3 - Les traîtres !

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Au bout d’une heure, elle se décida à retourner dans le bâtiment où leurs hôtes les avaient fait entrer. Tous étaient attablés, membres des dragons et hôtes mélangés, des gardes postés derrière les tables, les serviteurs déambulant autour.

— Ah ! Voilà notre morceau de choix, s’exclama un des individus.

— Oui, allez ! Assez joué, on passe au dessert !

— Gardez-m’en une part ! s’écria un autre.

— Perdu, déjà pris ! T’en choisira une autre, dit un homme qu’elle reconnut.

Celui qui lui avait parlé avant son départ, monsieur coupe brosse.

Face à cet humour graveleux fusant de droite et de gauche, elle resta stoïque, fronçant juste les sourcils. En elle, son radar à emmerde était aussitôt remonté en flèche, ce vide noir dans ses tripes aussi ardent que le feu du dragon de son dos réclamant sa part de sang. Elle chercha une réponse dans le regard de ses compagnons, espérant que Mahdi et les autres compagnons restés à l’extérieur n’en loupaient pas une miette, même sans le son. Tranquillement installés à manger et palabrer, détendus, ses compagnons furent tous surpris, ne sachant que penser de ce comportement. Elle ne récolta que visages ébahis et sourcils relevés.

— Allons, messieurs, un peu de patience, dit le petit homme au gros ventre, se levant toujours dégoulinant. Ne les écoutez pas, ajouta-t-il en s’adressant à Tara. C’est la faim qui les fait divaguer. Approchez, installez-vous. Votre ami Simon m’expliquait justement les avantages de notre collaboration future.

— Assez attendu ! intervint encore monsieur coupe brosse.

— Bon… Alors très bien… Le client est roi.

D’un faux air navré, il fit un signe de la main. Tout alla très vite. Les hommes en faction dans la salle s’activèrent. Des ordres fusèrent, d’autres surgirent de salles arrières, mirent en joue tous les dragons présents, attablés ou non. Une seconde plus tard, ils maîtrisèrent ceux qui avaient tenté de réagir, essayant d’attraper leurs armes bien rangées dans leurs étuis ou posés loin devant eux, entre les plats. Simon se retrouva la tête plaquée contre la table.

Merde ! On s’est fait avoir comme des bleus !

Encore au centre de la salle, Tara était la seule qu’ils visaient sans l’avoir désarmée. Elle avait mis en joue le libidineux d’une main, visant large de son autre pistolet, prête à cibler ce qu’il faudrait.

Je sens qu’on a bien fait de laisser nos anges-gardiens et une troupe à l’extérieur. Traînez surtout pas ! pensa-t-elle comme s’ils pouvaient l’entendre.

— Lâchez-les, dit-elle froidement, ignorant les longs canons la visant personnellement de part et d’autre.

— Inutile, ricana-t-il. Même si vous me tuez, vous ne sortirez pas d’ici, et vos amis non plus.

Elle n’avait pas attendu sur lui pour évaluer la situation. Ils étaient sérieusement coincés. Leurs agresseurs n’avaient encore tué personne, mais si jamais elle faisait feu… Combien des siens périraient avant de pouvoir se défendre ? Et qui ? Il ne restait qu’une chose à faire.

— Personne n’est irremplaçable. Par contre, des déchets en moins, c’est toujours ça de gagné. Maintenant, à vous de saisir votre chance d’en sortir vivant. C’est quoi, votre explication ?

— Vous croyez vraiment qu’on va se laisser dicter nos lois par un négro ? Ici, ça se passe autrement. Voyez-vous, nous avons fait de cet endroit notre petit nid douillet, une bonne base pour pratiquer notre propre commerce.

— Comme c’est mignon ! Mais encore ?

Vas-y, cause, ça nous fera gagner du temps.

— De la main d’œuvre, de la chair fraîche, des incubateurs, et parfois des pièces rares, telles que vous, ma chère.

