Je te demande pardon ?

GARDE II Ni cette nuit, ni les prochaines fois.

GARDE I As-tu donc peur d’être pris ? Rassure-toi, nous avons tout planifié jusqu’à la sortie.

GARDE II Je ne suis nullement inquiet. J’ai tout dit à notre prince.

GARDE I Tu as fait quoi ?

GARDE II Je me suis confié, et lui ai expliqué les crimes auxquels j’ai été mêlé.

GARDE I Es-tu donc fou espèce de larve sans tenue ?

GARDE II Ne t’inquiète pas outre mesure, je n’ai donné que mon nom. Mais je t’invite à reconsidérer tes actions. La misère et l’urgence m’ont portés à descendre aux rangs des plus sales engeances, et le prince ne m’en a pas jugé, ne m’a en aucun cas incriminé. « Ce qui est fait et fait », a-t-il proféré. Il m’a simplement demandé la manière dont je voulais agir désormais. J’ai fait défaut à la voie que je m’étais tracé et je ne compte pas une seconde fois m’en écarter. Ces rapines ne nous porteront qu’à la ruine.

GARDE I Mais ta femme, ton fils.

GARDE II Laisse-les en dehors de cela. Je ne les laisserai devenir l’excuse de ce que je dois appeler chez toi de la ruse. Tu as sûrement tes raisons pour te porter à ces excès, mais ne te laisse pas abuser. Pour ce qu’ensemble à la guerre nous avons enduré, je te prie d’y penser. Lamleh ne pourra ainsi longtemps continuer, et il faudra que la position des trônes se mette à basculer. Ne te laisse pas aveugler, ton désir d’obtenir davantage ne pourra que te mener sous les décombres. Auprès du prince, nous pouvons nous tenir sans honte.

GARDE I Faible. Lâche. Après tout ce que j’ai fait pour toi. Je me lave les mains de ton sort, vois si de la pauvreté tu seras le plus fort. (Il quitte la scène en furie.)

SCÈNE XXXII

Quartiers de Wacian et Mérédith, la chambre de ce dernier. Il pleut à l’extérieur, Mérédith se réveille lentement alors que Wacian regarde au dehors, bras croisés. Elle met du temps à remarquer qu’il se tient là.

MÉRÉDITH Wacian ? Que fais-tu à la fenêtre ?

WACIAN Il pleut. (Elle se lève et va le rejoindre, embrasse son épaule et regarde au dehors avec lui.) L’averse a commencé cette nuit, et elle n’a cessé depuis.

MÉRÉDITH Tu vas bien ? Tu sembles contrarié.

WACIAN Je ne sais pas. C’est la pluie qui m’a éveillé, et elle me plonge dans un étrange état. (Ils ne disent rien, elle toujours appuyée contre son épaule, lui les bras croisés.) Tout le pays change sous ces retombées. Ses couleurs, ses formes. Ses souvenirs, ses marques. En voyant ainsi l’extérieur, c’est comme si j’étais ailleurs. Et toute la lutte, tous les efforts pour redevenir le prince que je suis sensé être, me sont subitement apparus vains. Les aléas de la politique d’une royauté parmi tant d’autres ne sont que peu de choses aux yeux de la lande. Tyran, saint ou régicide, l’herbe bruisse d’une même façon. La terre demeure indifférente là où les couronnes tombent.

MÉRÉDITH Et tu ne sais plus si agir en ce cas vaut quoi que ce soit ? (Elle pousse un soupir amusé, il la regarde, muet.) Ah, vous voulez faire la conquête du monde mais ne supportez pas qu’il ne vous accorde pas même un regard. Wacian, peu importe le monde, il sera, et durera, en floraison comme en ruine. Ce que toute personne veut changer en se portant ainsi à plus grande échelle, c’est soi-même, aussi inconsciemment que cela puisse être. Tu fais partie de cette lande battue par les pluies, mordue par les vents ; tu as de son limon, comme ses dunes d’herbes ont de toi dans leur croissance. Il n’y a pas d’opposition, et les frontières n’ont de sens que pour les livres. Épanouis, gorge toi de ton but le plus sincère : plus qu’une couronne, tu veux le mouvement de son changement, la phase de son renversement. Qu’importe la suite. Là est être vivant. Alors, portes-y toi, lave toi sous cette vague. Grandis-toi, et le monde grandira avec toi. (Wacian reste interdit, réfléchis sur ses mots.) Allons, cesse de regarder cette fenêtre comme si un danger menaçait d’en surgir à tout instant (Elle prend sa main.) Suis-moi ! (Ils vont sur la terrasse, à découverts sous l’averse, où se tient planté le figuier de Wacian.) Tu vois ? Ce n’est que de l’eau. Elle tombe sur nous comme toutes les autres personnes du royaume, qu’importe à quel point différent, ennemis ou alliés, parricide ou étrangers. Viens (Elle l’emmène sous les feuilles du figuier.) Vois comme l’averse baigne notre figuier. Pourtant ses mémoires n’en sont pas lavées.

WACIAN Tu n’as jamais oublié les instants qu’enfants nous avons passés à ses pieds ?

MÉRÉDITH Comment aurais-je pu ainsi nous renier ? Ces réminiscences m’ont été le plus salutaire des piliers, même si je ne pouvais atténuer la frustration qui en découlait. Enfin, jusqu’à maintenant. (Ils s’assoient contre le tronc ensemble.) Le monde, quoi qu’il arrive, commence avec, et par, ta chair, Wacian. (Ils restent ainsi enlacés quelques instants.)

WACIAN Parmi tous tes prétendants, pourquoi avoir choisi Adrian ?

MÉRÉDITH Est-ce donc là la raison de tes récents états ? Aurais-tu été heurté par ce choix ?

WACIAN Ne me pense pas aveugle ou oublieux au point de ne pas vouloir reconnaître les prémices de la jalousie. Ce n’est pas de cela qu’il s’agit.

MÉRÉDITH Sache en ce cas qu’Adrian n’est pas un prétendant, et que je ne l’ai pas choisi. Il s’est porté à moi en pleine exuvie, se pensant prêt, et je lui ai révélé qu’il avait encore des étapes à endurer. Ne pense pas que je n’ai pas remarqué comme tu évites son sujet. Voudrais-tu, maintenant que nous sommes retrouvés, à moi me dissimuler ?

WACIAN Tu sais que mes organes sont autant les miens que les tiens. (Quelques instants. Il soupire.) Il y eu un temps où j’ai espéré d’Adrian. Qu’il m’aide à reprendre le trône, qu’il écarte toutes mes entraves. C’est avec lui que j’ai fait mes premières armes. Et j’ai sincèrement pensé qu’ensemble nous pourrions nous libérer, et te récupérer. Mais il s’est écarté. S’est plié aux exigences de Vren, a obéit aux ordres qui lui étaient donnés. Même un parangon d’authenticité il en saurait par trop profondément tâché, maculé de cette corruption. Tous ses gestes puent de la régence les machinations, et il est resté trop longtemps à proximité des dignitaires pour ne pas en souiller son essence. Prends garde, Mérédith, à avoir un tel enterré dans ton entourage. Nous n’avons pas tant subi pour connaître à nouveau de Vren les outrages. Je ne le laisserai se placer entre nous une fois de plus.

MÉRÉDITH Adrian n’est pas aussi désespéré que tu peux le penser. Il me semble même qu’il pourrait encore nous aider à ce que tout deux nous puissions rester liés. Ce n’est là qu’une intuition, mais je pense qu’il aura son mot à dire dans la course de nos actions. Mais silence maintenant. Trop de mots alors que la pluie s’entend. Laisse l’averse nous prendre, petit frère. Et que l’on y demeure.

SCÈNE XXXIII

Les nobles, femmes et hommes mêlés, se préparent à la cérémonie. Ils essayent des costumes, des pièces d’armures tout en parlant chacun leur tour.

NOBLE I Vite, vite ! Hâtez-vous ! Videz les coffres et les anciennes armoires, prenez les tissus et posez les miroirs ! Une grande valse se prépare, l’occasion d’un nouveau départ. Une grande rénovation, à initier du sceau de l’ostentation.

NOBLE II (Parlant à des servants qui ramassent les parures jetées derrière leur train.) Marchez au pas soutenu des légions, nous vous le commandons, nous des primaires armées les rejetons.

NOBLE III Voilez visage et coiffez tempes, que chaque mouvement soit digne d’inspirer les estampes.

NOBLE I Le clairon des domaines hérités ne nous fait pas démériter. Sous les tentures dorées nous avons d’autres richesses ; d’un règne à venir nous sommes la promesse.

NOBLE II Tombez les rois, coulez la régence. L’ère prochaine est d’ une nouvelle engeance. Nous qui aurons bientôt nos armées, payés au prix de la juste patience, nous irons conquérir notre propre contrée, et la vêtir d’une plus forte scintillance.

NOBLE III Alors préparez cette danse, et freinez-en l’impatience. Ce sursaut célébré dans la vieillesse nous est la cause de la plus douce ivresse.

NOBLE I Pourquoi s’éparpiller et se débattre en coups d’État, lorsque d’eux-mêmes ils nous cèdent le pas ? Sans les bras de leurs soldats, ce ne sont que des hommes sans loi. (Les nobles ainsi défilent. Restent deux servants qui s’appuient contre une fenêtre.)

SERVANT I Cette journée ne se terminera jamais.

SERVANT II Ce ne sera jamais à eux de nettoyer, de préparer. De faire les frais de leur caprices frustrés.

SERVANT I Prends courage. Il nous faut endurer les réalités de notre âge. Laissons-les nous devancer un peu, respirer cet air tant que nous pouvons le faire. (Quelques instants. Ils sont accoudés à la rambarde de la fenêtre.)

SERVANT II Quelle est cette lumière ? Là, regarde. Du côté du fort, aux étages.

SERVANT I Comment, tu ne savais pas ? C’est notre prince héritier. Ne reconnais-tu pas l’abord de ses quartiers ?

SERVANT II Mais quelle est cette lueur sur sa terrasse ? On dirait presque des chandelles.

SERVANT I Comment pourrais-je le savoir ? Je n’ai jamais pu y entrer. Mais les gens disent que ce sont des bougies qu’il place sur son figuier. Et chaque semaine, depuis des années, ce point est allumé.

SERVANT II Pourquoi faire cela ? Surtout que l’on dit toute sa chambre composée d’étagères et d’ouvrages en abondance. Ces flammes sont trop proches pour m’apaiser.

SERVANT I Comment savoir ? Il ne laisse approcher personne de ses quartiers. Allons, il nous faut nous dépêcher. Si l’on constate notre absence, nous sommes terminés. (Ils partent dans la direction des nobles.)

SCÈNE XXXIV

Vren, ivre et seul dans ses quartiers, fais les cent pas devant le portrait du roi.

VREN La cause, la cause… Au feu la cause et tous ces efforts ! Il s’agit de sa chair, amoindrie, indigne ; mais le même sang demeure. Sur ces épaules qui pèsent moins que celle d’un bâtard repose l’héritage d’hommes de races meilleures. Et il répandrait tout cela comme un mauvais vin sur le sol. Miasme bicéphale, sa parente un désastre encore plus phénoménale. Pourquoi se sont-ils tant voués à écrouler ce qui leur était hérité ? Ramaleh éclipsé, il ne me reste plus que ses agents qui pour obéir aveuglément ont été formés. Tout cela devait être le sommet de Lamleh, la complétion de ce qui a été jadis complété, mais ils continuent, et continuent, et continuent à vouloir toujours tirer. Comment ne pas se sentir fatigué. (Il boit une longue gorgée et se tourne brusquement vers le portrait.) Pourquoi, Seigneur, t’es-tu à ce point retiré de ta propre semence ? Pourquoi une si passive engeance ? N’aurais-tu pu te conserver quelque peu dans ta descendance et éviter le fiasco qui couvre de honte le sacrifice de ceux qui un jour ont péri pour notre insurrection ? Le sang est faible ! (Il fait les cent pas, parle pour lui-même.) Dégénérés, tout juste bons à servir de pitance aux chiens… (Il se retourne brusquement vers le portrait.) Et où étais-tu, où étais-tu, lorsqu’au pinacle succédait l’agencement ? Confié aux immortalités de pierre, paisiblement gravé dans la mémoire de tous ceux qui t’ont approché… Cet empire est mon œuvre ! Seul ai-je couvert les territoires sur lesquels nous étions passés d’une véritable autorité, seul ai-je dirigé les flots de population et de commerce pour éviter, crachée de nos propres remous, une nouvelle rébellion ! N’es-tu pas satisfait ? Dois-tu venir par ton fils et fille mettre en branle tout ce qui a été érigé ? Reste au silence, savoure ta légende. Les gens n’ont qu’elle aux lèvres. (Quelques instants, bois de sa coupe.) Je ne veux pas de ta popularité. Garde l’histoire, garde la mémoire. Prend toute la postérité, je te l’offre. Mais je t’interdis de venir sur mon domaine pour contester l’exercice de mon pouvoir. Tu penses en avoir le droit, du haut de tes exploits que j’ai fait narrer dans tout le pays ? (Il jette sa coupe à terre.) Ta chair n’est rien que le reliquat d’une autorité que j’ai façonné, ta couronne le tribut d’un sens que j’ai donné ! Et tu voudrais, tu voudrais tout effondrer ? Vois, alors, roi mort, ce qu’il en coûte d’outrepasser sa sphère. (Il tire sa dague gardée dans son dos pour déchirer la toile.) Gardes ! Gardes ! Amenez pelle et burin, récupérez de quoi creuser la pierre et ouvrir le mausolée purpurin ! Je creuserai jusqu’au cœur pour récupérer ce qu’il en reste. (Deux gardes entrent.)

