4 -Un avant-goût de l’enfer

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Des présences, des souffles humains autour d’elle, des étaux la maintenant debout. L’avait-elle rêvée cette voix d’homme chuchotant à son oreille qu’il était désolé, qu’il ne pouvait rien faire pour l’aider ? L’image suivante parvenant à son cerveau fut un lit s’éloignant brièvement et revenant, alors qu’elle rebondissait dessus, lui laissant une étrange sensation. Au deuxième bon, elle y resta, inerte. D’autres vues et d’autres ressentis, par bribe. La lumière de la pièce comme clignotante. La fraîcheur sur ses jambes, ses fesses, suivant un frottement de tissu. Son corps inerte tiré vers l’arrière dans le même temps. Un ricanement, des mains sur ses hanches, trop fermes, son bassin soulevé.

Non…

La sensation de nausée lorsqu’il s’amusa, sa main pressant sa tête, lui enfonçant la figure dans le matelas. La bave suintant de sa bouche, humidifiant le drap contre sa joue.

Ouvrir ou fermer les yeux, c’est tout ce qu’elle arrivait à faire. Le reste, du plomb. Du plomb à vif !

Lorsqu’il eut fini sa petite affaire, il laissa son corps s’affaisser mollement sur le matelas. Apparemment satisfait, il la laissa ainsi, à demi-consciente, humiliée.

Plan suivant, corps retourné sans ménagement, balancé, bringuebalé vers le milieu du lit, bras tirés en arrière, mains légèrement soulevées, son du métal contre le métal, serrement aux poignets, cliquetis de menottes qui se ferment.

— Bon, maintenant, voyons la marchandise de plus près.

Tissu déchiré, fraîcheur sur son torse, ses seins, plein champ sur son visage épaté par la vision, cou soulevé un instant lorsqu’il saisit et arracha la chaînette.

— Tu n’en auras plus besoin.

Une moue ensuite.

— On va arranger ça.

Il disparut, revint, une lame de rasoir à la main.

— Bouge, pas, je risque de te blesser… Ah oui, pardon, tu peux pas.

Il se trouva très drôle.

— Décidément, c’est plus ça, depuis. Avant, les femmes prenaient soin d’elle.

Nuage froid et moite aux aisselles et sur sa toison, la lame qui racla la peau, repassa plusieurs fois, batailla un peu pour passer sous son bras gauche, puis jambes écartées, soulevées pour dégager l’espace de travail. Petite tape pour finir.

— C’est mieux comme ça. Pour le reste, on verra si on pourra te le retirer. À moins que… Si tu n’es pas trop abîmée après m’avoir donné un beau gaillard, tu pourras toujours jouer les chiens de garde pour moi.

Redisparition. Reretour. Son sourire éclatant jusqu’aux oreilles.

— On peut y aller, maintenant.

Cette fois-ci, elle déglutit, réussit à bouger sa tête, très légèrement, préférant voir le plafond ou les murs, alors que claquaient les corps l’un contre l’autre au rythme du plaisir personnel du sinistre personnage, avec l’exclusivité de subir jusqu’à l’écœurement le parfum chimique de son après-rasage.

D’une manière ou d’une autre… Je te le jure.

Ce ne fut pas long, mais ce fut toujours trop long.

Pour clore la séance, sa bouche revint agresser la sienne. Puis il la laissa tranquille, quittant son champ de vision, son corps, mais revint s’affaler sur elle dans la faveur de l’obscurité. Cette autre fois, lorsqu’il voulut posséder sa bouche, il récolta une belle morsure, recula en geignant, répondit par son poing valsant, fendant sa lèvre, et cognant encore et encore.

— J’ai bien fait de prendre une dose de plus, dit-il alors qu’une nouvelle sensation de piqûre traversait sa peau. Ils sont de bon conseil ! Allez, râle pas, tu vas me faire de beaux petits dragon.

Il se réveilla, vautré à moitié sur elle, une de ses jambes entre les siennes, une main sur son sein, la tête au niveau de son épaule. Le reste de son corps glacé aspirait la fraîcheur de la pièce.

Il se redressa, lui tapota la joue.

— C’est bien, tu es bien sage, se moqua-t-il.

Elle le suivit des yeux, ne pouvant réprimer une plainte au moment où ses jambes tentèrent de se redresser par réflexe, lui donnant mal ailleurs pour une fois. Il but quelque chose qu’il se versa d’un thermos sur une petite table, puis mâcher des tartines, lui balançant sa philosophie, des inepties dont elle percevait quelques bribes entre deux déglutitions.

— Faut que tu comprennes. La hiérarchie, c’est ça qui domine le monde. Franchement, je comprends même pas comment tu pouvais te laisser diriger par cette touffe de dreadlocks. Tu vois, je t’explique. En haut, c’est nous, les gars comme moi. En dessous, les femmes. C’est pour ça que tu vas m’obéir. T’as pas le choix, de toute manière. Et encore en dessous, tu vois, c’est eux, les sous-hommes, de bons esclaves s’ils sont pas trop fainéants. T’es en dessous de moi, mais au-dessus de lui, tu comprends ! La hiérarchie… Ah ! Ça va mieux. C’est que ça creuse, tout ça !

