Chapitre 1

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— Mesdames et messieurs, regardez bien cette main. Car c’est une main de ma-gi-cien !

 Voilà. Il reprend le numéro à son début, au point zéro. C’est comme un retour aux sources. Il commence toujours ainsi en scrutant chaque spectateur, sans sourcilier, comme pour l’aspirer dans son univers. De ses doigts effilés, tendus à l’extrême, semble jaillir un courant d’énergie imperceptible. Devant nos yeux, sa main circule, lentement. Veines bleues apparentes, tendons saillants et taches de vieillesse s’unissent pour nous tromper, nous faire oublier l’élasticité particulière de sa peau, sa brillance, sa souplesse, témoins d’un soin quotidien nécessaire pour la bonne exécution du tour.

 Cette main tendue m’empoigne. Elle invite les quelques observateurs, ici présents, au respect, à la tendresse. Le vieux bonhomme nous prend par les sentiments comme savent si bien le faire nos aînés. Ainsi, chacun s’exécute, peut-être par sympathie, assurément par curiosité, animé par le désir commun de revoir à nouveau ce tour. Et malgré la succession des représentations, aucune d’elles n’a pu laisser transparaître la moindre faille, le moindre « truc ». Les ficelles sont aussi solides qu’invisibles. Aussi, cette nouvelle répétition s’impose comme une occasion supplémentaire de comprendre ce qu’il se passe. De voir ce qu’il faut.


 Sous les yeux ébahis d’un public pourtant déjà conquis, le vieil homme laisse place à l’artiste. Sans aucun tremblement, il agite ses longs doigts exercés avec l’agilité d’un pianiste virtuose. D’un coup, chacun d’eux se replie tour à tour, dans une chorégraphie parfaitement millimétrée puis se rabattent furtivement sur la paume. L’instant d’après, ils se déploient à nouveau, mus de la même énergie folle qui les avait fait se refermer, et dévoilent une petite pièce d’un centime dans le creux de la main. Le petit objet passe alors, lentement, devant son auditoire, captivé.


 L’entrée en matière, véritable cas d’école enseigné dans le monde entier, est exceptionnellement maîtrisée et parfaitement identique aux introductions précédentes. Par ces gestes, l’illusionniste rappelle qui il est.

— Vous voyez, je vous le disais : un ma-gi-cien !, poursuit-il d’un ton farceur tout en refermant la main.


 Il la fixe alors du regard un long moment, souffle dessus, tourne le poignet d’un quart de tour, pouce vers le haut, et la rapproche lentement de la table de chevet. De son poing fermé, immuable, s’échappe un mince filet de poussière métallisée. La lenteur hypnotique avec laquelle s’écoulent toutes ces petites particules présage de la suite. J’avoue être bluffé. Cette poudre qui n’en finit pas de tomber serait les restes de la pièce. En s’écrasant au sol, elle forme un petit amas compact et pyramidal, comparable en tous points aux dernières représentations.


« Mais comment il fait ça ? », « J’ai toujours pas compris… », ressassent quelques spectateurs habitués du numéro.


— C’est fou comme on peut s’émerveiller de si peu chose, n’est-ce pas ?, ajoute-t-il en montrant au public le petit tas.


 Diversion orale. Classique. Les spectateurs le regardent quand il s’adresse à eux puis suivent son regard quand il scrute la poussière de cuivre. C’est à ce moment qu’il doit replacer la pièce.


— Mais les gens restent attirés par l’argent !

- tap -

Du plat de la main, il écrase les particules pour y faire apparaître une pièce d’un euro.


 Une suite de passes élémentaires parfaitement enchaînées, associée à des transferts de charges réalisés à la perfection. Le numéro, qui paraît d’une banalité affligeante, demeure pour moi un tour admirable. J’attends maintenant la suite pour être une nouvelle fois face à l’incroyable. Plus les numéros se répètent, plus il me tarde d’assister aux séquences suivantes. Elles m’intriguent, me dérangent, me retiennent. Même après la quatrième représentation.

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