GARDE I Quels sont vos ordres, seigneur-régent ?

VREN Allez à bas, au tombeau du roi. Brisez les scellés, et tirez les antiques chaînes enterrées. Prenez des hommes, et forcez avec moi la muraille sacralisée. Le coffre est là encore, je le veux hors de cette cave gorgée d’angor. La couronne une fois de plus est appelée au dehors, et je ne saurai lui refuser un tel effort.

GARDE I Seigneur, êtes-vous sûr ?

GARDE II (À part.) Silence, obéis. Il vaut mieux faire ainsi.

VREN Ténèbre scintillante, de ma réflexion l’ascendante ! Peu importent les morts et leurs faces d’argile ; poreuses ruches d’encre débile. Jette à bas le tertre, vole et bois avec moi la rosée des oubliés. Arroge, révoque l’hégémonie de ceux qui ont faillis. Enterre d’une nouvelle terre les inhumés ! Retourne les stèles, effondre les piliers ! Qu’on façonne un trône de ce mausolée, ses occupants à jamais bâillonnés.

GARDE I Bien, seigneur. Il sera fait ainsi que vous l’ordonnez. (Les deux gardes quittent la pièce.)

VREN Il est temps pour le roi de ce pays de se montrer utile ; il n’y a pas à s’arrêter aux moralités futiles.

SCÈNE XXXV

Wacian se tient dans la salle du trône. Il porte au-devant de lui un petit coffret couvert d’un linge de velours sombre.

WACIAN Songe. Sois mon épée une fois de plus. (Il retire le linge du coffret, et l’ouvre lentement pour en sortir une couronne de verre.) Je ne peux le nier. Je l’ai tant, et tant désiré. Cet ouvrage de verre cisaillé, cette couronne dans lequel l’on peut voir chacun de ses reflets. Toutes ces images projetées, vers ce miroir déformé je me suis sans relâche acheminé. Aucun monde ne porte de souverain plus grave et plus capable que celui vers lequel j’ai toujours soupiré. Et maintenant, ce serait à portée ? Enfin, ce royaume, qui m’a été refusé ? Quelques jours, quelques heures à peine pourraient me voir assis ici, lavé du sang de mes cloisons, dressé d’une nouvelle itération. (Il porte la couronne en sa main, la tient face à son visage.) Te voilà, mirage. Sacralisation qui ne tolère aucun outrage. Promesse de mes heures inanes. Tu m’as été un baume lors de ces dérives sans fins. La raison de mon endurance, le propos de toutes ces négligences. Est-ce toi qui a cerné le froid des tempes de mon père ? Qui a voulu en faire de tout le pays le dépositaire ? Comme sa mémoire entre mes mains est légère. Tous reconnaissent le symbole du roi, et attendent qu’on le porte avec émoi. Je pourrais me porter à ce monde, répondre à leurs demandes les plus profondes. Quelques jours et je pourrais enfin être davantage que le prince, ne plus me contenter d’être l’inutile vicaire de cette province. Combien de plans ai-je formé, combien de pactes ai-je dressé pour améliorer le sort de notre contrée. Ce n’est pas du verre qui te compose, mais du rêve condensé. Ah, hypothèse d’une vie valable. Tu m’exaspères. Tu m’uses. Combien se sont résignés à jamais te porter, te donnant ton pouvoir dans cette négation des possibilités. Toi pour qui j’ai tant lutté. Et maintenant tu serais bel et bien à portée. Entre mes mains tu n’es plus un symbole désormais, mais un accessoire que je pourrais effectivement porter. Ta lueur pâlit une fois à proximité. Et c’est encore t’insulter que vouloir te posséder. Soupir de mes années, j’ai une plus juste floraison pour toi. (Il jette violemment la couronne au sol qui explose en plusieurs éclats.) Retourne aux éventualités, mal de mes songes. Ta fécondité au-delà du réel se prolonge. Aucun trône, aucun glyphe gravé dans la pierre ni aucune marquée taillée dans la chair. Donne-moi la lande ouverte et sa cendre. Cette nuit-là, est morte. J’ai inauguré cette vie en creusant et en arrachant des entrailles. Bête monumentale. Tes crocs, ruines de royaumes avortés ; et ta langue, le tapis des charniers duquel je veux me parer. Tes écailles coulent sur moi comme d’impotentes noyades ; tu n’as jamais été qu’un rempart duquel je me devais de creuser la faille. (Il prend un des bris de la couronne et s’entaille la langue dessus.) Ah ! Éveil ! Éveil ! Prends-moi de tes bras vermeilles ! (Il bave du sang qu’il étale sur son visage.) J’irai cracher sur les entrailles de la terre et j’effondrerai les vertèbres de toute fondation. Les limiers habitent mes cernes et mes tempes et aucune faim ne saurait les détendre. Que mon ascendance soit reniée. Que tous ceux qui attendaient cette royauté donnée soient à jamais mutilés. Que les lignées soient bafouées et les directions balayées. Je veux la maison au-delà de la tyrannie. Je veux la floraison qui échappe aux prédestinations. Je dévorerai le vide, sapide. Tel mon nom, et tous ceux qui m’attendent ne peuvent espérer autre chose.

SCÈNE XXXVI

Mérédith et Adrian sont assis dans l’arboretum de Lamleh, sur une place ouvertes d’où on peut voir des passants défiler entre les arbres.

MÉRÉDITH As-tu déjà eu l’occasion de visiter l’arboretum de la cité ?

ADRIAN Jamais. Je n’ai connu que les casernes, les campements et les excursions armées.

MÉRÉDITH C’est le joyau des nobles de Lamleh. Ils ont payés grand prix pour maintenir ici cette petite forêt, pendant que tous en bas n’ont pas de quoi se réchauffer. Chaque personne que tu vois ici se promener est de loin de ce pays l’un des plus privilégiés, car cette réserve permet l’accès qu’à un nombre très limité. Des générations vivent et meurent sous l’ombre de tels endroits, et c’est dans la conscience de tous qui y portent leur pas.

ADRIAN Dois-je montrer ma reconnaissance pour avoir été accepté ici ?

MÉRÉDITH Tu interprètes mal mes mots. Pourquoi penses-tu que de tous les endroits où nous pouvions nous arrêter j’ai choisi de loin le plus exposé ? Tous peuvent nous voir. Et tous ceux qui passent ici ont en ces murs tout le pouvoir. Dans les limites de ce que Vren peut permettre à leur vouloir. Je viens juste rappeler qu’aucune retraite ne peut se voir pénétrée. Ta présence saura le prouver.

ADRIAN Pourquoi cherches-tu tant à heurter ce qui t’es échoué ? Des milliers s’entretueraient pour quelques années si ce n’est qu’à l’orée d’un tel bosquet. Combien s’éventreraient pour parcourir les halls de Lamleh ? Tu baignes dans l’espoir des précédentes générations, et toutes tes actions en visent l’abolition.

MÉRÉDITH Tu penses cet endroit un sanctuaire. Une paisible sphère au cœur d’un monde acerbe. Qui aurait effectivement le droit de priver qui que ce soit de ce réconfort, vouloir repousser quiconque souhaitant y trouve un port ? Tu ne vois pas. Ce vallon est en décomposition. Regarde, les marques de la pression. À chercher à s’imposer au regard des autres, à vouloir se prouver qu’on est arrivé à une situation plus haute. Ici l’on distille du rêve à grande échelle et l’on moissonne de plus fortes résignations. Tout le pays connaît et idolâtre l’existence de ce lieu, forge des légendes pour se donner l’espoir d’un avenir plus heureux. D’y habiter, ne serait-ce pas merveilleux ? Stériles projections qui les enracinent davantage dans la sujétion. Et réciproquement, quiconque visitant ce hameau distant fera tout en son pouvoir pour s’y perdre. Combien de seigneurs ont donnés leur allégeances pour semblables dépendances ? Ces arbres sont une insulte. Extirpés, sauvegardés pour le plaisir de personnes à manipuler. Exposés pour servir de discours à une impotente moralité. Ce rêve est une souillure. Je suis venu empoisonner un fruit déjà corrompu. Annoncer que le carcan est révolu, et qu’une immense douleur est due. Inaugurer une danse sensée ravir les membres. Secouer les draperies et en faire tomber les organes. Il faut écarter toutes les parures, prolonger les entailles.

ADRIAN Je ne sais qui de vous deux, entre toi et Wacian, a influencé l’autre en premier.

MÉRÉDITH Nous sommes les vicaires d’un même don inné. Dans les entrailles d’une mère morte en couche nous avons été conjointement célébrés.

ADRIAN Ne redoutes-tu pas que l’on t’accuse de trahison ?

MÉRÉDITH (Elle rit.) Pourquoi redouter ce qui est vrai ? Je suis la trahison. Mais on ne peut trahir sans aimer, il faut cela pour pouvoir l’expérimenter. Elle doit faire mal des deux côtés, fissurer toutes les possibilités. C’est dans cette mise à nu que l’on échappe à ce qui fait de nous des individus. Ce monde ne connaît plus le blasphème, car il ne croît plus. Le blasphème, le véritable blasphème, est le plus beau des actes de croyance. Il faut le susciter en allant toujours à des extrêmes opposés, et ne jamais rester à stagner.

ADRIAN Tu n’as donc toi-même aucun sanctuaire ?

MÉRÉDITH (Quelques instants.) Un figuier. Dans les appartements de Wacian. Je n’ai jamais prétendue être pure de ce que j’accuse. (Quelques instants.) Dis-moi, pourquoi ne pas avoir demandé l’aide de Wacian avant de t’imposer à Vren ? Tu as été capitaine de la garde royale avant d’être général, je sais que tu as du lui parler et l’entraîner.

ADRIAN Wacian a fermé toutes les voies qui m’auraient permis de le rejoindre.

MÉRÉDITH Que veux-tu dire ?

ADRIAN (Adrian attend quelques instants sans mot dire.) J’aurais servi Wacian. J’aurais rompu toutes les bannières, et aurais rameuté tous les réfractaires. Le trône, je lui aurais offert. Je ne veux la couronne, ni aucune autre forme de domination que celle que requièrent mes troupes. Je n’ai pas en moi d’être suzerain, je n’ai pas le règne dans le sang. Mon monde est celui des entailles et des fumets incendiés. Je ne peux marcher que sur des terres lourdement foulées, et respirer sur des extrémités. Mais Wacian aurait pu. Renouveler les conquêtes, redonner aux armées une raison d’être. Tout était rassemblé en lui pour voir une nouvelle panacée. Mais il a décidé de rester muet. Il s’est écarté du monde et encore plus violemment de ce qui pouvait l’y faire revenir. Distant, se délaissant, pour pouvoir rester j’ai du à Vren obéir. Et ce dernier a continué à réformer, stratifier, ordonner. Sans que je puisse vers le prince retrouver un accès. Et toutes les lunes sont tombées derrière des remparts d’acier.

MÉRÉDITH C’en est presque similaire à l’apparent vieux mythe de Lamleh, celui même que Vren et Ramaleh ont depuis des années forgés. Le prince séculaire, rendu muet à la pierre, se débattant contre les cauchemars qui rongent le contenu même de ses artères. On ne peut guérir du sommeil celui qui s’enfoncent dans les rêves les plus vermeils. Mais toute histoire n’est constituée que de symboles, et c’est la terre entière qui s’est ainsi assoupie dans cette torpeur amère. L’éveil ne peut être celui du prince seulement, mais celui de tous. Et plus douloureux sera celui-ci, plus conséquente sera sa durée. Et plus brisé nous nous lèverons. C’est dans cette fracture qu’il faut nous diriger. (Des agents de Ramaleh viennent se présenter à Mérédith et Adrian.) Que venez-vous faire ici ? Comment osez-vous nous interrompre ?

AGENT I Nous avons des questions à poser à Adrian.

MÉRÉDITH Placides, retournez voir vos maîtres pour leur dire que l’héritière ne tolère pas leurs interventions.

ADRIAN Laisse, je répondrais. Je ne peux toujours profiter de ta tutelle si je veux progresser.

MÉRÉDITH Bien. Va, en ce cas. Je vous laisse à vos débats. (Mérédith se lève, et s’écarte de la scène.)

AGENT I Nous savons que vous avez pénétré dans la cellule de l’illuminé alors que vous aviez démissionné. L’avez-vous interrogé ?

ADRIAN En effet. Il me fallait savoir s’il disait vrai.

AGENT II Et sa réponse a été ?

ADRIAN Que pensez vous de l’acte de trahison ?