Oh, le beau spécimen que voilà ! Une espèce rare, dont je vais bientôt encore réduire le nombre. C’est le tout de trouver comment.

Elle n’était pas d’humeur à rire.

Il continua son laïus avant d’enfin décider à se taire et de dégager. Enfermée dans son propre corps, prisonnière de sa tête, le temps et les sens déformés par la drogue, elle ignora combien de temps passa. Il réapparut, revint sur le lit, à genou, se plaça entre ses jambes. Il l’attrapa par les cuisses, soulevant son bassin du lit, la força encore.

Cette fois-ci, sa respiration s’accéléra franchement. Elle serra les dents, retroussa ses narines de dégoût.

Dans l’excitation, il l’avait tiré vers lui. Le métal de ses mains cogna brusquement contre celui des menottes. Trop occupé à son plaisir personnel, il ne s’en préoccupa pas, ce bruit masqué par le son de la tête de lit constituée de la même matière. Elle, si.

C’est ça, vas-y, concentre-toi sur ce que tu fais. Ça va pas durer.

Elle plia le bras gauche, très légèrement, tirant sur l’entrave. Le métal sembla s’écarter. Son œil confirma.

Maintenant, à moi de me concentrer.

Elle tira encore, écarta les doigts, progressivement, retrouvant suffisamment de puissance et de contrôle de son bras.

Oui, ça vient !

À peine un à-coup lorsque sa main se libéra, oblitéré par les assauts de plus en plus insistant.

Attends, patience, ton tour arrive.

Lorsqu’il jouira, c’est là qu’il sera le plus vulnérable. Je ne dois pas le rater.

Elle respira de plus en plus profondément, essayant de réveiller son corps sans qu’il s’en aperçoive.

Un dernier coup de rein brusque, visage à la grimace des plus grotesques.

— Ahhmouaiii…

Maintenant !

Elle élança son bras gauche, agrippa le cou de l’homme, pressa.

Premier réflexe, il tenta de l’enlever avec ses mains, ses pauvres mains d’humain normal.

— Lâche-moi, salope !

Il la frappa, ses poings faisant valser sa tête à droite, à gauche. Elle desserra malgré elle, se prit un coup de tête en pleine face. À moitié sonnée, entre le trouble ensanglanté de ses yeux, le nez explosé, elle le vit se frotter le cou, faire une grimace.

— Tu veux te battre ? Cela ne sert à rien, tu m’appartiens, je vais te le faire comprendre une bonne fois pour toutes.

Il attrapa son bras libre, appuya fortement dessus, le gardant contre le matelas, saisit sa cuisse, la souleva par en dessous. Elle voulut ruer, reculer, rien n’y fit, la drogue agissait toujours.

— Prends ça ! Et retiens la leçon !

Elle faillit crier, grimaça de toutes ses dents pour se retenir.

Pas question de lui faire ce plaisir !

Elle tenta de contrecarrer ses assauts, allant à l’inverse, regimbant du bassin, souleva brusquement sa tête pour le frapper au visage comme il l’avait fait. En vain, il était trop loin et la maintenait avec force, et elle du mal à remettre de la puissance, ses forces encore trop instables. Alors, elle se concentra et lutta, lutta, lutta pour libérer ses mains, réussit à soulever celle bloquée sur le matelas.

— Bouge pas, j’ai dit ! Je ne vais tout de même pas te droguer à chaque fois !

Il lâcha sa cuisse pour la frapper une nouvelle fois, la terrassant. Il la tira vers lui, se coucha littéralement sur elle pour la tenir prisonnière, tout en continuant, sauvagement, cruellement, désormais hilare, sûr de sa victoire.

— En même temps, c’est pas mal quand tu te débats…

Non ! Assez !

Dans un effort surhumain, sa main retrouva le cou. Elle le chopa, serra plus fort, grimaçant sous l’effort.

Il voulut l’étrangler aussi. Elle lutta encore, se prenant d’autres coups. Dans un claquement, son autre main se libéra enfin. Elle stabilisa sa prise, envoya de l’énergie dans son bras, souleva, pressa, broya, frappa de l’autre.

Oui, donne tout, c’est maintenant !

Elle se redressa de son coude libre. Au point de bascule, son autre main se joignit à la première, l’armature de métal, écrasant, pulvérisant de concert au son de son cri de rage. Le sang envahit le blanc des yeux de l’homme, souilla les doigts de Tara lorsqu’ils creusèrent la chair.

Elle ignorait depuis quand elle avait été un jouet entre ses mains, complètement à sa merci, poupée démantibulée, désarticulée, écartelée, dépossédée de son corps. Elle attendit encore un peu, le temps de retrouver son souffle et de la vigueur dans tous ses membres. Pour le moment, ses jambes, désespérément léthargiques, douloureuses, ne répondaient pas encore, repliées sous elle assise à côté du corps sans vie.

Seule, elle scruta la pièce du regard, une chambre sans âme, aussi nue qu’elle, avant d’être prise de nausées, crachant une bile acre.

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