— Ah oui, vraiment ? Et je dois prendre cela comme un compliment, je suppose ?

— Tout à fait ! Je…

La porte principale derrière elle s’ouvrit. Un des hommes armés resté à l’extérieur surgit, accourut vers la tablée. Elle ne le quitta pas du regard, sans pour autant cesser de guetter ses autres ennemis. Étrangement, personne ne profita de cette distraction pour la maîtriser, comme ils l’avaient fait pour ses compagnons. Le milicien vint chuchoter quelque chose près de l’oreille de sa cible en sueur. Elle retrouva le sourire, quoiqu’elle s’étonnât que l’aide arrive si tôt ! Avaient-ils flairé le piège avant ?

— Des ennuis ? les nargua-t-elle.

Mais son enthousiasme ne fit pas long feu. Pour seule réaction, il riait tout doucement.

— Je crains que ce ne soit plutôt de mauvaises nouvelles pour vous. Voyez-vous, en réalité, nous savions parfaitement que vous alliez venir. Grâce aux informations fournies si gentiment par les braves gens, nous avons préparé votre accueil comme il se doit !

Venant de dehors, un brouhaha, des grognements, des vociférations…

— Et bien tenté, mais on a été plus malin. Dire que ces crétins ici étaient persuadés que vous alliez les sauver ! J’en suis presque déçu.

D’autres hommes entrèrent. Au milieu, une partie des compagnons restés en réserve, en observation à distance, ligotés, menottés, étroitement maintenus. Parmi eux, Mahdi, fermement encadré et maintenus par deux types à la mine patibulaire, mais plus petits d’une tête que leur prisonnier. Elle aurait pu rire du ridicule de ce trio, mais…

Yahel ! Bon sang, ils l’ont aussi !

Cette dernière lui jeta un air navré, ses lèvres formant le mot “désolé”.

Ben oui, tien, on n’est pas dans la merde ! Bravo pour l’aide…

Une grande inspiration, lèvres serrées, pas plus de réaction de sa part. Elle garda sa cible principale dans son point focal, tout en guettant ceux qui l’entouraient, cherchant la moindre faille. Elle n’avait plus le choix. Ils étaient bien piégés comme des rats. Elle n’aurait qu’une petite fenêtre. Bien petite. Autant prévoir le maximum de dégâts.

— Tout ceci est une terrible erreur. Nous sommes là en paix. Libérez-nous et tout se passera bien.

Ah, Mahdi…

Elle ne put s’empêcher de lever les yeux au ciel.

Le petit rondouillard se leva en riant, s’approcha du roi. Il donna le signal de la curée, ses autres comparses se levant également, venant voir de plus près leurs prisonniers. Les pressions, manuelles comme artificielles, furent assurées sur les dragons, les canons rapprochés de leurs corps et de leurs tempes pour confirmer.

— T’as pas compris ? C’est pas une erreur.

Elle s’adressa à Mahdi, gardant toujours son objectif dans son viseur, le suivant du bout du canon de son arme. Une sueur glacée ne cessait de couler dans son dos, heureusement partiellement cachée de ses assaillants grâce à son harnais. Son cher harnais, contenant son cher bâton. Comme elle avait envie de le saisir, d’en sortir les lames et d’aller trancher un peu tout ça. Mais entre le moment où elle éclaircirait les rangs avec ses armes à feu et celui où elle pourrait enfin faire usage de son arme préférée, qui mourrait avant de pouvoir se dépêtrer de ses geôliers pour participer à la fête. Depuis quand n’avaient-ils pas été dans une telle situation ? L’avaient-ils seulement été ?

Devait-elle faire le choix de se laisser prendre, tous, et d’attendre que d’autres unités partent à leur recherche, comprenant qu’ils avaient un problème, car ne donnant aucune nouvelle ni réponse aux appels ?

Non, impensable. Il pouvait se passer trop de choses d’ici-là.