AGENT I Nous le condamnons sans hésitation.

ADRIAN Je vois.

AGENT II Avez-vous des raisons de penser que ce crieur public soit lié aux gibets ?

ADRIAN (Prend quelques instants pour répondre, et inspire profondément.) Plus que des raisons, je le sais de source sûre. Il m’a proposé de rejoindre le culte qui cherche à faire des gibets le seul futur. Lorsque j’ai compris ce qu’il était, je me suis sur le champ écarté.

AGENT I Bien, ces renseignements nous sont précieux. Nous verrons à ce que vous soyez-

ADRIAN Je ne veux pas de votre aide ni de votre reconnaissance. Avons-nous terminé ? Bien. (Adrian se lève et part.)

SCÈNE XXXVII

Vren rentre dans ses quartiers d’où toute lumière est éteinte.

VREN Quelle est cette odeur… (Vren tâtonne jusqu’à trouver de quoi allumer la lampe sur son bureau. La lumière faite, il se retourne pour voir qu’il n’est seul dans la pièce. Le hiérophante se tient debout, dos au mur. Entièrement vêtu de noir, un drap de même couleur, porté comme une cape, termine de l’habiller. Pas un seul aperçu de sa peau sous ses vêtements n’est disponible. Des bandelettes noires entourent sa nuque et son visage, sur lequel est posé un masque doré. L’expression en est neutre, sans émotion marquée, et des excroissances comme des rayons partent de son front.) Qui es-tu ? Répond !

HIÉROPHANTE Je suis le vicaire des oubliés. Le faîte des épuisés. De Lamleh le soupirant le plus dévoué.

VREN (Il dégaine son arme.) Comment es-tu parvenu jusqu’ici ? Es-tu l’agent de l’ennemi ?

HIÉROPHANTE Toutes les voies des landes informes mènent aux portes de la cité des hommes. (Le hiérophante, posant un genoux, lui tend obséquieusement un sceau dans ses paumes jointes.) Je n’ai fait que suivre les indications qui m’ont été données.

VREN Le sceau de Ramaleh ! Es-tu… Est-ce possible ? Tu viens des landes informes ? L’exilé a donc survécu ? (Quelques instants.) Vit-il encore ?

HIÉROPHANTE Cela fait depuis longtemps qu’il s’est donné la mort.

VREN Je vois. Ces conséquences au bout auront été portées. N’es-tu que le simple messager, le héraut des graves nouvelles, ou bien de ce trépas le plus proche endeuillé ?

HIÉROPHANTE Cet homme dont l’effacement je viens vous confirmer, toute ma vie je l’ai appelé mon père. Et malgré la pente engendrée par son action, il a toujours soupiré auprès de sa terre. Même alors que j’étais avec lui jusqu’à la seconde dernière. J’ai en mémoire les années passées à errer, le sillon des larmes dans ma peau gravée, et les côtes émaciées par la nourriture que je ne pouvais plus avaler. J’ai dans ma chair la douleur de tout un peuple banni.

VREN Il a déchu, mais il était noble, et d’une stature qui ne se retrouve plus aujourd’hui. Nous verrons à ce que les choses rentrent dans l’ordre. Où est Ramaleh ?

HIÉROPHANTE D’autres affaires l’ont réclamés. Urgentes. Pressantes. Il m’a envoyé le devancer, avec la promesse de sa prochaine arrivée. Ce sont ses mots qui m’ont permis de vous retrouver.

VREN Nous ferons sans lui. (Quelques instants.) Pourquoi ce masque que tu portes ? Retire-le, que je vois la face de celui qui me parle.

HIÉROPHANTE Je ne saurais satisfaire votre demande. Après la disparition de mon père, j’ai juré de ne me réclamer d’aucune descendance, de refuser nom et visage, de ne retirer ce masque que lorsque je me serais montré digne des espérances de notre âge. Compléter ce qu’a intenté le roi, sinon, me vouer pour toujours à l’anonymat.

VREN Ta vocation t’honore, et témoigne de ta volonté. Depuis combien de temps t’es-tu lié ce serment ?

HIÉROPHANTE Des années. Depuis que je connais dans son ensemble l’ancienne histoire, que je me sais de la patrie des exilés, celle qui du retour ne pouvait qu’avoir l’espoir.

VREN Pour cela tu as mon respect, résigné. Le royaume commence dans les os de ceux qui l’ont réclamé. Tu sais, en ce cas, ce qui t’a fait te mener en ces quartiers ?

HIÉROPHANTE Ramaleh et moi avons longuement discuté. Il m’a permis de connaître de ce pays la situation. Un peuple ignorant de morale et de direction. Des seigneurs gorgés de vaines ambitions. Des soldats qui n’ont du guerrier que le plastron. Que peut faire un souverain, lorsqu’on a brisé chacun des doigts de sa main ? Un même vide ronge vos corps et grave vos cartes d’une ineffaçable tâche. Il est temps de noyer dans le sommeil les lâches. Il pèse sur toute la ville une sombre marque ; redonnons-lui lueur en incendiant les hérésiarques.

VREN Tu parles enfin un langage que je peux comprendre. Tes mots sont ceux que depuis longtemps j’ai désiré entendre.

HIÉROPHANTE (Se relevant lentement.) Je suis là où Wacian n’a jamais pu se porter. Je suis l’au-delà du seuil qu’il n’a réussi qu’à approcher. Il coule en ces murs une sueur d’amertume, une impotence posthume. Il faut balayer la poussière en frappant l’enclume, faire résonner dans le fort un vol que ne supporte aucune plume. Les souverains et régents périssent, mais le trône demeure.

VREN Et un même sang, au yeux du peuple, se doit de l’irriguer. Tu prouves ton éloquence, et tes capacités. Mais qu’en est-il de ta légitimité ? Quel droit traînes-tu avec toi pour prétendre au peuple de Lamleh ?

HIÉROPHANTE J’ai avec moi des rêves cristallisés, un traumatisme qu’on a injustement oublié. (Le hiérophante ploie le genou et de son manteau sort une épée qu’il tend à Vren, poigne première.)

VREN Cela ne se peut. Elle a été brisée, perdue au cœur même des charniers. (Il dégaine, en admire la forme.) Vingt années, et aussi belle que le premier jour. Aucune rouille pour en diminuer l’éclat, aucune morsure du temps pour en accuser l’état. Tu n’étais pas encore né quand elle a commencé à s’abattre sur les seigneurs contre lesquels nous nous étions rebellés. C’est lui, le premier, qui a frappé, qui a dit que c’en était assez. Quelle grâce. Quelle assurance. Sa mort prédite, donnée en détails, il n’aurait pas hésité une seule seconde sur sa voie. Je l’ai fait chercher, encore et encore, n’ai épargné aucun effort. En vain. Jusqu’à ce jour. (Il rengaine soigneusement l’épée dans son fourreau.) Tu apportes un nouvel espoir en ces murs. As-tu tes gens avec toi ? Es-tu venu seul ?

HIÉROPHANTE Il ne saurait en être autrement, seigneur. C’est dans les angles morts que la rébellion demeure.

VREN Mais où est le reste de ton peuple ? Es-tu donc le seul rescapé ?

HIÉROPHANTE Non, mais nous sommes disséminés. En perpétuel mouvement, dans les landes. Nous déplaçant selon leurs sentencieuses demandes, et faisant de notre douleur et notre labeur une pieuse offrande. Nous ne goûtons au repos, évitons les hameaux. Mais nous rampons dans chaque vallon, parcourons d’éternels sillons. Il n’y a pas une dune que n’ayons foulé, une herbe que nous n’ayons caressé. C’est un exploit que Ramaleh soit parvenu à nous trouver, bien qu’en temps cela devait arriver. C’est là le signe que notre exil ne pouvait plus longuement durer. Que nous nous étions suffisamment tenu éloignés pour nous être rapprochés.

VREN Comment feras-tu si tu veux tes pairs retrouver ?

HIÉROPHANTE Nous n’avons pas survécu tant de temps sans créer de sûres méthodes de ralliement. Nous avons semé la terre de sceaux, avons gravé dans la cendre les armoiries de maisons que nous seuls pouvons comprendre. Je n’ai qu’un pas à faire pour retrouver tous mes frères et sœurs. Nous attendons tous l’ouverture des portes closes par l’antique rancœur. Mes gens sont vôtres, seigneur-régent, du moment que votre besoin s’en fera le plus pressant.

VREN Des survivants, enracinés dans la plus profonde austérité. Entraînés dans l’ascèse, avec la constante proximité du danger. Êtes-vous nombreux ?

HIÉROPHANTE Nous avons été le jeu des gardes-frontières, et nous sommes établies en bandes pour éviter les traques meurtrières. Mais nous sommes sans fin une fois rassemblés. Nos empreintes impriment une nouvelle forme à la terre, et nos râles dévient les vents séculaires. Nous sommes sans bruit, et l’exclusion de toutes les stratégies. Aucune armée ne pourrait espérer nous résister. Dans la faim nous nous sommes préparés. Nous sommes rapides, et sans pitié. Nous connaissons les voies de l’obscurité et aucune douleur ne saurait nous freiner. Nous sommes les oubliés par la lande marqués et abjurés, et les vivants à la mémoire ne peuvent pas même nous concevoir.

VREN Tu viens au moment le plus propice, de Lamleh tu es le plus digne des fils. Une guerre se prépare, et bientôt je sonnerai le départ. Mais assez de cela pour le moment, fier conquérant, toi qui de la façon la plus inattendue aura renouvelé la noblesse de ton sang. Il te faut encore te vouer au secret, ne laisser personne te voir ni t’approcher.

HIÉROPHANTE Je ne connais que le silence et l’endurance. Mon poison est de patience. Et je saurai m’effacer pour ne pas gêner la régence.

VREN Va, et rameute la nation des enterrés, aujourd’hui je lève la sentence de ceux qui un jour ont été condamnés. Il me faut encore ici terminer quelques affaires que j’ai trop longtemps toléré. Mais toi en ces lieux retournés, il y a beaucoup, beaucoup dont je peux maintenant disposer. Quand seras-tu prêt ?

HIÉROPHANTE Lorsque du plus profond de vos entrailles vous me commanderez.

VREN Alors, retrouve moi dans quelques jours. Il me faut célébrer la mort du roi, et l’y faire rejoindre tous ceux qui participent encore de son continuel trépas. Il y a des mausolées qui réclament qu’on emplissent leurs tombes, et je ne saurai refuser plus longtemps à ces seigneurs des décombres. Enfin, enfin l’heure est venue, d’élimer tout ce qui dans ce pays est superflu. Tous sont rassemblés en cette impitoyable heure ; les plus humbles manants comme les plus hauts seigneurs. Et dans cette grande et ultime convergence, il me faut nous plonger à l’obsolescence. Je te donnerai un trône lavé de toutes impuretés. Une couronne vierge de médiocrité. Et alors, alors nous pourrons partir, terminer ce qui a été il y a trop longtemps commencé.

HIÉROPHANTE Je suis le ministère de votre volonté. Ensemble, nous donnerons pleine floraison à Lamleh. (Il se retire dans l’ombre de la pièce et disparait, sous le regard attentif de Vren. Ce dernier siffle pour appeler les agents de Ramaleh. Quelques instants se passent avant qu’ils ne viennent le rejoindre.)

AGENT Vous nous avez fait appeler, seigneur-régent.

VREN Rassemblez les agents, regroupez vos meilleurs éléments, car il est venu l’heure d’invoquer un nouveau temps. Cette ère touche à sa fin et il nous faut en prononcer le final déclin. Lamleh, pauvre Lamleh, tu es empoisonnée. Ton sang est coagulée et ne peut librement circuler dans ce corps qui est le tien. Mais ne crains rien. Je saurai te soustraire à ces acides embruns, et te placer sur un plus digne écrin. Il nous faut épurer ce qui depuis trop longtemps nous a parasité. Il nous une nouvelle naissance, diriger nos forces vers la consumation de cette trop forte opulence. Ne redoutez pas ! Toute fin préfigure un commencement immédiat. Mais tous n’y prendront part, pour certains il est déjà trop tard. Limiers de l’ancien monde, flammèches au combustible immonde. Il nous faut, il nous faut brûler les sangsues qui sclérosent ce qu’il y a de plus sacré en nous. Me prêterez-vous votre aide, ou ploierez-vous le genou ? Ce n’est pas un ordre, mais un appel qui nous tire hors de tous ces incessants soupirs ! Entendez ? Entendez-vous ? Une sirène emmurée hurle encore sous ces pavés. Lamleh doit s’effondrer pour que Lamleh soit née. Écoutez. Entendez. Nos ennemis sont là. En nos murs. Il n’y a plus de sécurité. Il n’y a plus de refuge. Trouvez-les. Traquez-les. Emmenez-les en bas, dans l’obscurité. Refermez les trappes, jetez les clés. Il nous faut expier cette dérive insensée.

AGENT Qui, seigneur-régent ? Qui devenons-nous écarter ?

VREN Mérédith. Et puis Wacian. Et Adrian. Et tous ceux qui célèbrent le blasphème, qui font le cultes d’idoles à la face blême. Tous ceux qui ont refusé de se porter volontaire pour cette nouvelle guerre. Prenez les seigneurs réfractaires, prenez les retardataires. Prenez, prenez. Écumez-les. Rasez-les. Plongez leur noms dans les braises, qu’on oublie à jamais leur malaise. Pour que demain, demain nous soyons enfin un. Et un, nous partirons, tenant le sombre clairon, vers l’enclave de sédition. Je tiendrais le sceptre des armées, abattrais de moi-même sur l’ennemi l’épée. Rien ne pourra nous repousser, si nous sommes tous unifiés. Comprenez-vous ? Entendez-vous ? Tout doit se passer lors de la cérémonie. Attendez. Non. Ne les enfermez pas. Oubliés ils ne feront que proliférer. Il nous faut les confronter, il nous faut davantage d’éclat. Il faut que le renouveau de Lamleh coïncide avec le plus cruel des fratricides. Passez-les au feu, éliminez ce qu’il y a de trop en eux. Purifiez, purifier toutes ces impuretés. Nous sommes surchargés et nous devons quérir l’immolation. Laissez-moi conduire la ronde des confusions, l’altérante procession. Laissez-moi tirez de mes bras tous ceux qui ont choisis d’autres voies. Et pendant ce temps-là, prenez-les, prenez-les.

AGENT Vos ordres sont transmis. Nous préparerons nos agents, dirigerons les actions de chaque résident. Il sera ainsi fait selon vos désirs.

VREN Bien. Bien. Nous y arrivons enfin. C’est bien.

SCÈNE XXXVIII

Des ouvriers installent un pilier complexement gravé et détaillé, duquel sont attachées de longues tapisseries rouges peintes. Certaines pendent librement, d’autres sont reliés du sommet à d’autres piliers hors de la scène. Les ouvriers travaillent sous les ordres d’un vieux contre-maître.

CONTRE-MAÎTRE Alors, qu’êtes-vous, sangsues, parasites de moindre race ! Hissez moi donc ce pôle, qu’on y attache ces maudites bannières ! Êtes-vous encore des hommes ? J’y avais cru en vous voyant ce matin. On m’avait pourtant dit que certains d’entre vous aviez participé à la guerre.

OUVRIERS (En rythme.) Oh ! Oh ! Oh !

CONTRE-MAÎTRE En rythme ! Levez moi ce pilier qu’on y arbore les subtilités de nos confrères ! Montrons donc à nos aimés seigneurs que l’on peut encore suer du sang ! Là, voilà, encore un peu !

OUVRIERS Stabilisez !

CONTRE-MAÎTRE Voilà mes hommes ! Qui a besoin d’armadas entraînés lorsqu’on a de semblables raclures prêtes à s’armer ? Et ces étoffes n’ont-elles pas demandés la maîtrise de nos comparses tailleurs, priseurs, et que sais-je encore de la caste des vendeurs ? Pourtant, voyez le miracle ! Maintenant, qu’on les laisse sans intervention pendre au vent, et de leur talent l’on ne se portera guère garant… Allons les gars, montrons leur qu’il y a de l’art aussi dans ces bras ! Pas de pompes honorifiques ni de remerciements publiques, et encore moins l’éclat raffiné qui accompagne le mode de vie de nos seigneurs adorés ! Mais, que diable, du baume au cœur ! Nous avons pour nous l’ardeur ! Et le mérite d’un travail bien fait, si vous arrêtez de faire pencher ce foutu pilier ! Voilà qui est mieux ! Pensez-donc un peu à tous ces artisans précieux, confectionneurs des loisirs de l’oisiveté, et considérez la surnaturelle et subite altérité ! Quand il s’agit d’installer les fruits de leur génie créatif, de plonger ses mains dans la suie, la rigueur qu’ils se réclament s’évanouit ! Allons, de l’effort, du nerf ! Vous savez bien que si les demoiselles aujourd’hui sont en émoi, c’est moins le fait d’une sensibilité artistique que d’une attraction plus magnétique… Halte ! Voilà qui est parfait. Allons, fixons ce pilier, qu’enfin avec celui-ci nous en ayons terminé.

OUVRIER I Maître, un des gars semble mal.

CONTRE-MAÎTRE Pah, faiblesse passagère. Prends ma gourde, fais lui en boire le vin. Voilà, regarde comme il y tient à sa santé. Mais que cela ne vous donne pas d’idées, fainéantes créatures, et que je ne vous vois pas feindre un malaise afin de vous requinquer ! Pourquoi faire semblant, alors qu’avec un peu de bonne volonté, vous aurez plus qu’une maigre et salvatrice rasade ? Vous entendez ça, les gars ? Si nous terminons ce soir, c’est moi qui vous offre la tournée !

OUVRIER II Vous entendez ? Mettons du baume à l’ouvrage, et en sortant nous ferons ravage !

OUVRIER III Contre-maître, viendrez-vous ? Il y a un nouveau combat de prévu ce soir, et pour parier il n’est pas encore trop tard.

CONTRE-MAÎTRE Ah, canaille. Je lui tends la main et il m’avale et le bras, et l’épaule, et toutes mes économies ! Mais écoute, nous verrons cela plus tard. (Le contre-maître fait quelques pas en arrière pour regarde le pilier dressé.) Regardez le bel ouvrage. N’est-ce pas beau ? Combien de tailleurs se sont rassemblés pour tisser ces toiles immenses, jointes entre elles par ces damnés piliers. Elles s’entremêlent, se compulsent et se disputent toutes les toitures de la ville. Chaque cheminée, chaque rue est strangulée d’un garrot rouge, et l’on croirait marcher sous les épaississements d’une jungle carmine.

OUVRIER I Avec les décorations et les tentures attachés aux murs, on se croirait en une autre ville.

CONTRE-MAÎTRE C’est presque revenir à des temps plus sauvages, hm ? Avec ces totems et ces constructions de bois, ces brasiers et ces tortueux bocages.

OUVRIER II Le régent n’a pas perdu son sens du spectacle.

CONTRE-MAÎTRE Ça non mon fils. Cette vieille et aride araignée sait se réinventer, c’est tout du moins ce qu’on peut lui accorder.

OUVRIER III Moins fort maître, on pourrait vous entendre.

CONTRE-MAÎTRE Et me faire comparaître après m’être fait prendre ? Dans les cachots, avec un lit et une ponctuelle pitance, le sentence me sera bien tendre ! (Ils rigolent.) Allons, suffisamment de ces blasphèmes, avant les cérémonies ce n’est vraiment pas correct. Nous avons encore tout le quartier à faire, et ensuite, c’est toute la ville qui se verra dominée de ces parure vasculaire.

SCÈNE XXXIX

Vren et les seigneurs se trouvent dans la salle d’assemblée. Vren se tient silencieux, appuyé contre la table, à regarder les trois seigneurs qui lui font face, hostiles.

SEIGNEUR I Vous vous disgraciez, dilapidez nos ressources apportées en de vaines orgies ! Vous parlez d’urgence mais n’avez qu’à l’esprit cette maudite cérémonie !

SEIGNEUR II Vos puantes méthodes nous ont suffi ! Ordonnez à vos gardes de nous libérez de nos quartiers, cet enfermement ne saurait plus longtemps durer !

SEIGNEUR III Comment osez-vous nous priver de contact avec nos armées ! Vous voulez nous les arrogez ? Nous avait fait venir pour supplanter notre autorité ? Eh bien, peu importent les contrats passés, je me lave de ma venue à Lamleh ! Dès à présent je reprends commande, et entends traverser à nouveau la lande. (Wacian ouvre brutalement les deux grandes portes de la salle d’assemblée. Il est entièrement vêtu d’une armure et s’avance, des gardes à ses côtés. Les seigneurs se tiennent sur leurs gardes, reculent par sécurité.)

SEIGNEUR III Quelle est la signification de ceci.

WACIAN Seigneurs. Conspirateurs. Hérauts de tumeurs. Pâles vendeurs.

VREN Tu oses entrer en armure ici, en l’assemblée des seigneurs de ce pays ! As-tu perdu l’esprit ?

WACIAN Faux rois, intrigants sans le moindre droit.

SEIGNEUR II Je ne tolérerai d’être ainsi insulté !

WACIAN Ose me défier et sur le champ de mes propres mains je t’éventrerai. (Il se tourne vers chacun des seigneurs.) Vous oubliez de qui vous devez votre allégeance, ministres de la fange. Vous polluez ces chambres de vos présences. Oui, tournez ici vos regards. C’est tout ce que vous avez fait, regarder, encore et encore regarder. Méprisant, dénigrant, s’arrogeant, arrachant, et demandant toujours plus. Impotentes sangsues, vous vous êtes gorgés de ce que vous n’auriez jamais dû approcher. Vous avez profité, et participé, de l’inhumation de trop nombreuses années. Oui, voyez ce que vous avez au carcan relégué, ce que vous avez si commodément plongé dans un sommeil délétère. Vous avez voulu taire le sang. Vous avez cherché à museler de la royauté le nutriment ! (Wacian dégaine une dague qu’il pointe vers les seigneurs. Les gardes à ses côtés restent immobiles, ceux déjà dans la salle portent leur main à leur épée.)

SEIGNEUR III Que faites-vous !

WACIAN (Wacian s’entaille profondément la main de sa dague et affiche la paume face à eux.) Vos yeux seraient autant de soleils qu’ils ne pourraient assécher le lit de ce fleuve ! (Il projette du sang dans les yeux du seigneur qui lui faisait face, l’aveuglant et le faisant reculer.)

VREN Cela est plus qu’assez, tu as enfreint les limites qui t’étaient assignées. Il est trop tard pour se prétendre viril lorsque de toute ta vie tu n’as fait que vivre dans un chenil. Ton discours est pareil aux cris d’une truie, et il était grand temps que tu apprennes ce qu’il se passe hors de ton nid. Gardes, saisissez-vous de lui ! (Quelques gardes dans la pièce s’avancent, hésitant visiblement, avant de se placer, prêts à défendre les seigneurs tandis que les autres se tiennent du côté de Wacian, sans bouger. Wacian prend quelques instants pour juger les gardes autour de lui, ceux qui sont à ses côtés comme ceux qui ont été sur le point d’intervenir. Il pointe sa main ensanglantée dans la direction de Vren.)

WACIAN Ta tour est tombée, intendant. Le reste suivra bien assez tôt. (Wacian se retire, et les gardes qu’il a amené avec lui, plus quelques-uns déjà présents dans la salle, le suivent hors de la pièce. Restent les seigneurs, Vren et les gardes restants.)

SEIGNEUR I Vous êtes perdu, Vren, vous n’avez plus aucun contrôle. Votre pion s’est retourné entre vos mains et vous avez échoué à conserver votre bien.

VREN Tu penses l’insurrection de Wacian imprévue ? Que toutes mes années reposaient sur le bon vouloir d’un tiers pouvoir ?

SEIGNEUR II Assez de vos feintes et de vos mensonges. La bénédiction de votre roi vous a déserté, vous avez tourné en dérision l’exemple de son action. Votre heure est dépassée, et les rênes vous ont échappés. Renoncez à cette direction, remettez à d’autres ces décisions, ou vous ne connaîtrez qu’une tombe dans un anonyme limon.

VREN Jamais. Trop a été fait, trop a été engagé. De mes mains je vous éventrerais si sur le chemin de Lamleh vous vous interposez.

SEIGNEUR III Cet endroit est sans espoir. Il n’y a à attendre d’elle autre chose que son écroulement. Retournons à nos hameaux, cette capitale n’est plus présente à mes os. (Le seigneur prend la direction de la sortie mais Vren se jette sur lui pour le frapper brutalement, le mettant à terre. Il barre de son corps la sortie et fait face aux seigneurs.)

VREN Wacian s’est montré indigne du contenu de ses veines, et Mérédith souffre les réalités de son sexe. Cette branche est flétrie. Mais je n’ai pas encore échoué. (Un instant.) Voyez, chiens. (Il tend l’épée du roi.) Un autre héritier à moi est venu. Un autre prétendant au trône armé d’un sang de scories dépourvu. Et son allégeance, signifiée par ce présent offert à la régence. Cette épée, que vous reconnaissez, par lui m’a été restituée. Vous ne saurez en douter, toutes nos fresques l’ont dépeintes. Engendré dans le sillage de notre ancienne armée, endurci dans l’ardeur des landes, fiancé à son implacable aridité, de lui-même il s’est imposé ; le miroir du frère de son père, le dirigeant de ses pairs. Wacian n’aura été que de la couronne le support temporaire. (Il dégaine, et pointe la lame vers le seigneur toujours à terre.) À genoux, et baise cette lame jadis brisée. Son tranchant n’a pas diminué.

SEIGNEUR III Vous êtes devenu fou, Vren. Toutes ces années vous auront finalement mené à la sénilité.

SEIGNEUR I Quittons cette terre abandonnée, il n’y a plus rien à faire pour la sauver.

VREN Alors c’est ainsi, traîtres, tourmenteurs. De nos ennemis les prédécesseurs. Gardes ! Gardes ! (Entre de nouveaux gardes précipitamment, main au fourreau, pour rejoindre ceux déjà présents.)