Des leçons seront à en tirer. Ils avaient été trop confiants, trop sûrs d’eux. La routine des missions diplomatiques. À lui faire regretter les accueils à coup de battes, de barres de fer, de pelles, à force jets de flèches, cailloux, agglos, briques, pavés, balles et autres projectiles. C’était plus franc… Ceux-là avaient sagement attendus le moment où tous seraient bien détendus, en confiance au milieu de leurs ennemis ignorés, jusqu’à ce que le piège se referme sur eux.

— Voilà donc notre autre morceau de choix.

Le rondouillard libidineux était bien petit face au roi, son parfait opposé sur bien des aspects, pas seulement physiques. Bien trop arrogant, bourré de tics nerveux dans le même temps, l’image même du vice, donnant envie d’éloigner ses gamins de cet individu avant qu’il ne se mette à les tripoter.

— Je vois, continua-t-il. Il aurait été parfait pour des travaux pénibles, mais les offres sont trop alléchantes.

Mahdi haussa les sourcils.

— Vous êtes recherché, cher ami.

Ce fut Tara qui réagit.

— Ah oui ? J’aimerais bien savoir par qui ? Ils viennent pas de l’ouest, par hasard ?

— Quatre ans après, tu n’en démords pas.

Mahdi, sur un ton blasé.

— J’aime bien terminer ce que j’ai commencé. C’est plus fort que moi, qu’est-ce que tu veux.

Il soupira en secouant la tête.

— Du commerce d’êtres humains, c’est cela ?

— Bravo ! Bonne réponse. Un point pour le roi. Tu dois regretter de nous avoir rejoint. Je me demande pourquoi d’ailleurs. Simon se débrouille parfaitement bien.

— Je sais. Mais j’ai bien le droit de voyager avec mon équipe préférée. Même quand tu grognes rien qu’à ma vue.

Le petit rondouillard s’agaça.

— Si on vous dérange, vous nous le dites !

Le roi lui répondit.

— Vous ne gagnerez rien de bon, ainsi.

— Oh si ! beaucoup plus que vos propositions ridicules. Largement plus ! Des peaux et des légumes… Qu’est-ce qu’il faut pas entendre ? Mais je reste étonné de vous avoir eu si facilement. Vous ne défendez pas votre fameux roi ? continua-t-il en s’adressant à Tara. On m’a conté que vous étiez une de ses meilleurs soldats.

— Comme je vous l’ai dit, personne n’est irremplaçable.

Cette fois-ci, elle ne put réprimer un échange de regard avec le roi, juste un instant. Dans les yeux de ses autres compagnons, la rage aussi bouillonnait. Ils étaient bien d’accord.

— Eh bien, c’est heureux que vous n’interveniez pas. Je ne voudrais pas vous abîmer.

— Très drôle.

— Baissez vos armes, laissez-vous faire, et tout se passera bien.

Il se frottait les mains, pressé d’en finir.

— C’est inutile de vous défendre, ma chère. Vous êtes déjà vendue.

— Non ! C’est vrai ? Qui est la pauvre victime de votre arnaque ?

— Il est là. Il cherchait une femme de caractère, et avec certains critères physiques auxquels vous correspondez. Ce sera pour porter sa descendance.

Elle éclata de rire.

— J’espère que vous êtes assuré en cas de tromperie sur la marchandise.

Elle ne fit pas attention à Mahdi serrant la mâchoire à ces mots.

— En fin de compte, j’hésite.

C’était l’homme de tout à l’heure, le fameux monsieur tout le monde qui avait juste envie de tirer un coup. Du moins c’était ce qu’elle avait cru au début.

— Celle-là me semble bien aussi. Un peu plus grande. Laquelle des deux, à votre avis ?

Merde !

Le type tenait Yahel par le bas du visage, pressant ses joues avec ses doigts, alors que deux autres l’immobilisaient, la tenant chacun par un bras.