GARDE Vos ordres, seigneur-régent ?

VREN Ces hommes que vous voyez-là sont des agents de l’ennemi ! Ils se sont révélés les conspirateurs qui cherchent à effondrer Lamleh. Arrêtez-les ! (Les gardes dépassent les seigneurs, les attachent alors qu’ils se débattent avant de les emporter.)

SEIGNEUR I Vous avez perdu l’esprit ! Vous regretterez cette décision !

SEIGNEUR II Relâchez-moi sur le champ, brutes ! Attends, je connais ton visage. Il y a peu encore tu répondais de mes ordres. Imposteur, l’as-tu oublié !

GARDE Silence ! (Les gardes tirent les seigneurs avec eux qui se débattent en vain et laissent Vren seul, l’épée à la main.)

VREN Maintenant, il va nous falloir purger sans sommation. Menez-les aux salles d’interrogation. Retirez, retirez de leurs lèvres l’antique poison. Il nous faut nous tenir prêt, il n’y a pas à redouter.

SCÈNE XXXX

Dans une caserne, Raviel fait face à plusieurs gardes ainsi que le capitaine de la garde. Raviel agrippe au col l’un des gardes.

RAVIEL Silence ! Tu fais beau jeu dès qu’il a le dos tourné mais j’aimerais te voir en face l’accuser ! Lâche. Tu te dis soldat, et tu oses questionner ton général. Avez-vous tous oublié le nombre de fois qu’il nous a sauvé ? Les victoires qu’il nous a fait connaître ? Vous savez aussi bien que moi que nul autre n’aurait pu faire tout cela. Toutes ses actions ont été pensées, ses mouvements calculés pour obtenir la sûreté de ce pays. Qui s’est ce qui s’est passé entre les murs de Lamleh, qui sait ce que Vren a pu prononcer ? Adrian a démissionné, a abandonné la fonction de chef des armées. Pensez-vous qu’il ne devait avoir des raisons pour se détourner de ce qui toute sa vie n’a été que dévotion ? (Le garde se dégage, et frappe Raviel au visage, le faisant reculer.)

GARDE I C’est aisé pour toi. Tu le défends, tu t’avances comme étendard et c’est ta honte. Il t’accordait encore ses entrevues alors même qu’il était invité à tous les banquets, et que sa propre caserne il avait déserté. Et après son échec militaire, il démissionne pour passer ses jours dans les tavernes ou bien chez l’héritière. Regarde son visage le prochaine fois que tu le verras, et ose revenir me dire qu’il est encore l’astre embrasé qui chargeait comme une roue au cœur de la bataille. Rapporte moi qu’il est encore le fier soldat parvenu à sa position grâce à l’assurance de son épée et non pas l’objet du divertissement de quelques nobles haut-placés.

GARDE II Et avec l’héritière, ni plus ni moins. Il a le mérite de choisir à la fois la mieux placée, et la plus légère. S’il n’est plus guerrier, du moins stratège est-il resté.

RAVIEL Comment oses-tu ! (Il se lance contre le premier garde mais les autres l’arrêtent et le battent violemment. Le capitaine de la garde les arrête d’un geste et se met à genoux pour parler à Raviel, resté en sang au sol.)

CAPITAINE DE LA GARDE Peu importe, désormais, de ce qu’Adrian peut désirer. N’as-tu entendu les rumeurs qui courent ? La présence de Mérédith n’est pas le fait du hasard. Réfléchis, vois l’évidence ; vois comme son retour a mis à mal les plans de Vren, vois comme elle s’active à susciter le désir et la haine. Déjà des prétendants se sont affrontés, et pour la première fois depuis longtemps, on compte des agressions entre les hauts dignitaires de Lamleh. Et Adrian s’y est jeté après avoir fait échouer une campagne que n’importe qui aurait pu emporter. Nous n’avons pas intervenir, il est condamné par ceux mêmes qu’il a choisi de fréquenter. L’ennemi est déjà en nos murs. La seule raison pour laquelle il ne s’est pas encore fait égorger c’est qu’à notre pays il est devenu sans la moindre utilité. Mais ne t’inquiète pas au sujet de l’héritière. Nous avons reçu pour ordre de nous en occuper. Mais si on l’a retrouve dans les bras d’Adrian enlacée, qui sait, ce qui dans la confusion pourrait arriver ?

RAVIEL Qu’avez-vous fait, chiens ?

CAPITAINE DE LA GARDE Tu parles peut-être au futur général. Cela est vrai, s’appuyer sur les bons permet de se hisser. Nous faisons une épuration. Admettons-le : nous ne sommes plus ce que nous étions. Le corps des gardes est fissuré, enclin à piller. Les seigneurs n’ont plus le contrôle sur leurs armées, les nobles veulent l’indépendance et s’entretuer. Et notre peuple ne croît plus qu’en la menace de quelques gibets. Il nous faut remettre les justes à leur place. Refaire une armée de ceux encore capable de se fidéliser.

RAVIEL Traîtres, vous vous retournez contre votre général !

GARDE III Mais il n’y a plus de général. Il a déposé son titre, et avec, ses prérogatives. Cette fonction est désormais assumée par Ramaleh. Mais il y a bon espoir qu’il désire déléguer, et maintenant est le moment de se distinguer.

CAPITAINE DE LA GARDE C’est toi qui désormais nous empêche de procéder. Tu es le traître ici, Raviel. Mais je ne suis pas stupide au point de te condamner sans appel. Je connais ta vaillance, et ta fidélité est ce qu’il nous faut chercher. Mais tu ne veux regarder. À nouveau pense aux évidences, vois comme Adrian laisse Lamleh sans dirigeant pour son armée après l’avoir fait échoué. Tous nos ennemis réunis n’auraient pu nous mettre davantage à nu et en danger. Vren a été trop clément en le laissant vivant. Je n’ai pas la prétention de corriger ce jugement ; il y a bien trop en jeu pour moi à cet instant. Il faut une Lamleh purifiée ; je n’y aurai pas ma place si une cour martiale me menace. Mais qu’il ne se mêle pas à ce qui désormais le dépasse. Demain nous appartient. Penses-y. Tu as le choix, Raviel. Tu as toujours le choix. (Ils laissent Raviel seul, qui se redresse péniblement et reste immobile sans parler.)

SCÈNE XXXXI Wacian entre dans les quartiers de Mérédith. Il tient un linge rougie dans sa main blessée.

MÉRÉDITH Ta main ! Qu’as-tu fait ?

WACIAN Rien de grave. J’ai simplement renoué à nos traditions de sédition.

MÉRÉDITH Oh, Wacian. C’est un vin trop précieux à répandre, ce n’est pas de cette encre que tu dois graver tes messages.

WACIAN (Prenant son visage de ses mains.) C’est pourtant ce même vin qui t’a commandé loin de moi.

MÉRÉDITH (Se dégageant.) Je ne parle pas des sucs de l’hérédité mais du sang qui est tien.

WACIAN Il n’a de sens que sur tes lèvres. (Mérédith lentement porte la paume à sa bouche et l’embrasse à plusieurs reprises. Wacian l’enlace.) Ah, toutes ces fois où tu aurais dû être à mes côtés et où j’aurais dû me faire le pilier sur lequel t’appuyer. Toutes ces secondes que nous passons ensemble désormais ne sont pas encore assez. (Elle écarte les plis de sa tunique rouge et embrasse son ventre.) Il faudrait encore mille intensités, des soleils de folie à rouler sur mes langues pour rattraper si ce n’est qu’une de ses innombrables nuits perdues. Je veux que tous baisent le sol à nos pieds et disent : Voilà l’union inespérée à nous qui ne méritons pas l’amour, voilà les volitions du sacré faites chair, par la chair, pour la chair. Et sans perdre la noblesse qui est la leur.

MÉRÉDITH (Continuant à embrasser son corps.) Peu m’importe ce que pensent les autres de nos fiançailles ou de nos nuits, tout que nous nous avons mutuellement nous sommes notre propre domaine et que les fondations du monde s’écroulent nous n’en sentirons que de distants échos, comme les brises d’écumes depuis longtemps chargées contre les rochers.

WACIAN Mais je ne peux tolérer un seul royaume sur terre qui ne reconnaisse ton hégémonie, ni une seule aire qui ne reçoive en sa sève la marque indubitable de ton existence. Attends, ne parle pas. (Il place sa paume ensanglantée sur sa bouche.) Ce n’est pas seulement de toi et moi dont il s’agit, mais de tous ceux qui à chaque instant nous ont refusé. Tolérance et consentement sont semblable au crime. Je ne veux pas imprimer un énième décret ayant pour objet de te réhabiliter ; je veux que tous désirent et soupirent après ce fait.

MÉRÉDITH (La bouche en sang.) Et leur déclareras-tu la guerre s’ils décident qu’ils n’en ont rien à faire ? Mèneras-tu le siège contre chacun d’entre eux si tu ne tolères leurs aveux ?

WACIAN Tu vaudrais toutes ces campagnes et je voudrais que tu m’y accompagnes. (Il l’embrasse longuement, avant qu’elle ne se dégage.)

MÉRÉDITH Tu goûtes à ton propre sang. Laisse-moi panser ta plaie. (Ils se rapprochent de la fenêtre pendant que Mérédith fait un bandage à la main de Wacian. Ce dernier regarde au-dehors le tumulte de la fête qui s’étend plus bas.)

WACIAN Lorsque l’on nous prohibait l’extérieur et ses étendues, te souviens-tu. Lorsque nous dansions dans les landes, hors des veilles resserrées qui devaient paver les échelons de notre ascension. Tous ces stratagèmes, ces renouvellements de ruses qui n’étaient que trop rapidement éculés. Afin d’avoir ces brefs espaces, ces infimes fenêtres où nous pouvions nous suffire, loin des remparts et des gardes qui nous encerclaient pour faire fructifier les gains que nous représentions. (Elle se glisse dans son dos.) Mais nous sommes restés liés, malgré les tentatives de nous déraciner, d’endiguer nos croissances en des directions plus intéressées.

MÉRÉDITH Leur première et continuelle défaite, d’avoir envisagé la possibilité de notre séparation. (Elle l’enlace par derrière.) Combien de fois avons-nous fui dans ces steppes aux herbes hautes, frêles et cendreuses, comme des voiles que les lointaines lueurs de la ville ne pouvaient atteindre. Il n’y avait que le vide et le silence pour nous accompagner. C’est en ces instants que tu partageais les leçons qui convenaient à un futur monarque, à un futur chef de guerre. Toutes ces heures d’entraînement et d’études, à apprendre comment se servir de telle arme, à reproduire tel geste, telle manœuvre. Ces heures qui m’étaient refusées, mais que tu m’as apportées dans ces veilles où l’on nous pensait assoupis.

WACIAN Leur propre perte. Tu as toujours été meilleure escrimeuse que moi. Cela n’est jamais venu à l’idée de mes maîtres d’arme que j’échappais à leur vigilance pour perfectionner leur apprentissage. (Il soupire, silence, elle se penche à son oreille.)

MÉRÉDITH Tu sais, tu me dois toujours un duel depuis notre dernière entrevue. (Il se retourne.)

WACIAN Réellement, maintenant, de tous les moments ?

MÉRÉDITH Quelle occasion plus parfaite ? Ces lames, nous ne pourrons les emporter avec nous. (Elle les récupère, et lui en apporte une alors qu’elle garde l’autre. Il regarde la lame, son reflet pendant quelques instants.)

WACIAN Prête ? (Elle se met en garde, et il l’imite. Ils échangent des passes, s’affrontent de plus en plus témérairement, faisant l’un et l’autre montre de dextérité et de maîtrise. La tension de l’affrontement augmente jusqu’à devenir un véritable duel. Au détour d’une passe, elle le blesse, touche sa joue droite. Il recule, porte sa main à sa joue alors qu’elle se porte vers lui, l’épée encore à la main. Ils se font face sans rien dire, il retire sa main pour lui laisser voir l’entaille qui saigne. D’un geste délicat, elle porte la lame du prince contre sa propre joue droite, et le prince l’entaille à son tour. Ils se regardent, lâchent leurs épées et s’embrassent. Ils regardent sans mots dire par la fenêtre quelques instants.)

WACIAN Que la fête gronde. Les feux ont été lancés. Les installations carmines de Vren s’embrasent et se propagent selon son dessein. C’est une constellation incendiée qui maintenant pèse sur Lamleh.

MÉRÉDITH La cérémonie est pour ce soir. Es-tu sûr de vouloir te porter plus en avant sur cette voie ?

WACIAN Voudrais-tu te rétracter ?

MÉRÉDITH Il n’est besoin de tant de yeux pour voir la route empruntée par le pays. Aveuglément il s’y est avancé, et maintenant l’urgence a de trop loin précédé sa marche. L’épuration se fera. L’éclat que tu désires tant se fera avec ou sans toi. Toutes les sorties mènent sur un même sentier, la ville est trop avide de s’expulser. Si ce n’est la guerre, ce sera un soulèvement. Si ce n’est cela, un quelconque effondrement. La ruine a la capacité de toujours forcer de nouvelles fidélités ; ceux qui l’approchent s’en voient teintés, et petit à petit, deviennent la ruine même. Ses allégeances se forment sans contrat, sans paroles proférées. Tu ne feras qu’emprunter un chemin parmi tant d’autres menant à elle.

WACIAN Ma prétention n’est pas d’amorcer les ruées qui doivent arriver. Tu me vois plus conquérant que je ne le suis. Non, ma chère sœur, je n’ai qu’un plus humble désir. Je veux faire l’expérience de la ruine. Je veux le vertige, je veux approfondir les fissures. Martèle-moi, et écroule-moi. Pousse-moi hors de cette enveloppe de trépas. Je ne veux la paix. Je ne marcherais pas en triomphe. Mais je peux me répandre, nous répandre, et m’écarteler en des traînées de souffre. Disperse-moi, dissémine-moi. Offre-moi tous les mondes en effaçant mes propres frontières. Oui, de valable il n’y a que l’urgence, et l’alerte. Aucun état, aucun régime, aucune loi ni aucune cime. La lande redeviendra la lande. Et cette dispersion, je la souhaite à tous, je la veux à tous. Ce sera mon seul acte souverain : partager l’épuration. Il a fallu tant et tant de générations pour tomber jusqu’à nous, devenir ce que nous sommes. Nos ancêtres et lignées, sacrifiés pour que puissent exister ces quelques années. Notre sang doit s’arrêter avec nous. Car rien ne doit venir renouveler notre éclat. Ce qui arrive après, ne concernent que ceux qui y seront.

MÉRÉDITH Tous les suicidés sont des princes, mais l’inverse n’est pas forcément vrai. Ne confond pas résignation avec l’espoir de s’échapper.

WACIAN J’ai assez des plans, des attentes, de spéculer sur les hypothétiques fructifications de ce que j’ai planté. Peu importent les couronnes et les trônes si sans eux je ne peux me briser. Habitons notre domaine et poussons-le hors d’haleine. Et s’il nous faut survivre à ces débâcles, faisons du monde notre réceptacle.

MÉRÉDITH Et comment donc Wacian récupérerais le trône sur lequel siège sans y être Vren ? Tu sais aussi bien que moi que le palais est une toile sans fin d’où rien ne peut lui échapper ni l’atteindre. Il a prévu tous les assassinats et les attentats, s’est assuré de se garantir de son trépas. Vois comme il s’est voué à un carcan sous les apparences de la sécurité. Laisse-le tel qu’il est, ce serait la pire chose que tu pourrais lui apporter.

WACIAN Il y a pourtant quelque chose que tu ignores, ma sœur. Vren a jugé, étudié, et fantasmé chacun de ses sujets. Il leur a offert une place, une case assignée dans une ruche mentale où toute chose est ordonnée. Les éléments de surprise ont subis les assauts du temps, et prenant l’accoutumance pour la connaissance, il les a recalé hors de son plan. Le froid de ses tempes s’est porté à tous, et de moi-même je ne peux le provoquer ; son jugement à mon égard est par trop arrêté, et toutes mes potentielles actions ont été planifiées, avec pour chacune une réponse adéquate de préparée. Mais toi, tu viens d’arriver. Il n’a pas encore réussi à t’amputer. Il n’a pas encore de catégorie a t’imposer. Ne m’as-tu pas dis que tu devais le fasciner ? Invite-le. Fais lui parvenir le message qu’il ne se sait espérer. Celui où tu lui demanderais de passer un instant à tes côtés. Tu es la rupture de ses calculs, l’ignition de ses pulsions. L’antique vestige redoute le lierre qui est venu fleurir au creux même de ses interstices. La cérémonie du meurtre de notre père est proche. C’est là, dans ce maelstrom de confusion, qu’il nous faudra porter notre action. Sa curiosité est trop fort un appel pour qu’il se montre rebelle. Il me pense hors de l’équation, il n’escomptera pas que je l’attendrais, une épée prête à l’action. Et ainsi s’écroulent toutes ses édifications, avec la simple mention d’un nom.

MÉRÉDITH Où voudrais-tu que je le fasse venir ?

WACIAN Là où nous avons toujours été. Il doit s’écrouler au seuil de ce qui nous a toujours rassemblé. Aux pieds de notre figuier.

MÉRÉDITH Notre figuier… Souhaites-tu donc tant te porter à cette porte-ci ? Nous pourrions partir, faire naufrage en un autre pays.

WACIAN La toile de Vren ne se limite pas à la seule Lamleh. Et les seigneurs étrangers ne seraient que trop peu enclins à nous laisser en paix. Non, c’est ici qu’il nous faut tenir notre position, et voir sur qui tombera le couperet de l’exécution. Je ne te condamnerais pas au froid et à la famine, à dériver seule dans des ruines, en choisissant la voie de la fuite. (Mérédith, terminant le bandage, ferme les yeux quelques instants. Elle prend la main de Wacian et la porte à son visage.)

MÉRÉDITH Alors convoquons ensemble la rupture de cet âge.

WACIAN Et jamais nous n’oublierons notre adage. Tout qui est hors de toi n’est qu’un mirage. Mon amour pour toi n’a d’égale que ma rage, et l’un comme l’autre je te les offre en mariage.

MÉRÉDITH Cesse de parler. Profitons de ces quelques instants qui seront potentiellement les derniers.

WACIAN Ne perd pas espoir, ils peuvent bien être les premiers. Et nous aurons toujours l’un et l’autre pour pouvoir nous réfugier.

SCÈNE XXXXII

Adrian se tient à genoux dans une chambre vétuste, face à une riche armure posée sur un mannequin. Elle est faite de métal gravée, le casque forme une face léonine en argent d’où l’on ne peut voir ce qu’il y a en dessous, et de hautes plumes rouges le surplombent. C’est le seul mobilier, en plus d’une table et d’un lit sommaires. Adrian tire un poignard rustre, et s’entaille les côtes en de lentes stries.

ADRIAN Mord la chair, grave ton ardeur séculaire. Fais de moi le phare des descentes et l’appel insulaire. Rachète le passage à vide de ces années avides. Non, elles n’étaient inutiles, nécessaires dérives pour me ramener sur ton chemin une nouvelle fois gracié. Et incendié. Et encensé. (Il s’ouvre à nouveau le flanc.) Et engravé. (Quelqu’un frappe à la porte.) Qui est-ce ?

RAVIEL C’est moi, général. Raviel. (Adrian enfile précipitamment sa chemise.)

ADRIAN Entre, Raviel. (Raviel entre, presque hésitant, regardant la pièce.)

RAVIEL C’est donc ici que désormais vous vivez.

ADRIAN L’endroit importe peu. C’est ce qui s’y passe qui doit retenir ton attention.

RAVIEL Un soldat tel que vous ne devrait avoir à vivre dans une chambre en un tel état.

ADRIAN Tu vois cela ? (Pointant vers l’armure posée sur le mannequin.) C’est l’armure que Vren voulait me faire porter pour l’anniversaire du roi. Je l’ai emporté avec moi pour me souvenir de ce qu’a été ma honte. La richesse n’est pas dans les possessions. (Quelques instants.) Qu’est-ce qui t’a fait venir ici, Raviel ?

RAVIEL Général, on attente contre vous.

ADRIAN Tu ne m’apprends rien de bien surprenant.

RAVIEL Je ne parle pas d’éventuelles menaces ! Les gardes pensent Mérédith l’agent de l’ennemi et vous pensent son objet, ayant trouvé son support intéressé après l’échec de notre dernière campagne. Ils ont l’attention ferme de se débarrasser d’elle et, s’ils le pouvaient, vous avec !

ADRIAN Mérédith ! (Il rit.) Comme tu avais raison. Il faut se montrer digne des passions que l’on suscite. (Quelques instants. Il se tourne vers Raviel.) Je ne suis plus ton général, Raviel, tu le sais. Mais es-tu encore sous mes ordres ? (Raviel met un genoux à terre.)

RAVIEL Je n’ai jamais cessé de l’être. Commandez-moi, et j’exécuterai ceux qui veulent vous mettre à bas.

ADRIAN Je te sais cette fidélité. Mais n’essaye pas de les affronter, c’est un combat que tu ne pourrais gagner. Tu es seul, et eux ont l’ensemble des casernes partageant contre moi une même haine.

RAVIEL Nous ne pouvons pourtant pas ne rien faire !

ADRIAN Non, tu as raison. Mais nous ne pouvons contenir les flots de toutes les garnisons. (Il regarde l’armure cérémonielle.) Ah, Mérédith. Il est temps de conclure ce qui a été commencé. Je suis digne désormais de me porter à ces extrémités sans me défier. (Quelques instants.) Raviel, veux-tu, pour un soir, être le général des armées ? Ne crains pas. Ces hommes, je les connais. Ils n’oseront jamais ouvertement se porter contre moi, pas s’ils sont absolument sûrs de gagner mon trépas. Mais je ne peux garantir cela pour l’héritière, et la sauver est la priorité première. C’est la mission à laquelle je te veux participer.

RAVIEL Mais, votre propre vie, et ces hommes qui jusque-là vous ont suivis.

ADRIAN L’une comme les autres n’ont que peu de poids dans cette intempérie. Remets-en toi à moi pour ce qui est de la survie, et fais ce que je te dis. Mérédith ne doit pas par de moindres hommes être tuée. Fais en sorte qu’elle rejoigne en sûreté le figuier dans les appartements du prince, là où je l’attendrais. Au-delà de ça, c’est à moi de m’en occuper. (Quelques instants sans réponse.) Refuses-tu ?

RAVIEL Non, général. Je ferais selon ce que vous ordonnez.

ADRIAN Et ce sera là ta fierté. Dresse toi, ami, regarde-moi comme de ceux qui partagent de plus profondes envies. Agis lors de la cérémonie, la confusion de cette célébration sera notre meilleure protection. Sois-prêt, ai le pas assuré, et tu seras le frère que jamais je n’ai pu embrasser. (Adrian sort et laisse Raviel seul.)

RAVIEL Et dire que fût une époque où il était le meneur indéniable. Le métal qui plongé au cœur même du feu n’en brillait que davantage. Et maintenant qu’il est réduit au désir de moindres hommes, je ne peux que voir ses images sous cette lumière nouvelle. Suis-je devenu à ce point bileux pour croire que mon admiration est moins le fait de son objet que de son propre engouement. Il n’y a plus d’aura. Il n’y a plus de mystique. Éléments, forces inertes et symboles du monde, négateur des âges. Je n’ai pas l’intention de vous adresser mes prières. Je n’ai nul besoin de votre aide ni de votre muette approbation. À vos puissances je refuse de porter mes invocations. Je rejette toute chose qui du temps ne considère l’essor. La rigidité est la mort. Je n’accorde ma confiance qu’à l’efflorescence, mon respect qu’à la vélocité. Qu’est-ce que ma main, sinon un assemblage de cartilage voué à la dissolution ? Que sont ces articulations face aux monuments de pierre qui ont enduré de la terre toutes les révolutions ? Pourtant, cette main je peux plier ; c’est là sa supériorité. Par cette simple contraction, de la pression de mes doigts cette action, je décide. J’agis, là où le sommeil élémentaire, seigneur pluriséculaire, ne peut que me feindre. Une simple commande de mes ligaments, et l’univers échoue là où j’accomplis mon indépendance. (Quelques instants. Il regarde l’armure.) Alors, pourquoi ce doute ? Pourquoi cette dévotion que je lui ai voué, mon aveugle respect, aujourd’hui me fait défaut ? Est-ce que ma fidélité était moins indiscutable, qu’indiscutée ? Ne l’as-tu pas vu, éclatant, sur le champ de bataille ? Ne t’a-t-il pas sauvé la vie une dizaine de fois, et pour les trois quarts au moins, de sa propre main ? Tout ce que je sais, je lui dois. Tout ce que je suis, je le suis en son exemple. Brûle en moi la ferveur et cette volonté de toujours exiger de moi le meilleur, mais à côté, à côté se tient comme un charbon d’eau noire qui refuse de s’évaporer. Il me pèse, il m’empoisonne. Il pourrit des racines que je pensais inatteignables. Je ne vois plus sa légende ; je comprends désormais les actions d’un simple soldat doué. Ce ne sont plus les éclats d’interventions inespérées, mais le résultat d’une stratégie sagement calculée. Les autres auraient-ils raison ? (Il se redresse.) Non, non. À cette même question chacun a du se confronter, et je sais désormais qu’il ne me faut plier. Peu m’importe, s’il est tombé. Peu m’importe, si le devenir de ses hommes il a abandonné. Peu m’importe, si pour le général il n’existe plus d’armée. Peu m’importe, s’il se laisse ainsi insulter. La véritable loyauté ne se permet pas d’estimer la valeur de son objet. Si ce n’est que par gratitude je lui dois toutes mes années futures. Pour tout ce qu’il a fait pour moi, je me dois d’obéir à son désir, ne jamais remettre en question ce qui fait de lui le général et moi le soldat. Là la faute des autres, là le déficit dans leur foi. (Il se place face à l’armure cérémonielle.) Tu as le choix Raviel. Tu as toujours eu le choix. (Il retire le heaume sur le mannequin et le regarde.)