— Lâchez-la, dit sombrement Tara, plus menaçante, ayant décidé de sa seconde cible.

Les lèvres du type s’écartèrent, montrant ainsi qu’il jouissait de la situation. Il répondit simplement, fixant Tara sans libérer sa proie.

— Non.

Plusieurs choses se produisirent alors. À peine un battement de cil entre chaque. Un coup retentit. Par instinct, le corps de Tara se rua aussitôt en direction de sa cible. Une balle s’encastra dans un mur, n’ayant croisé que le vide à la place d’une tête coupée brosse. Le rire de cet homme, qui se gaussait que Tara n’ait pas réussi à l’avoir. Dans la foulée, son doigt tira pour son second objectif, dans l’espoir de voir le rouge gicler. Et le bruit d’une détonation provenant d’un protagoniste derrière elle. Une sensation de piqûre dans son cou la déconcentra, la freina. Juste un instant. Elle visa d’autres proies ennemies de ses deux armes, en atteignit certaines.

Ses compagnons reprenaient la lutte, saisis d’un regain d’énergie pour essayer de se libérer, même désarmés. Mais elle rageait contre elle-même, ayant échoué à atteindre ses deux cibles principales. Elle en entendait toujours son rire. Elle relâcha son arme de gauche, stoppa pour voir ce qui la gênait, surprise dans le même temps qu’encore une fois, personne n’essayait de la neutraliser. Sa main atteignit une fléchette plantée dans sa nuque, à ras de sa tresse. Elle la tira, l’extirpa de sa chair, en rage, l’éclata par terre. Sans comprendre comment elle avait pu commettre cette erreur de débutant, elle s’aperçut avoir jeté son arme avec.

L’autre, monsieur tout le monde, réapparut devant elle. Brusquement. Tout de même à une distance prudente.

Il était où ? Pourquoi je l’ai pas vu arriver?

— Qu’est-ce que c’est ? Qu’est-ce que tu as fais ? fulmina-t-elle.

Les choses s’étaient calmées quelques peu. Pas dans le bon sens, les grognements et vociférations de ses compagnons réduits à peau de chagrin, ainsi que les ordres insistants des miliciens rappelant qu’ils les voulaient vivant et le plus entier possible.

Il riait toujours.

— Je reviens sur mon premier choix. Ce sera toi !

Elle n’arrivait plus à bien le viser, sa main droite vacillant, l’arme devenant plus lourde, trop lourde, au point que son bras retomba sans qu’elle puisse contrôler quoi que ce soit. Ses doigts s’engourdissaient, la lâchèrent. Sans parler du monde tournant en succession de clichés entrecoupés de vide.

— Tu m’as droguée, c’est ça ? Ordure !

Elle prit une grande inspiration.

Ne cède pas à la panique ! Allez, bouge, résiste !

Elle réussit à réactiver sa main, la leva, mit ses doigts autour de son bâton encore à sa place dans son harnais dorsal, voulant s’élancer dans le même temps. Ses jambes, hélas, ne répondirent pas. C’est à peine si elle avança d’un pas, avec toutes les peines du monde, tout allant au ralenti, sa vue se troublant au fur et à mesure.

— Traîtrise ! Tu le paieras de ta vie ! D’une manière ou d’une autre, à un moment ou à un autre, je te tuerai !

Seule la rage la faisait encore tenir.

— Tu es forte, c’est indéniable, mais j’arriverais à te soumettre, tu verras.

Elle fit encore un pas vers lui, bras ballant, mais impuissante, finit par mettre un genou à terre, se tenant par instinct de son bras gauche pour ne pas tomber.

— Rassure-toi. Tu auras l’impression de dormir, mais tu vas bien en profiter aussi.

Elle entendit des voix amies s’interpeller, crier son nom, des voix désespérées, un long grognement de rage, des bruits de lutte, de coups qui pleuvent.

— Allez, enfermez-moi tout ça jusqu’à la vente de demain.

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