SCÈNE XXXXIII

La première partie de la cérémonie. Grande procession sur la scène où sont plantées des lances jointes entres elles de rubans rouges. Y défilent des bêtes de sommes bovines, habillées de tentures aux couleurs carmines, ainsi que des hommes et des femmes dévêtus, couverts de suie comme des peintures rupestres, et portant des masques de taureau, ou bien des diadèmes supportant un brandon allumé. Tous avancent de façon lancinante au rythme de percussions et d’instruments à vents. Certains dansent, d’autres portent de lourdes charges sur leur dos et continue malgré leur peine. Ils défilent ainsi devant un grand chariot immobile posé sur des piloris dont le contenu est voilé d’une grande couverture de velours bordeaux.

DANSEUR I Le prince a rejoint la pierre ! Le prince a rejoint la pierre !

DANSEUR II Retiré sous les tours séculaires, sa méditation prendra sur elle nos destinations les plus amères !

DANSEUR III Pour nous laver de notre mal il a renoncé à la chair de son père !

DANSEUR I Le prince a pris la route de l’ascèse ! Il nous a refusé son visage afin que tous puissent continuer de voir !

DANSEUR II Chantez, chantez le prince dévoué, le sacrifié aux ramures dorées ! Il y a peu il s’est éveillé, pour la première fois il a pu nous parler ! Et posant sur nous son regard voilé, il a su que nous n’étions pas prêt !

DANSEUR III Venez entendre l’histoire la plus au soir, celle que l’on raconte au seuil des fins les plus fécondes. Dansez, et célébrez la tristesse d’un continent oublié.

DANSEUR I Faites venir l’exuvie ! Ce soir, ce soir, accouchons-nous d’un nouvel espoir ! La capitale a trop longtemps résisté à ce qui devait lui arriver, il nous faut maintenant nous y précipiter ! (Entre plusieurs danseurs qui portent chacun le segment d’un grand serpent couleur de cendre, désarticulé et fumant par divers plaies de son corps. Son visage sans yeux et maculé d’une poix épaisse et sa bouche ouverte expulse continuellement de ce liquide. Le corps serpentin se déplace en rythme le long de la scène et autour du grand chariot selon une chorégraphie ordonnée entre chacun des danseurs.) Les veines pétrifiées se sont ouvertes ! Le sang vitrifié a terminé de ronger ! La mue enfin sera complétée et par averses nous saurons nous y porter ! (Des danseurs suivent les mouvements du serpent et avec de grands tissus sombres viennent l’habiller ou attiser les fumées qui s’expulsent de son corps.)

Danseur II Rassemblez-vous, avatars du dégoût ! De cette tristesse nous iront au bout ! Buvez-vous dans l’altérité, franchissez tous les précédents paliers. L’incendie, de deux points, saura se propager ! Ce qui commence avec le monde, dans les yeux s’est déjà répercuté ! Loué sois le mort en droit ! Loué sois le mort en droit !

SCÈNE XXXXIV

Wacian se tient près du figuier planté sur la terrasse de ses quartiers, non loin des bibliothèques.

WACIAN Mérédith, mon éveil et mon phare. Ta lumière me porte à toi et me plonge au plus bas. Comment me départir de toi pour avancer, et comment t’honorer si je ne puis seul m’exprimer. (Il passe lentement sa paume sur le figuier.) Que cet arbre nous est tutélaire. L’icône de nos premiers adages, là où se confirmait ce qui de tout temps nous avait lié. Si l’industrie vitale de mes artères devait avoir un son, ce seraient les soupirs que sous ces branches nous partagions. Combien de fois m’y suis-je recueilli, aux plus profonds rivages de l’atonie. Sans cet arbre suis-je encore seulement en vie. Pourtant, pourtant, cette existence m’est une insuffisance, et je ne saurais en guérir les carences si je persiste sous cette même contenance. Ta vie et la mienne Mérédith mêlées à l’écorce à force de nos ébats précoces. Sans jamais de noces, quand bien même de toutes les lois nous serons plus véloces. Il me faut arracher la cosse, endiguer la moisson atroce. Avant que cette destinée incendiée ne soit réalisée. Mais il me faut réduire les rêves, un à un. Exciser leur aura délétère, retirer ce poison fait sanctuaire. (Quelques instants.) Sous ce figuier encore se trouvent les arômes d’accalmies passées et ses fruits, de cire à jamais, me seront le fanal duquel je dois m’éloigner. Toute joie, tout plaisir et réconfort ; je ne peux y prétendre, ni y aspirer. Ma seule option est de m’en faire le guide inversé, et mener à bien cette nuit qui doit saper jusqu’aux plus profondes racines de sa chute. Oubliez-moi, et effacez-moi, afin qu’il ne reste que l’abrasion de cet ultime éclat. Et si personne ne veut le faire, je serais le flambeau cinéraire. (Il tire le brasero allumé jusqu’à l’arbre) Je serais alors le plus ancien des morts, conducteur de la ronde, abjureur des ondes ! Et notre procession, telle claudiquante assemblée, de poussières et cendres mêlées, à l’oubli devra s’en aller. (Il se tourne vers le figuier.) Non, gardien de mes souvenirs, sommeillant inconscients sous tes rivières de résine. Je ne peux plus me tourner vers toi. Elle n’est plus, et plus n’est rien. Je ne peux t’emporter où je vais, je n’ai pas le temps de me voir freiné par le poids de ces images adulées. Mais toute flamme n’est forcément fureur, et les adieux sont parfois pour le meilleur. (Il pose ses mains sur l’écorce.) En toi se trouve le dernier réceptacle de mes meilleures années, et de toutes nos intimités fébrilement partagées. Tu as déjà tant de rivé sous ton écorce ; prends donc encore. Prends mon cœur, prend la mémoire qui précède cette nuit. Tout ce qui de moi faisait encore Wacian, prends-le, sauvegarde le jalousement dans ton bois séculaire. Ce corps que tu vois, est appelé à partager du fer le froid. (D’une main, il renverse le brasera sur les racines qui lentement prennent feu.) Prends tout ce que je t’offre, et consume-le hors de cette terre. Tes braises auront davantage de place dans les airs. Disperse-les, et par là, disperse-nous. Comme nous l’avons toujours rêvé, alors que nos mains étaient liées par des entraves trop lourdes à porter. Et peut-être qu’un jour, par-dessus les landes et jusqu’aux creux des vallons, tes brises porteront notre chanson. (Il se retourne alors que le feu grandit.) Mais de cela je ne peux participer ; ce qu’il me reste d’un autre feu doit s’immoler. À moi, maintenant, la ruine et le dénouement. Il n’y aura plus que cette autre incandescence pour battre l’acier neuf. Et lorsque les impacts reçus sur l’enclume cesseront, que la forme noire sera complète, il nous sera permis de siffler toute notre intensité. Et de nous enliser, sous des sommeils de plomb. Laisse le vide venir à nous. Laisse le ramper jusqu’à notre cou. Hurlez, poussières mordantes, j’ai frappé votre nom dans mes os comme sur enclume. À mes convocations maintenant se rendent comme des processions et vos ruptures sont les fanaux qui pavent mone exhumation. Brûle, sommeil, brûle. J’ai tant rêvé d’incendie que le monde ne peut pas ne pas s’en voir pollué. Écume, répand, mon abhorrence la plus complète. Je suis maintenant le plus ancien des morts.

SCÈNE XXXXV

Mérédith cherche dans ses appartements jusqu’à trouver une de ses servantes.

MÉRÉDITH Suivante.

SUIVANTE Oui, maîtresse ?

MÉRÉDITH Prend ma chevalière, et hâte toi de l’apporter à Vren. Dis aux gardes que tu portes un message de ma part, montre leur le symbole s’ils ne veulent te croire. Et dis au seigneur-régent, que sous les branches du figuier, Mérédith seule l’attend.

SUIVANTE Ce sera fait selon vos ordres, maîtresse.

MÉRÉDITH Attends. (Quelques instants.) As-tu vu Adrian ces derniers temps ?

SUIVANTE Non, maîtresse. Cela fait un moment qu’il ne s’est pas présenté à ces appartements.

MÉRÉDITH Bien, ça ne fait rien. Pardonne mon laconisme aujourd’hui.

SUIVANTE Vous n’avez besoin de parler pour que je puisse vous comprendre.

MÉRÉDITH Maintenant prend garde, douce amie. N’ai crainte, et reviens moi entière. (Elle lui caresse le bras, et sa suivante lui sourit avant de partir.)

SCÈNE XXXXVI

La seconde partie de la cérémonie. Vren apparaît, maculé de suie, habillé de fourrure aux épaules et aux hanches, torse nu et tenant sa lance en main. Il se tient devant le chariot doré et fait tirer les plis de la couverture pour exposer une dépouille desséchée mais vêtue royalement, tranchant avec l’obscurité de la peau momifiée.

VREN Loué soit le mort en droit ! Loué soit celui dont on ne revient pas ! Son sang extrait, notre royaume abreuvé, levez les brasiers ! Une fausse aurore pour une véritable mort, venez partager une fois de plus le calice indolore. (Vren empoigne des deux mains la lance et la plante profondément avec effort dans le torse du cadavre. Du sang s’écoule de la plaie et se répand en rivières sur la peau desséchée, jusqu’à tomber en filets du chariot sur le sol en contrebas. Les membres de la procession s’y pressent pour le récolter de leur paumes jointes.) L’orage, l’orage est dedans, rompt les diluves de nos terres effacées. Croulent les édifications les plus au soir, nous serons du matin la provocation ! Loué soit le mort en droit ! Loué soit le mort en droit ! Nous qui descendons de lui, qu’à travers nous il prolonge sa vie. Aux âges de nos artères vouées aux pierres nous retournons vers l’ardeur séculaire. Nous sommes les volitions premières, nous sommes les arcanes primaires ! (Des danseurs viennent en portant des cruches sur leur tête, remplies de vin, qu’ils mêlent à du sang et partagent à tous.) Notre prince est retourné à la pierre ! De son propre vouloir il a choisi la voie amère ! La seule manière de briser le cercle, de ne pas se voir devenir l’énième prophète ! Le prince absent le trône n’est pas vacant, car dans son départ il nous offre ce qui l’a maintenu si longtemps dans les fraîcheurs de l’enfance ! Qu’importent les descendants, éternel est son héritage ! Et pour toujours il sera voué à l’édification de Lamleh, lui qui dans son sommeil renouvelé a fait en sorte de devenir le garant de notre avenir ! Le prince toujours sera de cette cité la couronne et la royauté ! Et tous les rois accepterons de sa tutelle et la marque et la loi ! Noyons l’ivresse ! Renouvelons notre présence en cette forteresse ! Écroulons les pensées devant lesquelles nous reculons ! Embrassons de notre origine les tréfonds ! Nous avons oublié que de l’aube nous étions le pilier, de son éclat les héritiers ! Loué soit le mort en droit, qu’à jamais il reste roi ! En chacun de nous sa couronne rougeoie. Nos rides sont placées sur l’enclume des traditions, nos coutumes et nos langues embrasent l’horizon. Constellation incendiaire, consumant les breuvages amers ! Que cette nuit soit de l’ancienne Lamleh la dernière ! Nouvelle naissance, baptisons-nous selon les modalités de cette finale émergence ! Qu’à jamais vers Lamleh nous soyons retournés, qu’à jamais en ces terres puissions-nous rester ! Car telle notre lande, telle notre foyer ! Tel notre nom et tel notre creuset ! Dansons le sommeil du prince dévoué ! Dansons la torpeur du prince transfiguré ! Il abandonne ce carcan de chair limitée pour nous permettre lors d’un nouvel âge de nous élever ! Tous les rois sont un au travers de sa main, l’éolienne de ses doigts de notre souveraineté sera le beffroi !

SCÈNE XXXXVII

Wacian entre dans les quartiers de Mérédith, vêtu d’une longue tunique de soie d’un rouge agressif surmontée d’un plastron et de pièces d’armures de métal sombre. Un masque de métal nimbé de plumes écarlates cache son visage.

MÉRÉDITH Tu arrives à temps. Le message à Vren est envoyé.

WACIAN Bien. Je l’intercepterai sur le chemin. Il est l’heure désormais. Peut-on me voir sous ces atours ?

MÉRÉDITH Non, tu es entièrement caché.

WACIAN Alors, partons participer à la fête. (Wacian déguisé tend son bras à Mérédith, sortent de leurs quartiers et sont immédiatement surpris par des célébrants de la cérémonie du roi et les gardes envoyés par Vren. Certains des célébrants attroupés retiennent Wacian pendant que les gardes se rapprochent de Mérédith, qui reste parfaitement immobile.)

WACIAN Imbéciles, relâchez-moi ! Je suis votre prince !

CÉLÉBRANT I Comment oses-tu te comparer à notre seigneur, blasphémateur !

CÉLÉBRANT II Notre prince a rejoint la pierre, s’est logé dans ses entrailles pour de sa chair nous communiquer l’élan vital !

CÉLÉBRANT III Loué soit le mort en droit ! Il n’y a plus sacré que notre roi !

WACIAN Gardes ! Gardes ! Intervenez !

CAPITAINE DE LA GARDE Nos ordres ne considèrent que les héritiers. (À un des gardes.) Va voir où en est le groupe devant voir le Prince. Dis-leur que nous avons la princesse.

GARDE Bien, capitaine.

WACIAN Non-sens ! Retirez mon masque et regardez-moi ! (Son masque est arraché.) Ne me reconnaissez-vous pas ? Ne reconnaissez-vous votre prince ? (Les célébrants rigolent.)

CÉLÉBRANT I Monstre de prétention osant te comparer, tu n’as pas les moyens de ton ambition. Qui a jamais vu le visage de notre prince ? Il est l’ascendant de l’aube ! Sa simple vue nous aveuglerait !

CÉLÉBRANT II Profanateur, n’as-tu jamais assisté à sa cour ? N’as-tu jamais vu comme il impose le voile épais pour nous séparer et ainsi nous protéger ? Afin de se mêler à nous il doit recourir à ce procédé ! Notre seigneur ne dirigera point des aveugles !

CÉLÉBRANT III Piètre amant, menteur concupiscent, d’une sœur impure tu n’es que le supplémentaire soupirant.

CÉLÉBRANT II Et pourquoi ne pas la prendre elle ? Vouer son sang à la roche qui a avalé notre prince ? Elle n’a fait qu’empoisonner et souiller le sein de Lamleh !

CÉLÉBRANT I Et son frère, l’astre confirmé, sans hésiter s’est détourné pour se sacrifier tandis qu’elle continue de jouir de sa notoriété. Est-elle seulement de sa parenté ?

MÉRÉDITH (Restée impassible jusque-là, elle parle avec calme.) Pourquoi ne pas vous approcher pour le constater ?

CÉLÉBRANT III Usurpatrice, sifflante envieuse. Ce serait accomplir notre destin d’unité que de t’écarter. Si de notre prince qui pour nous s’est oublié tu es bien la sœur, il ne serait que trop juste que tu partages sa torpeur. (D’autres célébrants s’avancent, armes en main. Les gardes s’interposent.)

CAPITAINE DE LA GARDE Assez ! Je vous interdis d’approcher. La princesse est sous la perquisition du seigneur-régent. Reculez, ou vos langues goûteront la saveur de cet acier. (Les célébrants s’agitent, encore plein d’animosité, grognent des insultes contre les gardes.)

CÉLÉBRANT I Pilleurs, violeurs. Les agents de la ruine qui nous accable, vous tranchez les liens qui devraient nous être tous communs.

CÉLÉBRANT II Rejets d’armées bafouées, hérauts des échecs répétés, bons qu’à s’imposer face à ceux dont ils se savent mieux armés.

CÉLÉBRANT III Gâchis de l’air, grands absents des dons héréditaires, honte de toutes nos mémoires militaires. (Le capitaine dégaine.)

CAPITAINE DE LA GARDE Silence ! (Raviel, habillé de l’armure cérémonielle d’Adrian, entre.)

RAVIEL Range immédiatement cette épée si tu ne veux t’y voir empalé.

WACIAN Adrian ?

CAPITAINE DE LA GARDE Adrian ? Que faites-vous ici ?

RAVIEL Les ordres ont changés. La princesse est désormais sous ma garde. (Les célébrants reculent, intimidés, mais ne relâchent pas Wacian.)

CAPITAINE DE LA GARDE Vous n’êtes plus général, de quel droit-

RAVIEL Fais silence ! J’ai suffisamment toléré ton insolence. Ta loyauté et ta valeur laissent à désirer. Il n’y aura d’autres avertissements. (Raviel s’avance vers Mérédith, et les gardes s’écartent pour lui laisser libre passage.)

GARDES Général. (Le capitaine de la garde le regarde stupéfait et, le voyant empoigner Mérédith, se précipite dans son dos pour le poignarder. Les gardes reculent, comme hébétés, et les célébrants perdent toute contenance. Le capitaine respire avec violence alors qu’il regarde Raviel tomber, encore la force de se tenir quelques instants.)

CAPITAINE DE LA GARDE Alors voilà le crible de nos exploits, le prisme par lequel l’armée se voit ? Nos défaites s’expliquent désormais, et il était plus que temps de nous en laver. Nous n’avons besoin de général, nous n’avons besoin que de la nécessité de notre idéal. (Wacian profite de la confusion pour se dégager et empoigner l’épée du corps écroulé de Raviel. Il se précipite sur l’un des gardes pour l’empaler. Les autres se jettent sur lui pour le dégager et commencent à le battre violemment au sol. Mérédith voyant cela pousse un cri, et se jette sur le capitaine de la garde pour arracher son épée de son fourreau. Elle entaille profondément son visage avant qu’elle ne soit arrêtée. Les célébrants quittent la scène en courant.)

CAPITAINE DE LA GARDE Ah ! Chienne ! (Il frappe brutalement Mérédith de son poing, et deux gardes l’immobilisent en tenant fermement ses bras dans son dos. Son nez et ses lèvres saignent.)

WACIAN Je vous interdis de la toucher ! Laissez-la hors de tout cela !

GARDE (Le garde écrase sa tête contre le sol.) Silence ! (Un autre garde donne au capitaine une étoffe qu’il applique contre son visage blessé. Il pousse des râles de douleur et de colère.)

CAPITAINE DE LA GARDE C’est vrai ce que l’on dit, tu mords ! Cela rendra les choses intéressantes, de me donner un peu d’effort. Attachez-le. (Les gardes attachent les bras de Wacian dans son dos alors qu’il se retrouve sur le ventre.)

GARDE Capitaine, débarrassons-nous du témoin et emportons-la selon nos ordres. La cérémonie est sur le point de commencer, il faut rejoindre les autres à temps.

CAPITAINE DE LA GARDE Silence ! C’est moi qui dirige cette opération, est-ce clair ? Toi, toi, et toi, prenez les corps. Ramenez Adrian au fort, le régent voudra le voir.

GARDE Êtes-vous sûr ?

CAPITAINE DE LA GARDE Combien de fois dois-je me répéter !

GARDE À vos ordres, capitaine. (Trois des gardes emportent avec eux les corps de Raviel et du garde tué par Wacian. Il ne reste que deux gardes tenant Wacian et Mérédith ainsi que le capitaine. Ce dernier jette l’étoffe avec laquelle il pansait sa plaie, secoue la tête en s’approchant de Mérédith et regarde vers Wacian.) Elle t’a donné autant de mal, hm ? Avoue le. Raclure et pâle imposture, tu goûtes à ce que tu n’aurais jamais du si ce n’est que regarder. Mais ne sois pas trop égoïste ; après tout ce soir nous devons nous unifier. Ce qu’ont pu t’offrir ces cuisses, il te faut maintenant le partager. (Il passe sa main contre sa robe. Mérédith crache au visage du capitaine et ce dernier frappe dans son ventre, la faisant se plier de douleur. Le garde qui la tient la laisse respirer avant de la redresser.)

WACIAN Non ! Mérédith ! Mérédith ! Lâchez-moi ! (Le garde frappe dans les côtes de Wacian avant qu’il ne puisse continuer. Le capitaine de la garde caresse la joue de Mérédith.)

CAPITAINE DE LA GARDE Il est temps maintenant de te distinguer, toi qui trop près du feu à voulu jouer, et qui prend tant plaisir à provoquer. Fais donc honneur à ta réputation, et donne-nous de l’ennemi les prémisses de la capitulation. (Wacian tente de se dégager, parvient à bousculer un garde avant de nouveau se faire écrouler, se rapprochant de Mérédith.)

WACIAN Je vous tuerai, je vous éventrerai ! Lâchez-la, lâchez-la immédiatement !

CAPITAINE DE LA GARDE (Faisant un signe de tête au garde tenant Wacian par terre.) Musèle-le. (Le garde force une lanière de cuir dans la bouche de Wacian qu’il tient fermement de ses deux mains, dressant sa nuque face à lui.) Force-le à regarder, je veux qu’il voit vraiment de qui l’amant il est. Quant à elle. (Il déboutonne sa ceinture.) Maintient-la sur le ventre, écarte ses jambes. Cette cérémonie, il me faut l’inaugurer. (Il se place et s’apprête à violer Mérédith, déchire sa tunique alors qu’elle essaye en vain de se débattre. Wacian tente de se libérer mais le garde tient fermement la lanière de cuir, l’empêchant de bouger. Le rideau se baisse alors qu’on entend les cris de Mérédith et les hurlements muselés de Wacian.)

SCÈNE XXXXVIII

Deux gardes se rencontrent précipitamment dans un couloir. L’un tient attaché la servante de Mérédith, l’autre porte Wacian évanoui sur son épaule.)

GARDE II Où est l’héritière ? N’étais-tu pas avec le capitaine ?

GARDE I Il a ordonné de le laisser seul avec elle, et nous a envoyé poursuivre l’épuration, pendant qu’il se vouait à ses propres distractions. Peu importent, nous trouverons notre lot dans la ville. Avez-vous trouvé le prince ?

GARDE II Ses appartements sont vides et il n’y a nulle trace de lui.

GARDE I Où peut-il se trouver, qu’on n’en finisse. Rien ne se déroule comme prévu. L’on pensait avoir tué Adrian et s’être débarrassé d’un de nos ennemis. Mais le casque retiré, nous avons vu que c’était Raviel qui avait été occis. Qui sait où l’ancien général peut se trouver. Sois en alerte. (Pointant vers la servante aux mains attachées.) Qui est-elle, pourquoi l’emmènes-tu ?

GARDE II Une servante de l’héritière. On l’a intercepté auprès des quartiers de Vren. Elle disait porter un message au régent ; il était facile de voir la tentative de guet-apens. Mieux vaut prévenir que guérir. On doit l’emmener avec les autres aux bûchers. Elle aura la chance de se consumer entièrement aux côtés de l’illuminé.

GARDE I Ne devait-il pas rester enfermé ?

GARDE II Un témoignage de dernière instance, prouvant qu’il intentait contre la régence.

GARDE I Bien. L’on verra si le bois se consumera avec autant de véhémence que lui lors de ses publiques remontrances. Vren fait les choses en grand cette fois-ci.

GARDE II Je ne sais d’où l’ordre vient, je ne fais qu’obéir à ce qui directement m’est dit. (Pointant vers Wacian muselé et évanoui.) Et qui est-il ? Doit-il aussi rejoindre les bûchers ?

GARDE I Oh, non. C’est l’amant de Mérédith. Il est tenace, il a tué un des nôtres avant qu’on ne puisse l’immobiliser. Il a essayé de s’en sortir en se passant pour le prince. Le capitaine lui épargne les flammes pour une agonie plus longue. « Il aime tant le pays qu’il veut se présenter comme son commanditaire. Retournez-le donc vif à la terre. Une fosse anonyme pour celui qui usurpe d’un autre le patronyme. » Là ses mots.

GARDE II Et les gardes, les gardes qui nous ont affrontés ? Il m’a fallu prendre les détours les moins usités pour arriver jusqu’ici.

GARDE I Il y a encore du fratricide au fort. Machinations de l’ennemi, hérauts de la jalousie, qu’importe les raisons de la trahison. J’ai quitté un massacre incestueux, où des frères hier encore se vouaient l’un et l’autre jusqu’à la mort. Maintenant il n’y a que la haine, et un même uniforme contre lui dégaine. Mais les nôtres sont plus en nombre, et nous saurons l’emporter sur ces chiens immondes. Nous tenons déjà la ville. Terminons ici, et le reste en sera déjà plus docile.

GARDE II C’est bien. Nous pouvons profiter, mais l’aube pourrait bien vouloir se venger. Il nous faudra effacer les traces du crime. Nous ne pouvons nous permettre un seul écart alors que nous sommes si proches de la cime.

GARDE I Tu regardes au loin et tu lis mes pensées. Une fois terminé, nous irons enterrer Raviel avec les autres, et une fois que nous aurons unis tous nos ennemis dans cette étreinte sacramentelle, nous l’y placerons aux côtés d’Adrian. (Des clameurs d’alertes se font entendre, et on voit de nombreux gardes se précipiter derrière-eux. Des lueurs d’incendie rougeoient avec force sur toute la scène.)

GARDE III Le fort est en feu ! Le fort est en feu !

GARDE I Comment ? (Les deux gardes se précipitent au bord de la scène, et regarde au-dehors.) Comment un tel incendie a-t-il pu prendre ? Toutes les installations de la cérémonie étaient sécurisées !

GARDE II Ce n’est pas le point de départ du feu ! Regarde ! Le haut du fort !

GARDE I Seigneur, qui a pu immoler les appartements des héritiers ? Tout le château va y succomber !

GARDE II Nous n’avons pas le temps ! Laisse à ceux concernés la débâcle des éléments ! Nos ordres sont bien plus importants.

GARDE I Tu as raison. Menons à bien ces missions, toi la conduisant aux bûchers, et moi allant l’inhumer. Nous nous retrouverons après pour aviser. (Ils acquiescent et se séparent, chacun avec leur otage.)

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